Nucléaire : l'alliance industrielle sur les petits réacteurs se précise en Europe

Quelle forme prendra concrètement l'alliance industrielle européenne sur les SMR, annoncée en novembre dernier et dont la concrétisation est attendue début 2024 ? Pour faire face à la concurrence américaine, les pays européens pro-nucléaires étudient la mise en place d'un PIIEC, un mécanisme déjà déployé dans le domaine des batteries et de l'hydrogène... L'outil, qui permet de soutenir des projets industriels grâce à des aides d'Etat significatives, a toutefois été vivement critiqué en raison de sa mise en œuvre fastidieuse.
Juliette Raynal
En France, la start-up Jimmy développe un projet de micro réacteur nucléaire modulaire. Elle a récemment obtenu le soutien de l'Etat dans le cadre du plan France 2030.
En France, la start-up Jimmy développe un projet de micro réacteur nucléaire modulaire. Elle a récemment obtenu le soutien de l'Etat dans le cadre du plan France 2030. (Crédits : Jimmy)

Donner les moyens à l'Union européenne de tirer son épingle du jeu dans la course mondiale aux petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR) en mettant en place un Projet important d'intérêt européen (PIIEC), lequel permettrait aux Etats membres de financer des projets au-delà des règles très strictes de la concurrence européenne. C'est ce que pourrait annoncer la Commission européenne d'ici la fin du premier trimestre 2024. Le 7 novembre dernier, Kadri Simon, la commissaire européenne à l'énergie avait fait part du lancement prochain d'une alliance industrielle européenne autour de ces réacteurs de faible puissance. Toutefois, sa mise en œuvre concrète reste encore à définir.

Aujourd'hui, quelque 80 projets de SMR sont en cours de développement dans le monde, selon le recensement de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA). Ces derniers sont présentés comme des outils clés de la décarbonation du système électrique et donc de la lutte contre le réchauffement climatique car leurs caractéristiques permettraient de remplacer facilement les centrales à charbon, grandes émettrices de CO2. Ils pourraient aussi être déployés directement sur des sites industriels en leur fournissant chaleur, vapeur et électricité.

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Le PIIEC étudié par le club du nucléaire

Alors que leur pertinence économique reste à démontrer et que leur concept pose de nouvelles questions en termes de sécurité, la plupart d'entre eux vise une connexion au réseau électrique au cours de la décennie 2030. La France espère se tailler une place de choix dans cette compétition internationale, notamment grâce au projet Nuward piloté par EDF. Elle soutient aussi une poignée de startups sur ce créneau dans le cadre du plan France 2030. Reste que les Etats-Unis et la Chine présentent une longueur d'avance tant par le nombre de projets recensés que par leur stade de développement.

C'est dans ce contexte qu'un PIIEC pour les SMR pourrait voir le jour, après que ce mécanisme ait déjà été déployé par la Commission européenne dans le domaine des batteries ou encore de l'hydrogène propre. La mise en place d'un PIIEC pour soutenir les projets de SMR européens « fait partie des questions dont il faudra discuter », a ainsi indiqué hier à la presse un membre du cabinet de la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, en amont d'une nouvelle réunion du club du nucléaire, qui s'est tenu ce mardi matin, en marge d'un conseil européen de l'énergie. Cette piste « fait partie des solutions possibles et c'est à la Commission de le proposer », a précisé l'entourage de la ministre.

Contrer l'offensive américaine

« La conviction qui a été partagée » par les pays membres du club du nucléaire, initié par la France il y a 18 mois et regroupant désormais 14 pays, « est bien que le développement des SMR, et plus généralement du nucléaire innovant, est d'intérêt européen commun », a commenté son cabinet après la réunion, soulignant que certaines startups soutenues en France avaient déjà une dimension européenne. C'est notamment le cas de Newcleo, une jeune pousse italo-britannique dont la plus grosse filiale se situe à Lyon.

Le PIIEC est, par ailleurs, une piste largement soutenue par Christophe Grudler, eurodéputé fervent défenseur de l'atome civil au sein du groupe Renew, affilié à la majorité présidentielle. « Nous estimons qu'une décision doit être prise au mois de février au plus tard. Compte tenu des élections européennes en juin prochain, le travail parlementaire s'arrêtera en avril. Or, il nous faut un minimum de temps pour abonder le texte », explique celui qui œuvre pour la création d'une alliance industrielle autour des SMR depuis plus de deux ans via le travail d'un intergroupe informel regroupant quelque 120 eurodéputés.

Dans les grandes lignes, cette alliance industrielle en devenir vise trois objectifs : accélérer le déploiement de ces petites unités sur le Vieux-Continent, mettre en place une chaîne d'approvisionnement au sein de l'Union européenne et soutenir la formation d'une main d'œuvre qualifiée.

