Climat : l’inquiétante addiction au charbon de l’Inde

A la COP28, l'Inde freine des quatre fers sur la réduction progressive de la production d'électricité au charbon. Et pour cause, l'addiction du sous-continent à la houille est plus importante qu'en Chine ! 73% de son mix électrique en dépend. Ralentir son usage reviendrait à mettre en péril sa croissance insolente, alors que le pays compte encore 800 millions de pauvres. Plus globalement, la question du charbon est très sensible dans toute l'Asie, qui consomme et produit les trois quarts de ce combustible fossile dans le monde.
Juliette Raynal
(Crédits : Reuters)

C'est l'un des succès diplomatiques de la 28ème Conférence mondiale pour le climat (COP 28), qui se tient à Dubaï (Emirats arabes unis) jusqu'à mardi. Le 2 décembre dernier, 116 pays ont ratifié un accord international les engageant à tripler leurs capacités de production des énergies renouvelables d'ici à 2030. Mais, alors que l'Inde, hôte du G20, avait publiquement soutenu cette ambition en septembre dernier à New Delhi, le sous-continent figure (aux côtés de la Chine), parmi les grands absents de cet accord.

Cette volte-face est loin d'être anecdotique. Elle en dit même long sur son addiction au charbon et sur l'absence de volonté des autorités indiennes d'entamer quelconque sevrage à court terme. Car si le pays le plus peuplé de la planète (1,417 milliard d'habitants), et troisième émetteur mondial de gaz à effet de serre, n'a pas ratifié cet accord, ce n'est pas parce qu'il est opposé au triplement des capacités renouvelables, mais parce que l'engagement comportait également une déclaration sur le charbon. Le texte souligne, en effet, la nécessité de veiller à ce que le déploiement des énergies renouvelables s'accompagne d'une réduction progressive de la production d'électricité au charbon.

Une ligne rouge

Une ligne rouge pour les autorités indiennes, qui ne cachent absolument pas leur réticence à tout déclin du charbon dans leur économie. « Les pays qui utilisent le charbon seront à nouveau soumis à des pressions », avait prévenu Raj Kumar Singh, le ministre indien de l'électricité et des énergies renouvelables, quelques semaines avant la COP28.  « Notre point de vue, c'est que nous n'allons pas faire de compromis sur la disponibilité de l'énergie pour la croissance », avait-il affirmé sans détours.

« L'Inde ne peut pas survivre sans charbon car elle n'a pas d'autre option », tranche même Rashika Gupta, directrice de la recherche et de l'analyse chez S&P Global, dans une note intitulée ironiquement « COP28 : l'Inde redouble d'efforts pour augmenter ses émissions de gaz à effet de serre ». « La construction de centrales nucléaires et hydrauliques prend une décennie, le gaz n'est pas disponible et le Gaz naturel liquéfié (GNL) est très cher », poursuit-elle. Or, l'Inde fait face à un boom de la demande électrique (+9,6% en 2023), alimentée par sa fulgurante croissance économique et démographique. Résultat, les entreprises publiques indiennes construisent actuellement 27 gigawatts (GW) de centrales thermiques, presque toutes au charbon. Et cela reste insuffisant selon Raj Kumar Singh, qui estime que le pays aurait besoin d'au moins 80 GW de nouvelles capacités pour couvrir les besoins à venir.

L'Inde, plus addict que la Chine

Les chiffres révélant l'addiction au charbon de l'Inde sont ainsi sans équivoque : 73% de son mix électrique repose sur la houille, contre 61% pour la Chine selon les données du think tank Ember. Pis encore, cette dépendance devrait s'accentuer dans les prochaines années. Selon S&P Global, la part des centrales à charbon dans la production électrique indienne devrait atteindre un pic à 77% en 2025, puis redescendre à 71% en 2030 et à 52% en 2050. Or, selon le scénario « Net Zero Emissions » de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), pour limiter l'augmentation de la température mondiale à 1,5°C, l'Inde devrait éliminer progressivement les centrales au charbon d'ici à 2030 et décarboniser totalement son mix électrique d'ici à 2040.

