TotalEnergies investit dans Xlinks, ce projet fou d'interconnexion électrique entre le Maroc et le Royaume-Uni

TotalEnergies a investi un peu plus de 20 millions d'euros dans la société britannique Xlinks, qui entend acheminer de l'électricité issue de champs solaires et éoliens marocains jusqu'au Devon, un comté du sud-ouest de l'Angleterre. Et ce, grâce à quatre gigantesques câbles sous-marins de 3.800 kilomètres de long. Les quelque 500 éoliennes et 12 millions de panneaux solaires, couplés à un vaste système de batterie, devraient permettre de répondre à 8% des besoins électriques du Royaume-Uni. Un projet pharamineux qui interroge la soutenabilité du modèle d'exportation du Maroc.
Juliette Raynal
Vue du Maroc
Vue du Maroc (Crédits : Capture d'écran Xlinks)

Des interconnexions sous-marines d'un nouveau genre pourraient voir le jour d'ici la fin de la décennie : les interconnexions électriques intercontinentales. Une innovation qui intéresse de près TotalEnergies. Et pour cause, le groupe français a annoncé cette semaine prendre une participation dans le méga-projet de la société britannique Xlinks. Dirigée par Simon Morrish, elle entend acheminer de l'électricité, issue de champs solaires et éoliens marocains, depuis la région en pleine transformation de Guelmim-Oued Noun, jusqu'au Devon, un comté du sud-ouest de l'Angleterre. Et ce, grâce à quatre gigantesques câbles de 3.800 kilomètres de long.

Pour rappel, les interconnexions électriques sous-marines sont relativement communes. La France et l'Angleterre, par exemple, sont reliées depuis 1986 par l'interconnexion IFA 2000, qui passe sous la Manche. Une interconnexion supplémentaire IFA2, comprenant 200 km de câbles sous-marins, a été mise en service en 2021. En France, d'autres projets d'interconnexion, dont une partie passe sous la mer, sont actuellement en cours notamment avec l'Espagne et l'Irlande. Côté Angleterre, North Sea Link, qui relie le pays à la Norvège, est, quant à elle, la plus longue interconnexion sous-marine actuellement en service dans le monde (720 kilomètres).

Un projet intercontinental à 20 milliards

L'interconnexion développée par Xlinks devrait, elle, entrer en service à l'horizon 2030. Fondée il y cinq ans, l'entreprise est déjà soutenue par le groupe émirati Abu Dhabi National Energy Company, plus connu sous le nom de Taqa, qui a injecté 25 millions de livres (soit environ 29 millions d'euros), et par le fournisseur britannique Octopus Energy, qui a investi à hauteur de 5 millions de livres (environ 5,8 millions d'euros). La participation de TotalEnergies est, elle, minoritaire, la firme investissant 20 millions de livres (soit environ 23,15 millions d'euros). Une goutte d'eau comparée aux 13 à 15 milliards de dollars que la major prévoit d'investir annuellement entre 2022 et 2025.

Le coût total du projet devrait avoisiner 20 milliards d'euros, selon Laurent Segalen, un investisseur franco-britannique spécialisé dans les énergies propres et fondateur du podcast Redefining Energy.

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Dans le détail, les panneaux solaires et les éoliennes, couplés à un système de stockage par batterie de 5 gigawatts (GW), installés dans le sud du Maroc, doivent permettre de fournir « 3,6 GW d'énergie fiable pendant plus de 19 heures par jour en moyenne », explique un communiqué de TotalEnergies, qui précise que ce projet, une fois achevé, sera en mesure de répondre à « 8 % des besoins domestiques actuels du Royaume-Uni ». Selon l'hebdomadaire marocain TelQuel, ce projet s'implanterait sur une surface de 1.500 kilomètres carrés, afin d'accueillir quelque 12 millions de panneaux solaires et plus de 500 mâts d'éoliennes.

Le prix précis auquel sera vendu le mégawattheure n'est pas annoncé, mais Xlinks affirme pouvoir faire deux fois moins cher que l'électricité nucléaire, tandis que le tarif garanti de rachat de l'électricité qui sera produite par la future centrale d'Hinkley Point a été fixé à 92,5 livres (environ 107 euros).

Pourquoi vouloir acheminer de l'électricité de si loin ?

Toutefois, l'éloignement géographique, la complexité technique et le coût d'un tel projet interrogent. Pourquoi choisir d'acheminer de l'électricité de si loin, ce qui impliquera nécessairement une certaine déperdition d'énergie, plutôt que de construire de nouvelles capacités de production décarbonées, comme de l'éolien offshore ou des réacteurs nucléaires, localement ?

« Investir dans ce projet n'est pas absurde. Il est difficile de dire s'il se réalisera effectivement, mais il mérite d'être étudié », estime Laurent Segalen. « Le Royaume-Uni, qui est une île, cultive une tradition qui consiste à multiplier les interconnexions électriques », relève-t-il. National Grid, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité britannique, opère ainsi cinq interconnexions avec la France, les Pays-Bas, la Belgique et la Norvège, tandis qu'une sixième est en cours pour connecter le Royaume-Uni au Danemark.

