2024, l'année de la mise en musique de la relance du nucléaire ? Annoncée par Emmanuel Macron en février 2022 lors de son fameux discours de Belfort, la renaissance de cette industrie devrait bientôt devenir réalité, espère le gouvernement. La Première ministre, Élisabeth Borne, l'a assuré : le projet de loi sur la souveraineté énergétique de la France, censé entériner la construction de six réacteurs EPR 2 (assortis de 8 en option) et la prolongation « autant que possible » du parc historique, sera l'un des tout premiers textes présentés au Parlement l'an prochain. Avec, néanmoins, un sacré décalage : à l'origine, son examen était prévu en juillet 2023...
Qu'importe : l'heure n'est plus aux atermoiements, estime l'exécutif. Il peut d'ailleurs s'appuyer sur la très prochaine mise en service de l'EPR normand de Flamanville, attendue également en 2024... avec douze ans de retard et plus de vingt-cinq ans après le démarrage du dernier réacteur atomique français, à Civaux (Vienne). « Même si l'on n'effacera pas les déboires, affirme à La Tribune Dimanche un ingénieur nucléaire ayant requis l'anonymat, ce sera un pivot pour actionner la filière. » Laquelle reprend donc des couleurs malgré une décennie d'abandon découlant entre autres de l'accident japonais de Fukushima en 2011.
Huit réacteurs supplémentaires
Et elle a du pain sur la planche. Si les deux premiers EPR 2 - leur conception a évolué par rapport à l'EPR de Flamanville - ne sont pas attendus avant 2035 au mieux, leur chantier débutera là aussi en 2024 sur le site de Penly, en Seine-Maritime. Sans perdre une minute, EDF a déposé en juin dernier les demandes d'autorisation de construction, et compte entamer « courant 2024 » les travaux préparatoires, qui comprennent le terrassement et l'élaboration de la plateforme. En parallèle, l'énergéticien devra arrêter leur plan détaillé, tandis que les grandes options de conception et de sûreté ont d'ores et déjà été validées par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). « En 2024, 70 % des études de design seront terminées, contre moins de 30 % pour l'EPR de Flamanville à l'époque », note Tristan Kamin, ingénieur d'études en sûreté nucléaire. Dans la foulée, Emmanuel Macron devrait d'ailleurs officialiser le projet de construction de huit réacteurs supplémentaires, comme il l'a laissé entendre mi-décembre à Toulouse.
Pour dérouler cette partition, la France continuera aussi à travailler au retour en grâce de l'atome sur le Vieux Continent. « Alors que des élections européennes auront lieu en juin, elle se battra pour que soient fixés des objectifs sur les énergies décarbonées en général, dont le nucléaire, plutôt que sur les renouvelables seuls, affirme une source informée, mais aussi pour enlever l'exclusion de principe de l'atome des fonds européens comme le fonds de transition juste. »Depuis février, l'Hexagone plante des graines en ce sens, à travers l'orchestration d'une « Alliance du nucléaire » comprenant aujourd'hui 12 États membres.
Casse-tête et débats houleux
Plusieurs bémols subsistent néanmoins. Notamment sur le financement des EPR : qui de l'État, du consommateur ou d'EDF en assumera les frais ? « On parle de 50 milliards pour les six premiers et de 60 milliards pour les huit suivants ! » rappelle Tristan Kamin. Cet été, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a assuré que cette question serait résolue « d'ici à fin 2024 ». Mais un casse-tête se profile, alors que l'exécutif veut équilibrer les finances publiques tout en passant sous les fourches caudines de Bruxelles, opposé à trop d'aides étatiques... À régler également : l'avenir de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), que le gouvernement entend fusionner avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Ce qui promet des débats houleux au Parlement dès le mois de février.
Enfin, la filière attend de pied ferme des décisions sur le retraitement des combustibles usés. Car pour continuer à les recycler après un premier passage en centrale, il faudra renouveler les infrastructures, qui - comme les réacteurs - ne sont pas éternelles. « C'est maintenant que l'on doit décider si l'on réinvestit dedans, ce qui implique de lancer un énorme chantier d'au moins dix ans ! » presse Nicolas Goldberg, responsable énergie à Terra Nova. Selon l'agence chargée de la gestion des déchets radioactifs, l'Andra, ce choix aura d'ailleurs plus d'impact sur le volume de déchets ultimes que la construction d'EPR, avec 70 % de matières radioactives en plus à enterrer si rien n'est fait par rapport à un scénario de multirecyclage. Une chose est sûre : après le temps des annonces viendra celui de l'action pour l'industrie nucléaire, qui aura tout à prouver. ■
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