Mais pour le gouvernement indien, freiner sur le charbon reviendrait à mettre en péril la croissance insolente du pays (+7,2% en 2023 par rapport à 2022), qui peine néanmoins à absorber les quelque 10 millions de nouvelles personnes qui arrivent chaque année sur le marché de l'emploi. Si le pays s'affiche comme la cinquième puissance mondiale, devant le Royaume-Uni, il demeure en réalité un colosse aux pieds d'argile. Le PIB par habitant plafonne à 2.000 dollars (environ 1.860 euros), contre 12.000 dollars (environ 11.163 euros) en Chine. Le pays compte, par ailleurs, 800 millions de pauvres qui dépendent des rations alimentaires distribuées par le gouvernement et se classe au 107ème rang sur 123 dans l'indice de la faim dans le monde.

Le charbon, une question très sensible dans toute l'Asie

Reste que la lutte contre le changement climatique ne peut se faire sans l'Inde, alors que le pays est aujourd'hui responsable de 8% des émissions mondiales, lesquelles devraient, par ailleurs, augmenter de 8,2% en 2023, selon les données du Global Carbon Project. Et ce, malgré le déploiement des énergies renouvelables à vitesse grand V dans le pays. Face à ce rythme, même la hausse attendue de 4% des émissions de la Chine en 2023 paraît minime. Pour sa défense, le gouvernement indien n'oublie pas de rappeler que son pays figure en bas du classement en termes d'émissions par habitant (72ème rang).

Plus généralement, la question du charbon reste très sensible dans toute l'Asie, qui consomme et produit les trois quarts du charbon dans le monde. Les pays asiatiques, et notamment la Chine, s'agacent ainsi des contraintes que souhaitent imposer les pays développés, qui ont eux-mêmes nourri le réchauffement climatique pendant plusieurs décennies. L'Inde estime même que les pays développés devraient devenir négatifs en termes d'émissions carbone à l'horizon 2050 afin que les autres pays puissent continuer à consommer des hydrocarbures. « L'idée est que les émissions des pays émergents soient compensées par un bilan négatif des pays développés », résume Thibaud Voïta, chercheur associé au Centre énergie et climat de l'Institut français des relations internationales (Ifri). Toutefois, selon lui, « il devient de plus en plus difficile pour des pays comme la Chine, l'Inde ou les pays du Golfe de prétendre qu'ils n'ont qu'une responsabilité très limitée dans le changement climatique ».

Une ouverture grâce aux JETP ?

Alors que les tensions restent vives autour de la question des financements pour le climat entre le Nord et le Sud, une ouverture pourrait se dégager à travers un nouvel instrument : les partenariats pour une transition énergétique juste (just energy transition partnerships, ou JETP pour les initiés), inaugurés il y a deux ans avec l'Afrique du Sud. Il s'agit d'une forme de coopération internationale dans laquelle un groupe de pays développés apporte des ressources financières à un pays en développement en contrepartie d'engagements précis sur leur mix énergétique.

En Asie, le Vietnam et l'Indonésie se sont engagés dans cette voie. Le quatrième pays le plus peuplé de la planète s'est ainsi vu promettre, l'année dernière, 20 milliards de dollars pour basculer son mix énergétique vers la neutralité carbone, via la fermeture des centrales à charbon notamment. Toutefois les premiers retours d'expérience pointent plusieurs limites, notamment sur la lenteur des engagements financiers qui peinent à se matérialiser. Joko Widodo, le président indonésien, a ainsi profité de la COP28 pour faire part d'un recul sur ses engagements de fermetures de centrales au charbon.

