A Paris, une « internationale » inédite pour orchestrer le retour du nucléaire

A l’initiative de la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, une vingtaine de ministres de pays membres de l'OCDE et une trentaine de dirigeants d’entreprises se sont réunis ce jeudi à Paris pour un grand raout sur l’énergie atomique. Un casting inimaginable il y a quelques années. Objectif : coordonner les filières industrielles des différents pays pour la construction de nouveaux réacteurs et peser plus lourd dans l’appel à de nouveaux financements internationaux. Les partisans du nucléaire veulent compter autant que les énergies renouvelables aux yeux des institutions.
Juliette Raynal
Le 28 septembre, la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, participera à une conférence internationale sur le nucléaire, dont elle est à l'initiative.
Le 28 septembre, la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, participera à une conférence internationale sur le nucléaire, dont elle est à l'initiative. (Crédits : Reuters)

[MAJ ] Article publié le 27/09/23 à 21h et mis à jour le 28/09/23 à 9h54, avec les réactions de Greenpeace France.

« C'est un événement en soi », assure le cabinet de la ministre de la Transition énergétique. Ce jeudi 28 septembre, à l'initiative d'Agnès Pannier-Runacher, une vingtaine de ministres de l'Énergie et plus de 30 dirigeants de l'industrie nucléaire se sont réunis au siège de l'OCDE situé au Château de la Muette, dans le 16ème arrondissement de Paris, à l'occasion d'une conférence internationale, co-organisée avec l'agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire (AEN). « C'est la première fois que les pays membres de l'OCDE se réunissent autour du nucléaire », souligne l'entourage de la ministre.

De nombreux ministres de l'Union européenne (UE) ont répondu présent à cet appel, dont les ministres polonais, italien, slovaque, roumain et hollandais. D'autres sont venus de bien plus loin. C'est le cas de Jonathan Wilkinson, ministre des ressources naturelles du Canada,  de Young-ghil Cheon, ministre sud-coréen adjoint du Commerce, de l'Industrie et de l'Énergie, ou encore de Jennifer Granholm, secrétaire américaine à l'Énergie, et de Yasutoshi Nishimura, le ministre de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie du Japon.

Changement de logiciel

Les patrons des poids lourds de l'industrie nucléaire étaient également invités à ce grand raout. Parmi eux : l'américain Westinghouse, le coréen KHNP et le japonais Mitsubishi. Mais aussi Bruce Power, exploitant huit réacteurs nucléaires au Canada, l'entreprise suédoise Vattenfall ou encore l'entreprise publique polonaise PEJ.  A noter : l'électricien tricolore EDF n'était pas représenté par son PDG Luc Rémont, dont les tensions avec l'exécutif se sont accentuées ces derniers jours, mais par Xavier Ursat, le patron du nouveau nucléaire.

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Une réunion inimaginable il y a quelques années alors que la catastrophe japonaise de Fukushima, survenue en 2011, avait refroidi les ambitions de nombreux pays dans l'atome civil. La lutte contre le changement climatique, couplée aux questions de souveraineté énergétique exacerbées par l'invasion russe de l'Ukraine, ont changé la donne. Du côté du ministère de la Transition énergétique, on loue les fruits portés par l'Alliance européenne du nucléaire bâtie par la ministre tricolore en février dernier et regroupant désormais une quinzaine d'Etats membres de l'UE : « L'alliance qu'a créée la ministre a permis à certains pays de revoir leur logiciel ».

Perturbations de Greenpeace

De fait, de nombreux pays sur le Vieux Continent, mais pas uniquement, étudient sérieusement une relance du nucléaire. C'est le cas notamment de la Suède et des Pays-Bas, tandis qu'en Italie, le gouvernement semble de plus en plus ouvert à la perspective de nouvelles constructions. D'autres ont acté un prolongement de leur parc, comme la Belgique. Et il y a « un certain nombre d'Etats qui ont une histoire avec le nucléaire, comme la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie », note l'entourage de la ministre. Varsovie, elle, vient de signer avec l'américain Westinghouse un accord sur la conception d'une première centrale nucléaire en Pologne.

L'AEN, lobby du secteur, estime même qu'il faudrait tripler la capacité mondiale de production d'énergie nucléaire d'ici à 2050 pour atteindre la neutralité carbone à cet horizon. Un discours auquel n'adhère pas du tout l'ONG anti-nucléaire Greenpeace. Ce matin, devant le Château de la Muette, des activistes de l'association ont ainsi brandi des banderoles sur lesquelles était écrit « Nucléaire : diversion climatique ». Par cette action, l'ONG entend « dénoncer le greenwashing de la France, qui promeut l'énergie nucléaire dans un contexte de crise climatique », rapporte un communiqué de presse. « Or, le nucléaire est une énergie trop lente à déployer, trop chère et trop vulnérable aux impacts du dérèglement climatique », déplore l'ONG, qui promeut un fléchage de la totalité des investissements vers les énergies renouvelables intermittentes.