« Il faut voir ce projet comme une potentielle option de diversification parmi une palette d'infrastructures stratégiques. Le raisonnement ne doit pas tant se faire sur la valeur économique que représente ce projet, mais sur sa valeur en termes de résilience pour le système électrique », poursuit Laurent Segalen.

Et pour cause, le Royaume-Uni, comme l'Union européenne, devrait voir sa consommation électrique bondir dans les prochaines années (+ 50% d'ici 2035), après deux décennies de consommation électrique stable, tirée notamment par le déploiement des véhicules électriques et des pompes à chaleur. Dans le même temps, pour tenir ses objectifs climatiques, le pays doit décarboner son mix électrique, qui repose encore à 40% sur des énergies fossiles.

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Le Maroc se rêve en grand pays exportateur de renouvelables

De l'autre côté de ce potentiel futur câble, le Maroc entend se positionner comme un grand pays exportateur d'énergies renouvelables et d'hydrogène vert. Pour cela, il mise sur son taux d'ensoleillement exceptionnel, ses vents continus et veut capitaliser sur sa stratégie énergétique mise en place en 2009. À cette époque, le royaume a lancé un vaste plan de développement des énergies renouvelables afin de réduire sa dépendance aux énergies fossiles importées.

Fin 2022, l'éolien offshore et terrestre représentait ainsi 1,54 GW, les capacités solaires 830 mégawatts, auxquels s'ajoutent 1,7 GW de puissance hydroélectrique, selon les données officielles du gouvernement, soit un peu plus de 4 GW au total. « Dans la zone Nord Afrique et Moyen-Orient, le Maroc se situe en deuxième place, derrière l'Egypte », soulignait hier Nadia Benalouache, géographe à l'université d'Aix-Marseille et experte de la transition énergétique dans cette région du monde, à nos confrères de France Culture. Résultat, les énergies renouvelables représentent aujourd'hui près de 40% des capacités électriques du pays. L'objectif est d'atteindre 52% à l'horizon 2030.

Un modèle soutenable ?

Reste que de nombreux observateurs s'interrogent sur la soutenabilité de ce modèle d'exportation, alors que le boom de production d'électricité renouvelable ne suffit pas à satisfaire la hausse de la demande électrique du pays, dopée par l'augmentation de sa population et le raccordement au réseau électrique des zones rurales.

Ainsi, en parallèle du développement des panneaux photovoltaïques et des éoliennes, le royaume ouvre aussi des centrales à charbon, très émettrices de CO2 et donc très néfastes pour le climat, comme la centrale thermique de Safi, opérée par Engie. Mise en service il y a tout juste cinq ans, elle assure aujourd'hui plus de 30% de l'approvisionnement électrique du pays.

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Dans le même temps, le Maroc, en raison de sécheresses répétées, voit ses réserves hydrauliques s'évaporer. « Le taux de remplissage des barrages est désormais de l'ordre de 20, 25% », indiquait à France Culture, Mohammed Ali Hatimy, ingénieur agroéconomiste au sein de l'ONG Nitidae et co-fondateur de la plateforme marocaine de vulgarisation climatique Nechfate.

D'autres mégas projets

Le méga projet d'Xlinks n'est pas isolé. Une autre interconnexion électrique intercontinentale est à l'étude entre l'Océanie et l'Asie. Baptisée SunCable, elle vise à transférer de l'électricité issue de gigantesques fermes solaires du nord de l'Australie vers Singapour. Le tout, reposant sur une liaison sous-marine de 4.300 kilomètres de long ! A une échelle plus modeste, l'Union européenne a noué, il y a un an, un accord avec l'Azerbaïdjan pour tirer un câble électrique entre ce pays du Caucase, situé à la frontière de l'Asie, et la Hongrie, dont 1.100 km passera sous la mer Noire.

Juliette Raynal

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Commentaires 5
à écrit le 03/12/2023 à 13:22
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Disposer des ressources de pays "en développement", pour consolider les évolutions de pays "riches", n'est ce pas ça qu'on vilipende comme "colonialisme" ?

le 03/12/2023 à 21:35
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On dispose pas des ressources de ces pays. On les achètent, ce qui n'est pas la même chose. Le colonialiste lui n'achète pas, il en prend possession par la force. Il faut réviser vos classiques.

à écrit le 02/12/2023 à 9:29
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Encore une preuve qu'ils ne reviendront pas sur leur brexit et nos chèvres financières qui n'arrêtent pas de bêler pour qu'ils reviennent vont encore une fois être malheureuses et dire que c'est de notre faite !

à écrit le 01/12/2023 à 18:01
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Le genre d'acrobatie propre à discréditer les renouvelables variables dont la justification se trouve d'abord dans la proximité entre producteur et consommateur !

à écrit le 01/12/2023 à 17:09
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"ouvre aussi des centrales à charbon" et va exporter le courant solaire vers la GB ? Pourquoi ne pas s'en servir localement, déjà, et vendre les excès ? Il y a déjà un câble entre Norvège et GB. Boris avait dit que la GB allait avoir des champs d'é...

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