Ces nouveaux instruments financiers font fi d'une autre grande limite : en Asie, l'addiction à la houille ne tient pas uniquement aux centrales électriques. Ce combustible fossile constitue bien souvent les fondations d'une économie toute entière. En Inde, par exemple, quelque 300.000 emplois sont directement liés à l'exploitation des mines, et près de quatre millions de personnes en vivent indirectement. Peu étonnant donc que l'Inde ne vise la neutralité carbone qu'en 2070... soit dix ans après la Chine !

Juliette Raynal

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Commentaires 14
à écrit le 10/12/2023 à 9:40
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Moi, on m'a expliqué qu'ils avaient le droit, car contrairement à l'occident, ils ont commencé tardivement à polluer la planète . Pendant cette phase ou les pays jeunes ont grosso modo une centaines d'années de polution à rattraper nous ferons nous t...

à écrit le 09/12/2023 à 20:06
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Comme d'habitude il faudra une bonne crise pour que les choses changent : lorsqu'il fera 50 °C sur toute l'Asie du sud-est cette guéguerre Nord-Sud stérile sera rapidement oubliée.

à écrit le 09/12/2023 à 15:31
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Avec l'Asie qui ne veut pas réduire sa consommation de charbon et l'OPEP qui ne veut pas voir la production de pétrole et de gaz diminuer, on attend avec délectation le rapport final de la COP de Dubaï. On va être mort de rire dans quelques jours.

à écrit le 09/12/2023 à 12:30
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Pourquoi y a oas des manifs ecolos bien à gauche pour s'indigner et soffenser, à l'heure des ZFE et DPE qui vont amener l'extrême droite au pouvoir ? Parce que le tiers monde a le droit de polluer, le but de l'écologie etant de détruire le capita...

à écrit le 09/12/2023 à 8:25
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"Et pour cause, l'addiction du sous-continent à la houille est plus importante qu'en Chine ! " Attention l'addiction oui mais en consommation les chinois avec la consommation de plus de la moitié de la production mondiale de charbon sont très loin de...

à écrit le 09/12/2023 à 0:05
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Ben boycott de l Asie : produit/ tourisme etc … je sélectionne mes achats où achète pas selon et je irai pas tant qu ils évolueront pas . plus efficace qu un blabla à Dubai - que je boycotte aussi- ou qu un vote . Le véritable vote aujourd’hui c es...

le 09/12/2023 à 14:06
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Vous pouvez me rappeler le pourcentage de EELV à l'élection présidentielle de 2022, combien de députés / sénateurs verts NUPES ? Combien de maires ? Votre pronostic pour les européennes ? ------- On peut accuser les autres mais jusqu'à preuve d...

à écrit le 09/12/2023 à 0:05
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Ben boycott de l Asie : produit/ tourisme etc … je sélectionne mes achats où achète pas selon et je irai pas tant qu ils évolueront pas . plus efficace qu un blabla à Dubai - que je boycotte aussi- ou qu un vote . Le véritable vote aujourd’hui c es...

à écrit le 08/12/2023 à 19:36
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Nous sommes entièrement concernés du fait des importations que l'on effectue sachant que leur mode de vie est bien plus sobre !

à écrit le 08/12/2023 à 19:17
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L'Inde est un pays qui ne vas nulle part

le 08/12/2023 à 21:02
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D'où tenez vous cette affirmation , si la Chine et l'usine du monde l'Inde est son cerveau !

le 09/12/2023 à 9:58
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@ldx : Oui, il y a des cerveaux en Inde, mais il y a beaucoup plus de ventres encore, hélas

à écrit le 08/12/2023 à 18:59
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Chine + Inde c'est un peu plus du 1/3 de la population mondiale pour laquelle le charbon est vital. Et, comme le pétrole ET le gaz sont essentiels pour les 2/3 restants, COP 28 ou pas, le problème reste entier. En clair, les catastrophes naturelles v...

le 09/12/2023 à 8:54
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@ Valbel 89. En complément de votre commentaire,il n’y a d’autre alternative que la décroissance………de la population.Sinon ,préparons-nous à recevoir des millions d’exilés et ça sera la fin de notre civilisation.

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