L'art de s'attaquer aux symptômes tout en ignorant les causes. Depuis la Convention-cadre des Nations Unies sur le réchauffement climatique (CCNUCC), le document entériné en 1992 lors du sommet de la Terre de Rio et qui encadre les négociations internationales sur le climat, les COP n'ont jamais su s'emparer pleinement de la question des énergies fossiles. Ce texte originel n'y fait d'ailleurs lui-même pas allusion.
Pire : l'accord de Paris de 2015 issu des négociations de la COP21, ce traité historique qui fixe un objectif ambitieux de maintien des températures globales « bien en dessous de +2°C », ne comporte, lui non plus, aucune mention des « énergies fossiles ». Comme si les négociations entre Etats avaient mis de côté les premiers responsables du problème auquel ils étaient censés s'attaquer : le pétrole, le charbon et le gaz, à l'origine de plus de 80% des gaz à effet de serre.
« En près de trente ans, aucune institution internationale n'a jamais proposé de limiter à la source leur production ! », souligne à La Tribune Maxime Combes, économiste et membre d'Attac France.
Plus pour longtemps ? Alors que s'est ouverte jeudi 30 novembre, dans le septième pays producteur de pétrole au monde, les Emirats arabes unis, la COP28 de Dubaï, le vent semble désormais tourner.
« Réduire » voire « éliminer » les fossiles
Et pour cause, dans la première version publiée ce vendredi d'un projet d'accord, les combustibles fossiles ne sont, cette fois, pas mis sous le tapis. Il y est même écrit que le monde doit progressivement « réduire » voire « éliminer » ces sources d'énergie, sans néanmoins favoriser l'une ou l'autre de ces options. Les parties sont ainsi « appelées » à « accélérer le développement, le déploiement et la diffusion de technologies, ainsi que l'adoption de politiques, pour assurer la transition vers des systèmes énergétiques à faibles émissions », notamment « en intensifiant rapidement le déploiement de mesures de production d'énergie propre et d'efficacité énergétique ».
Préparé par le Royaume-Uni et Singapour, ce document, qui est en réalité un bilan mondial de l'accord de Paris, servira de base de discussion pour les négociateurs issus de près de 200 pays. Et ce, en vue d'une adoption d'ici la fin de la COP, prévue officiellement le 12 décembre. À ce stade, il ne s'agit cependant que d'« éléments de base », peut-on lire en introduction, « destinés à fournir un point de départ » et « reflétant des questions sur lesquelles différents points de vue ont été exprimés et nécessiteraient des délibérations plus approfondies de la part des Parties ». Autrement dit, rien ne garantit que les points à l'ordre du jour seront bien approuvés lors des prochains jours.
« Aucune ligne rouge » pour le directeur général de la COP28
Il n'empêche : avec ce texte, la COP28 va d'ores et déjà plus loin que sa prédécesseure, la COP27 de Charm el-Cheikh, en Egypte. Et ce, dès son coup d'envoi. En effet, en 2022, la présidence n'était pas parvenue à inscrire l'élimination progressive des combustibles fossiles dans aucun des projets d'accord.
« Le fait même de l'avoir parmi les options est un gros pas en avant », a ainsi salué sur place Lola Vallejo, directrice du programme climat de l'Iddri, un groupe de réflexion français.
Par ailleurs, le président émirati, Sultan Al Jaber, également directeur général de la compagnie pétrolière nationale Adnoc, a lui-même appelé jeudi à mentionner « le rôle des combustibles fossiles » dans tout accord final. Critiqué pour sa position schizophrénique, et mis en cause dans une enquête de la BBC pour avoir tenté de négocier des contrats pétro-gaziers dans le cadre de sa mission, l'homme d'affaires essaye ainsi de montrer patte blanche. Vendredi, le directeur général de la COP28, l'ambassadeur Majid Al Suwaidi, a quant à lui assuré n'avoir « aucune ligne rouge ».
La baisse d'ambition sur le fil de la COP26 de Glasgow
Au-delà de ces déclarations, un enjeu essentiel pour les pays sera de s'accorder sur le choix du terme « réduction » (phase-down, en anglais) ou celui, beaucoup plus ambitieux, d' « élimination » (phase-out).
Cette question épineuse s'était d'ailleurs posée pour la première fois à la COP26 de Glasgow, en 2021. Et pour cause, le texte final avait bien fait mention d'une énergie fossile, d'ailleurs la plus polluante de toutes : le charbon - une première depuis le protocole de Kyoto de 1997. Mais cet ajout avait été pour le moins éprouvant, avec des modifications sémantiques de dernière minute pour amoindrir largement la portée des ambitions.
L'Inde et la Chine, notamment, étaient parvenues sur le fil à atténuer davantage la formulation en « réduction progressive » au lieu d'« élimination progressive », retardant encore le coup de marteau final, et vidant le texte d'une partie de sa substance. Un virage condamné par les petits États insulaires, en première ligne face au changement climatique, la Suisse, ou encore le Mexique. Et qui avait tiré les larmes du président de la COP26, Alok Sharma, « profondément désolé » au moment d'entériner l'adoption de l'accord global.
Concrètement, alors que la première version, soumise le 10 novembre 2021, « demand[ait] aux parties d'accélérer l'élimination progressive du charbon », le pacte final signé par les Etats « demande aux parties d'intensifier le développement, le déploiement et la diffusion de technologies » et « l'adoption de politiques de transition vers des systèmes énergétiques à faibles émissions », notamment en « intensifiant rapidement le déploiement de mesures de production d'énergie propre et d'efficacité énergétique ». Mais aussi en « intensifiant les efforts pour réduire progressivement l'énergie au charbon non adossée à une capture et un stockage du carbone ». Le diable se cache dans les détails...
Quant au pétrole et au gaz, le texte n'appelait ni à leur réduction, ni à leur élimination. Mais à une fin progressive des subventions qui leur sont allouées, uniquement quand celles-ci sont « inefficaces » - sans toutefois définir précisément ce dernier terme -.
Une exemption pour les projets adossés à des technologies de captation du CO2 ?
Le projet d'accord mis en discussion ce vendredi reprend les bases de cet accord, mais va donc plus loin. Sur le charbon, il remet sur la table la proposition d'en « sortir », en renonçant à tout nouveau projet d'utilisation de cette énergie très polluante.
Enfin, le terme « non atténué » (« unabated », en anglais) pour qualifier les combustibles fossiles promet d'animer des débats houleux. En effet, la plupart des négociateurs qui appellent à leur réduction ou à leur élimination progressive, l'Union européenne comprise, proposent que ne soient pas concernés ceux dont l'impact aurait été « atténué ». C'est-à-dire compensé par des technologies de captage et de stockage du CO2.
Les seules parties qui appellent à une élimination progressive des hydrocarbures y compris atténués sont la Nouvelle Zélande et la « coalition à haute ambition » (High ambition coalition), qui compte 26 pays dont la France. L'Union européenne, l'Australie, les Etats-Unis ou encore le Royaume-Uni ne suivent pas cette voie. Or, pour l'heure, il n'existe aucune définition claire de cette « atténuation » à l'échelle mondiale. Les technologies de captage restent, en outre, très peu déployées, et nombre d'associations écologistes dénoncent une « fausse solution » permettant de justifier de nouveaux investissements néfastes pour le climat.
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