Cela peut paraître contre-intuitif, mais pour les entreprises développant des petits réacteurs nucléaires modulaires, les fameux SMR, dont certains ne devraient pas dépasser la taille d'un conteneur industriel, la question du foncier demeure cruciale.
« Vous avez beau avoir un réacteur nucléaire modulaire plus petit qu'un réacteur conventionnel, il faut de la place autour d'un SMR/AMR pour intégrer les systèmes de conversion d'énergie, la zone de chantier, etc. », explique Sylvain Nizou, PDG de la startup Hexana, qui développe un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium.
Ainsi, alors que les premiers prototypes, démonstrateurs ou têtes de série ne sont pas attendus avant 2030, pour la plupart, le choix de leur localisation devient de plus en plus pressant.
Sécuriser un site d'ici à 2025
« La question du foncier est essentielle pour notre tête de série industrielle. L'objectif est de sécuriser assez vite un site avec une localisation arrêtée d'ici à 2025 », assure ainsi Sylvain Nizou, tandis que la mise en service de son premier réacteur commercial n'est envisagée qu'en 2035. Pour tenir les engagements, « il est urgent que l'Etat prenne une décision sur l'attribution de sites pour les réacteurs innovants », abonde-t-on du côté de Newcleo.
Cette jeune pousse italo-britannique entend présenter en France un démonstrateur d'une capacité de 30 mégawatts (MW) d'un réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb. Et ce, dès 2030. « Il est nécessaire que ces décisions soient prises au plus tard à la mi-année, avec des indications prévisionnelles espérée dès le Conseil de politique nucléaire de février afin de ne pas bloquer les études de conception en cours », précise un porte-parole. Même son de cloche du côté de Naarea, dont le calendrier très ambitieux table sur un premier prototype à l'horizon 2028. « Nous avons formulé une demande à travers le programme France 2030 mais nous n'avons toujours pas de réponse », regrette Jean-Luc Alexandre, son président fondateur.
Plusieurs hectares
Cet empressement plus prononcé est lié à une particularité propre à Naarea, dont les besoins fonciers seront plus importants dans un premier temps. En effet, la jeune pousse développe un micro réacteur nucléaire à neutrons rapides à sels fondus, une technologie encore peu mature, qui nécessite forcément de passer par la case d'un « prototype nucléaire ».
« Or, l'empreinte au sol du prototype n'est pas du tout la même que l'empreinte du réacteur de série. Cela change énormément entre les deux car pour le prototype il faut prévoir de l'espace supplémentaire afin de répondre aux demandes des autorités qui veulent s'assurer du respect des normes de sûreté et de sécurité. Pour faire la démonstration de sûreté, nous devons proposer des conditions de sécurité optimale et prouver que cela est parfaitement maîtrisé afin d'aller vers une tête de série à l'emprise plus resserrée », fait valoir Jean-Luc Alexandre. « Pour notre technologie, il faut compter plusieurs hectares d'emprise au sol pour le centre d'essai du prototype », confie-t-il, alors que le mini réacteur est conçu pour faire la taille d'un conteneur.
Newcleo évalue également une emprise au sol de plusieurs hectares pour son démonstrateur de 30 MW, qui, à lui seul, ne mesure que 6 mètres de diamètre pour 6 mètres de haut.
En parallèle de ces attentes, plusieurs sites semblent se dégager, à l'image de celui du CEA Marcoule (Gard), où une partie de l'histoire du nucléaire français s'est écrite. Selon Les Echos, EDF s'apprêterait à recevoir le feu vert de l'exécutif afin d' y implanter sa première paire de réacteurs modulaires Nuward de 170 MW chacun. Pour l'heure, l'entourage du ministre de l'Economie Bruno Le Maire, dont le portefeuille a été élargi à l'Énergie, dit « ne pas confirmer » cette information. Et pour cause, « une telle décision doit être prise au plus haut sommet de l'Etat », pointent plusieurs acteurs du secteur. Début janvier, Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la Transition énergétique, avait expliqué dans nos colonnes que « des décisions sur les petits réacteurs nucléaires modulaires, au-delà des soutiens financiers de France 2030, pourraient être prises » lors du prochain Conseil de politique nucléaire (CPN), piloté par Emmanuel Macron. Initialement prévu fin janvier, ce rendez-vous clé pour la relance du nucléaire a été repoussé en raison du remaniement. Interrogés, EDF et le CEA se refusent à tout commentaire.