Les SMR pour faire « goûter » le nucléaire

Pour l'eurodéputé, muscler les Etats membres sur cette technologie est indispensable afin de contrer « l'offensive américaine sur les SMR » en Europe de l'Ouest. « En Bulgarie, en Roumanie et en Ukraine, les Etats-Unis mènent ce que j'appelle une diplomatie commerciale, qui consiste à proposer leur aide en échange d'achat de SMR », assure-t-il. Or, « les SMR constituent une porte d'entrée sur le nucléaire », pointe Christophe Grudler. « Pour les pays non équipés, cela permet de goûter au nucléaire, avant de demander peut-être une plus grosse part par la suite, avec un EPR [réacteur nucléaire classique de grosse puissance, ndlr] par exemple », projette-t-il.

Il est donc « impératif » que l'alliance européenne sur les SMR « permettent d'abord aux industriels européens de se mettre d'accord entre eux », estime Christophe Grudler, pour qui « aucune place » ne doit être faite à des acteurs étrangers qui n'auraient pas de sites de production localisés sur le Vieux Continent. « Il faut être ferme là-dessus », met-il en garde.

Vers une réforme des PIIEC ?

Si l'instauration d'un PIIEC semble plébiscitée, des craintes demeurent sur sa mise en œuvre opérationnelle au regard des temps d'instruction extrêmement longs observés dans le domaine de l'hydrogène. « Le dernier dossier a été accordé au bout d'un délai de trois ans », déplore Christophe Grudler. C'est un outil « assez lourd », reconnaît également l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher, qui précise que le régime juridique sur lequel reposerait cette coopération industrielle n'était pas encore arrêté.

De son côté, Christophe Grudler invite « la commission européenne à mettre les personnes au bon endroit pour estimer ces projets » afin que le temps d'instruction ne dépasse pas un délai de six mois. Il plaide également pour une « réforme des PIIEC afin d'y ajouter une couche d'argent européen ». Pour mémoire, aujourd'hui un PIIEC ne permet pas de financer directement des projets via des subventions européennes, mais aux Etats membres de financer des initiatives au-delà des aides habituellement permises dans le cadre du marché unique européen. « Cette couche supplémentaire d'argent européen permettrait de soutenir les pays qui n'ont pas les moyens d'apporter des aides d'Etat substantielles », précise-t-il.

Juliette Raynal

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Commentaires 11
à écrit le 20/12/2023 à 21:08
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@Labo - Qu'un de ces réacteurs soit "pris en otage" , saboté, avec des conséquences incalculables.

à écrit le 20/12/2023 à 14:27
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Mia-miam ça sent bon les subventions publiques, il ne manquait que le moyen de faire retomber l'échec du projet sur quelqu'un d'autre que soi même quand on aura mangé les subventions... Cette association entre entreprises de pays différents, c'est e...

à écrit le 20/12/2023 à 14:27
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Mia-miam ça sent bon les subventions publiques, il ne manquait que le moyen de faire retomber l'échec du projet sur quelqu'un d'autre que soi même quand on aura mangé les subventions... Cette association entre entreprises de pays différents, c'est e...

à écrit le 20/12/2023 à 12:18
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Afin de sauver la planète et de gagner des années de développement, il faudrait demander le support aux Russes grands spécialistes des mini centrales nucléaires, voir celle en Article et tous les brises glaces nucléaires. A suggérer à la commission e...

le 20/12/2023 à 13:50
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C'est cela, oui... vous êtes un grand plaisantin.

à écrit le 20/12/2023 à 10:45
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Pourquoi les Européens devraient-ils s'entendre sur les conditions-cadre des petits réacteurs nucléaires? Qui devrait-il bénéficier? Certainement pas les États qui rejettent l'énergie nucléaire. Je soupçonne qu'il devrait en particulier utiliser la F...

à écrit le 20/12/2023 à 9:44
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"Il est donc « impératif » que l'alliance européenne sur les SMR « permettent d'abord aux industriels européens de se mettre d'accord entre eux », estime Christophe Grudler, pour qui « aucune place » ne doit être faite à des acteurs étrangers qui n'a...

à écrit le 20/12/2023 à 8:41
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"les Vingt-Sept (UE) n'ont jamais été aussi proches d'un accord" "l'alliance industrielle sur les petits réacteurs se précise en Europe" Je comprends pourquoi ils donnent de la tune à ceux qui disent du bien de l'UE, rien que techniquement c'est hype...

à écrit le 20/12/2023 à 2:06
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Les SMR un coup tordu des Allemands contre la France pour les empêcher de construire des centrales atomiques ! C’était soit les SMR soit rien du tout

à écrit le 19/12/2023 à 22:19
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La dissémination de petits réacteurs nucléaires n'est pas une bonne chose au plan de la sécurité. Déployés sur des sites industriels, les risques vont être majeurs.

le 20/12/2023 à 8:51
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Bien d'accord ! Pour permettre le développement des SMR, il va falloir rogner sur les règles de sécurité qui sont si lourdes et si couteuses pour les gros réacteurs et qui conduisent à des prix de kWh toujours plus élevés : ça sera toujours ça de gag...

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