Coordonner les calendriers

L'objectif de cette conférence internationale ne consiste pas à lancer un programme commun. Il s'agit plutôt « de créer des coopérations industrielles et des habitudes de travail », explique le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher. L'idée est « de mettre en commun nos problématiques, nos expériences », poursuit-on. Au menu des discussions, une question majeure : comment se coordonner en termes de calendrier sur les constructions de réacteurs ? A l'heure où il faut recréer une filière industrielle en Europe, des chantiers trop concomitants pourraient accentuer les risques de pénuries de main-d'œuvre... Pour mémoire, rien que pour la relance nucléaire française, les besoins sont évalués à 100.000 recrutements au cours des dix prochaines années.

Et alors que certains pays de l'OCDE n'ont pas construit de nouvelles centrales depuis 20, voire 30 ans, les défis autour « des compétences, de la chaîne d'approvisionnement, de l'expertise et de la gestion » de projets sont « tous aussi importants les uns que les autres », a souligné William D. Magwood IV, le directeur général de l'AEN, devant la presse. « Tous peuvent être résolus, a-t-il estimé. Mais il faut s'y mettre immédiatement. ».

Il y a dix jours, Fatih Birol, le directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), avait justement appelé les industriels du nucléaire à tenir leurs calendriers, alors que selon le scénario « Net Zero » de l'agence, le rythme de déploiement de nouvelles capacités nucléaires doit être multiplié par quatre d'ici à 2030 pour tenir les objectifs de lutte contre le changement climatique.

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Appel aux financements internationaux

Autre grand sujet : celui du financement et en particulier du financement international. Agnès Pannier-Runacher a appelé les banques multilatérales de développement, les institutions financières internationales et les organisations régionales (dont l'Union européenne) à apporter des financements à l'énergie nucléaire. « Sur ce sujet, il y a encore beaucoup de travail à faire » car  « il n'y a pas de financements internationaux , déplore son entourage.

La ministre française a insisté sur la nécessité d'avoir des règles du jeu équitables entre les différentes technologies nécessaires à l'atteinte de la neutralité carbone, en faisant ainsi référence à la différence de traitement entre les énergies renouvelables et le nucléaire à l'échelle européenne, sous le poids de Berlin farouchement opposé à tout soutien vers l'atome civil. « La même approche, la même taxonomie, le même type de mécanismes financiers doivent être mis en œuvre par toutes les institutions », a-t-elle lancé.

Elle a tout de même salué le discours d'Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, laquelle a surpris de nombreux observateurs en mettant en avant le rôle du nucléaire dans la transition énergétique, lors du Sommet sur le Pacte vert organisé le 26 septembre à Prague (qui prévoit de construire un nouveau réacteur). Un positionnement relativement nouveau de sa part.

Se défaire de la dépendance à la Russie

Dernier grand sujet de discussions : la question de la dépendance à la Russie de plusieurs pays de l'OCDE, comme la Corée, pour l'enrichissement de l'uranium, une étape clef dans la fabrication des combustibles nucléaires. « Clairement, il y a un désir d'accélérer le déploiement de nouvelles capacités [d'enrichissement de l'uranium, ndlr] en dehors de Russie. (...) Il y a eu quelques progrès dans cette direction, mais il en faut beaucoup plus. (...) Nous devons commencer maintenant, le temps des discussions est vraiment résolu », a assuré William D. Magwood IV.

« Nous n'avons pas le temps d'organiser des conférences calmes et conviviales. Nous sommes ici pour travailler, nous sommes ici pour prendre des décisions, nous sommes ici pour faire avancer les choses », avait-il aussi lancé en guise d'introduction. Le fait que la quasi totalité des tables rondes et échanges ne soient pas accessibles à la presse laisse à penser que des décisions pourraient effectivement être prises.

Juliette Raynal

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Commentaires 5
à écrit le 28/09/2023 à 16:59
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Ce n'est qu'une braderie de notre fleuron industriel que les intérêts étrangers auront vite fait de démolir : La vente du nucléaire français est une perte de souveraineté organisée. Et vu que cette industrie a des implications militaires majeures, c'...

à écrit le 28/09/2023 à 9:09
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Comme pour la restauration de Notre Dame, pour le nucléaire il faut trouver un Georgelin on ne va pas demander à ceux qui pillent la France (je pense à Alstom Énergie) de faire des grandes choses. Dans les faits ils ne savent pas et ne font que distr...

le 28/09/2023 à 10:52
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Depuis le printemps, le dirigeant d'un site de pointe Framatome, à Romans sur Isère, est justement un ancien amiral !

à écrit le 28/09/2023 à 8:30
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En effet notre pays a été incapable d'investir suffisamment dans ce domaine d'activité alors que celui-ci l'exigeait, le pognon a été gaspillé en pots de vin et autres magouilles et malversation dévastant ainsi le secteur, avec une entente internatio...

à écrit le 28/09/2023 à 7:53
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les socialistes sont indecrotables!!! ils ont coule le nucleaire pour se feliciter de le remonter!! il n'y a plus ni l'argent, ni les competences!! ils ont ruine des epargnants en placant edf a 35 euros, en manipulant les cours ( segolene royal passa...

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