Marcoule attise les convoitises
Quand bien même aucune décision officielle n'a encore été prise, les spécialistes du secteur s'accordent à pointer la pertinence de ce site nucléaire, créé il y a presque 70 ans. Les lieux multiplient incontestablement les atouts. En termes d'acceptabilité d'abord. « Tous les riverains sont des proches ou des travailleurs du site », qui emploie quelque 5.000 salariés, dont 1.700 du CEA, pointe Tristan Kamin, ingénieur en sûreté nucléaire. Le site, initialement de nature militaire, a déjà accueilli une série de réacteurs, aujourd'hui en cours de démantèlement. « Les réacteurs G1, G2, et G3 servaient à produire le plutonium pour la bombe H », rappelle l'ingénieur. Marcoule a également abrité le réacteur à neutrons rapides Phénix, mis à l'arrêt, il y a 15 ans. Il est, par ailleurs, situé en bordure du Rhône et dispose ainsi d'une capacité de refroidissement importante. Un point clé pour les SMR de troisième génération de taille plus conséquente, comme Nuward.
Surtout, le site et ses 40 hectares disponibles devait accueillir le démonstrateur du réacteur de quatrième génération Astrid. Un projet abandonné par le CEA en 2019. Outre, l'aspect pratique et le gain de temps considérable d'un terrain déjà préparé, l'accueil d'une première paire de SMR Nuward; dont le stade de développement est le plus avancé parmi tous les projets, se justifierait « politiquement » par le fait de créer une « continuité après l'abandon du projet Astrid », estime Tristan Kamin.
Mais le site de Marcoule, qui compte aujourd'hui 30 laboratoires et quelque 700 chercheurs du CEA, spécialisés notamment dans le cycle du combustible, intéresse également d'autres prétendants comme Hexana, dont le projet de SMR est l'héritage direct des travaux sur Astrid. Naaera, qui préconise de mutualiser son approche avec d'autres startups afin d'optimiser leur empreinte au sol, lorgne également le terrain. Son fondateur estime ainsi que plusieurs projets pourraient s'implanter sur le site. L'idée serait de mettre en commun des éléments au-delà du bâtiment réacteur, comme la salle de contrôle à distance ou la tour aéroréfrigérante, par exemple.
Les sites de Cadarache, La Hague et Pierrelatte envisagés
Pour autant, Marcoule n'est pas le seul emplacement capable d'accueillir les premiers SMR. Plusieurs acteurs du secteur évoquent Cadarache, un autre site du CEA situé dans les Bouches-du-Rhône. Lui aussi dispose d'une importante réserve foncière, mais aussi d'expertises précieuses pour le développement de réacteurs innovants. C'est sur ce site qu'est notamment construit le réacteur de recherche Jules Horowitz, lequel vise à fournir des données scientifiques sur le comportement des matériaux et des combustibles nucléaires. En revanche, la parcelle n'est pas située en bordure de fleuve, ce qui pourrait manquer à un projet comme Nuward.
D'autres observateurs évoquent aussi La Hague et Pierrelatte où sont situées les usines d'Orano (ex-Areva) spécialiste du cycle du combustible. « Ces sites pourraient intéresser des startups qui entendent développer leurs propres combustibles nucléaires, à l'image de Newcleo », estime un acteur du secteur. Ils disposeraient également d'importantes ressources foncières.
Une question de planification
Pour d'autres startups, la question de la localisation est différente. C'est la cas notamment de Jimmy, qui entend uniquement produire de la chaleur à partir de son petit réacteur. L'enjeu pour elle est donc d'installer son premier démonstrateur à l'intérieur même d'un site industriel, dont le nom devrait être connu d'ici le printemps.
Pour Sylvain Nizou, « il n'y a pas de dogme » en matière d'implantation. « Pour chaque projet, il faudra prendre en considération trois éléments : le foncier disponible, les capacités de refroidissement ainsi que les expertises présentes sur place », résume-t-il. « La question de l'implantation relève d'une planification énergétique et de l'aménagement du territoire. Elle nécessite de regarder le fond des dossiers », insiste-t-il.
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