Donner les moyens à l'Union européenne de tirer son épingle du jeu dans la course mondiale aux petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR) en mettant en place un Projet important d'intérêt européen (PIIEC), lequel permettrait aux Etats membres de financer des projets au-delà des règles très strictes de la concurrence européenne. C'est ce que pourrait annoncer la Commission européenne d'ici la fin du premier trimestre 2024. Le 7 novembre dernier, Kadri Simon, la commissaire européenne à l'énergie avait fait part du lancement prochain d'une alliance industrielle européenne autour de ces réacteurs de faible puissance. Toutefois, sa mise en œuvre concrète reste encore à définir.
Aujourd'hui, quelque 80 projets de SMR sont en cours de développement dans le monde, selon le recensement de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA). Ces derniers sont présentés comme des outils clés de la décarbonation du système électrique et donc de la lutte contre le réchauffement climatique car leurs caractéristiques permettraient de remplacer facilement les centrales à charbon, grandes émettrices de CO2. Ils pourraient aussi être déployés directement sur des sites industriels en leur fournissant chaleur, vapeur et électricité.
Le PIIEC étudié par le club du nucléaire
Alors que leur pertinence économique reste à démontrer et que leur concept pose de nouvelles questions en termes de sécurité, la plupart d'entre eux vise une connexion au réseau électrique au cours de la décennie 2030. La France espère se tailler une place de choix dans cette compétition internationale, notamment grâce au projet Nuward piloté par EDF. Elle soutient aussi une poignée de startups sur ce créneau dans le cadre du plan France 2030. Reste que les Etats-Unis et la Chine présentent une longueur d'avance tant par le nombre de projets recensés que par leur stade de développement.
C'est dans ce contexte qu'un PIIEC pour les SMR pourrait voir le jour, après que ce mécanisme ait déjà été déployé par la Commission européenne dans le domaine des batteries ou encore de l'hydrogène propre. La mise en place d'un PIIEC pour soutenir les projets de SMR européens « fait partie des questions dont il faudra discuter », a ainsi indiqué hier à la presse un membre du cabinet de la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, en amont d'une nouvelle réunion du club du nucléaire, qui s'est tenu ce mardi matin, en marge d'un conseil européen de l'énergie. Cette piste « fait partie des solutions possibles et c'est à la Commission de le proposer », a précisé l'entourage de la ministre.
Contrer l'offensive américaine
« La conviction qui a été partagée » par les pays membres du club du nucléaire, initié par la France il y a 18 mois et regroupant désormais 14 pays, « est bien que le développement des SMR, et plus généralement du nucléaire innovant, est d'intérêt européen commun », a commenté son cabinet après la réunion, soulignant que certaines startups soutenues en France avaient déjà une dimension européenne. C'est notamment le cas de Newcleo, une jeune pousse italo-britannique dont la plus grosse filiale se situe à Lyon.
Le PIIEC est, par ailleurs, une piste largement soutenue par Christophe Grudler, eurodéputé fervent défenseur de l'atome civil au sein du groupe Renew, affilié à la majorité présidentielle. « Nous estimons qu'une décision doit être prise au mois de février au plus tard. Compte tenu des élections européennes en juin prochain, le travail parlementaire s'arrêtera en avril. Or, il nous faut un minimum de temps pour abonder le texte », explique celui qui œuvre pour la création d'une alliance industrielle autour des SMR depuis plus de deux ans via le travail d'un intergroupe informel regroupant quelque 120 eurodéputés.
Dans les grandes lignes, cette alliance industrielle en devenir vise trois objectifs : accélérer le déploiement de ces petites unités sur le Vieux-Continent, mettre en place une chaîne d'approvisionnement au sein de l'Union européenne et soutenir la formation d'une main d'œuvre qualifiée.
Les SMR pour faire « goûter » le nucléaire
Pour l'eurodéputé, muscler les Etats membres sur cette technologie est indispensable afin de contrer « l'offensive américaine sur les SMR » en Europe de l'Ouest. « En Bulgarie, en Roumanie et en Ukraine, les Etats-Unis mènent ce que j'appelle une diplomatie commerciale, qui consiste à proposer leur aide en échange d'achat de SMR », assure-t-il. Or, « les SMR constituent une porte d'entrée sur le nucléaire », pointe Christophe Grudler. « Pour les pays non équipés, cela permet de goûter au nucléaire, avant de demander peut-être une plus grosse part par la suite, avec un EPR [réacteur nucléaire classique de grosse puissance, ndlr] par exemple », projette-t-il.
Il est donc « impératif » que l'alliance européenne sur les SMR « permettent d'abord aux industriels européens de se mettre d'accord entre eux », estime Christophe Grudler, pour qui « aucune place » ne doit être faite à des acteurs étrangers qui n'auraient pas de sites de production localisés sur le Vieux Continent. « Il faut être ferme là-dessus », met-il en garde.
Vers une réforme des PIIEC ?
Si l'instauration d'un PIIEC semble plébiscitée, des craintes demeurent sur sa mise en œuvre opérationnelle au regard des temps d'instruction extrêmement longs observés dans le domaine de l'hydrogène. « Le dernier dossier a été accordé au bout d'un délai de trois ans », déplore Christophe Grudler. C'est un outil « assez lourd », reconnaît également l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher, qui précise que le régime juridique sur lequel reposerait cette coopération industrielle n'était pas encore arrêté.
De son côté, Christophe Grudler invite « la commission européenne à mettre les personnes au bon endroit pour estimer ces projets » afin que le temps d'instruction ne dépasse pas un délai de six mois. Il plaide également pour une « réforme des PIIEC afin d'y ajouter une couche d'argent européen ». Pour mémoire, aujourd'hui un PIIEC ne permet pas de financer directement des projets via des subventions européennes, mais aux Etats membres de financer des initiatives au-delà des aides habituellement permises dans le cadre du marché unique européen. « Cette couche supplémentaire d'argent européen permettrait de soutenir les pays qui n'ont pas les moyens d'apporter des aides d'Etat substantielles », précise-t-il.
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