LA TRIBUNE DIMANCHE - Pourquoi êtes-vous contre l'idée d'accueillir le futur SMR d'EDF, Nuward, sur le site de Marcoule ?
RAPHAËL SCHELLENBERGER - Implanter le SMR Nuward à Marcoule n'a pas de sens. À l'origine, ce lieu devait abriter un prototype de réacteur à neutrons rapides, dans le cadre du programme Astrid développé jusqu'en 2019. L'idée était alors de mettre en place un réacteur de quatrième génération fonctionnant en cycle fermé, c'est-à-dire capable de réutiliser l'uranium naturel presque à l'infini, contrairement aux centrales actuelles. Mais, en 2019, l'État a abandonné cette solution pour des motifs politiques, dans une optique de repli progressif du nucléaire. Cinq ans plus tard, alors même que l'exécutif a acté sa volonté de renouer avec cette source d'énergie, il n'est pas revenu sur cette décision. Et plutôt que de relancer un programme de type Astrid, il va probablement choisir d'implanter le SMR Nuward à Marcoule. Or il ne s'agit pas là d'une technologie innovante : même s'il est plus petit que les réacteurs que l'on connaît, Nuward se base sur le même principe : celui d'un réacteur à eau pressurisé, qui ne permet pas de fonctionner en cycle fermé. N'importe quel site nucléaire peut l'accueillir. À l'inverse, si l'on souhaite se repencher un jour sur les réacteurs innovants de quatrième génération, il n'existe que deux lieux possibles d'implantation en France : les centres de recherche du Commissariat à l'énergie atomique [CEA] de Cadarache [Bouches-du-Rhône] et de Marcoule, qui concentrent les laboratoires nécessaires. Marcoule est même le seul site qui coche toutes les cases, avec un fleuve à proximité pour refroidir le réacteur. Il ne faut pas gaspiller ce foncier.
Quel serait l'intérêt d'un réacteur à neutrons rapides aujourd'hui ?
L'idée d'accroître la souveraineté énergétique de la France revient en force. Or, à l'heure actuelle, le bon fonctionnement de nos centrales repose sur l'extraction d'uranium au Kazakhstan, au Niger ou en Ouzbékistan. Passer aux neutrons rapides assurerait la disponibilité de combustible pour des centaines d'années ! D'autant que le cours de l'uranium monte, dopé par un intérêt nouveau pour le nucléaire dans le monde.
Par ailleurs, il s'agit d'une technologie française qui a déjà fonctionné. Trois prototypes de recherche ont vu le jour : Rapsodie [arrêté en 1983] Superphénix [jusqu'en 1998] et Phénix [stoppé en 2009]. J'appelle donc à un vrai débat au conseil de politique nucléaire. Astrid est prêt, la France a travaillé dix ans dessus. Il ne faut pas que derrière une annonce d'apparence positive sur les SMR et le multirecyclage se cache en réalité un renoncement de la part du gouvernement.
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