Alexis Pinturault, skieur alpin : « Pendant une descente, on fait ressortir l’animal »

Du portillon de départ à la ligne d’arrivée, le recordman français de victoires en Coupe du monde raconte une descente de l’intérieur.
Alexis Pinturault
Alexis Pinturault (Crédits : © Mathias Mandl/Gepa/Icon Sport)

Si la saison de ski s'est ouverte il y a un mois, sans neige et dans la polémique, Alexis Pinturault démarre à peine la sienne, de l'autre côté de l'Atlantique. Juste avant la première étape française de la Coupe du monde à Val-d'Isère (Savoie), le week-end prochain. Celui qui, à 32 ans, a renoncé au slalom pour s'essayer à la descente a enfilé la combinaison et s'est élancé sur la piste pour La Tribune Dimanche.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Où commence la course ?

ALEXIS PINTURAULT- Quand on prend des remontées mécaniques, il y a déjà pas mal de questionnements, de travail de visualisation : l'allure envisagée, les pièges identifiés... La reconnaissance est hyper importante. On la fait en dérapant, en quarante minutes. Donc, en remontant, on s'imprègne du tracé. On essaie aussi de se détendre un peu, parce que la pression est élevée. S'il y a une bonne vanne, je suis preneur. Une fois arrivé en haut, on entre doucement dans la phase d'échauffement. Jusqu'aux quatre dernières minutes, où on est vraiment dans notre bulle.

Pas avant ?

Ça va dépendre des athlètes. Certains y sont presque une heure avant. Moi, je fonctionne comme ça. Le but de l'échauffement, c'est quand même de préparer le corps. On est encore assez détendu. L'entraîneur nous donne aussi les dernières informations. Les retours des premiers concurrents. La luminosité de la piste. Les endroits où ça coince. La vitesse générale. L'évolution de la neige. On assimile tout ça, on ajuste la stratégie. Et donc on se dirige vers la cabane de départ. On chausse et on entre dans une forme de transe.

De quoi s'agit-il ?

De faire le vide. On est concentré sur le moment présent. Sur le moindre de nos gestes, les sensations sous les pieds, sous les skis, sur l'endroit où on pose les bâtons, sur notre souffle. Dans notre société, on se concentre sur le reste plus que sur nous-même. Du coup, ça demande beaucoup de travail pour assimiler ça.

On entend son cœur ?

On le sent cogner un peu plus fort. On entend de moins en moins le bruit environnant. Tout ce qui est à la périphérie s'estompe. Le nombre de fois où mes entraîneurs m'ont parlé, encouragé, hurlé dessus juste avant le départ, et moi je n'entendais rien... À ce moment-là, la seule chose qui reste c'est nous-même.

Jusqu'à quel moment ?

Jusqu'à la ligne d'arrivée. En revoyant les images, je me rends souvent compte qu'il y avait une ferveur extraordinaire. C'est comme si, d'un coup, on enlevait les écouteurs noise cancelling.

Que se passe-t-il dans la tête quand vous vous élancez ?

On ne pense plus, ou peu. On fait vraiment ressortir l'animal. Il y a juste les endroits clés, identifiés avant, où il faut avoir ce regain de lucidité. Des moments où, quelque part, on rebranche le cerveau. Sinon, on est dans le réflexe lié à toutes ces années de travail. Une forme d'automatisation qui nous permet d'aller vers la performance. Plus le cerveau prend le relais, plus on perd en efficacité.

À quel moment savez-vous si vous êtes bien ou pas ?

Quand on passe la ligne ! Parfois, on pense avoir pris une seconde, et non... Je me suis déjà retrouvé dans cette situation et j'ai gagné la manche. À l'inverse, j'ai parfois cru avoir massacré la concurrence et c'est moi qui m'étais fait massacrer. La perception de la performance est trompeuse et compliquée quand les conditions sont exécrables. Mais en règle générale, notre ressenti est en adéquation avec le résultat.

Plus le cerveau prend le relais, plus on perd en efficacité

Alexis Pinturault

Le plaisir vient vite ?

Il est omniprésent. Sous les skis. Dans la manière dont on arrive à avoir des enchaînements performants et dont on engrange de la vitesse. Le plaisir est justement dans ces sensations de vitesse, d'air, de sauts, voire de vol... Sur le circuit, on est souvent sur des surfaces dures et compactes. Quand la neige est fraîche et molle, j'aime moins.

Et la peur ?

Non. Mais on est quand même conscient des risques. Au départ de Kitzbühel ou de Bormio, on sait que ce sont des pistes qui ne pardonnent pas trop. On s'élance du portillon et on est tout de suite mis dans des positions extrêmement inconfortables. Deux secondes et on a 50 mètres de longueur de saut à plus de 100 km/h. Pour autant, ça ne devient jamais une angoisse qui nous fait perdre nos moyens.

Le manque de visibilité vous freine-t-il psychologiquement ?

Pas vraiment. Ça se fait de manière naturelle : on arrive moins à anticiper, donc on skie moins juste. Il y a des jours où on voit toutes les petites aspérités avec l'ensoleillement. Et il y en a d'autres, sans contraste, où on a du mal à percevoir un énorme trou. À ces vitesses, la vision se rétrécit à l'essentiel : devant nous.

Avez-vous froid dans votre combinaison ?

Pendant la descente non. Mais au départ et à l'arrivée, parfois. Quand j'ai gagné le combiné aux derniers Mondiaux, il y a eu une cérémonie après les trente meilleurs puis une autre après la course, trente minutes plus tard. Tout ce temps, je donnais des interviews, un peu transpirant. Quand je suis retourné sur le podium, il n'y avait plus de soleil, j'étais congelé. Pendant les séances d'entraînement, c'est surtout aux pieds qu'on peut avoir froid. Nos chaussures sont ultra-serrées pour gagner en précision. Donc moins de circulation sanguine... J'ai des copains qui se sont gelé le bout de l'orteil.

Quand le corps commence-t-il à donner des signes de fatigue ?

Ça dépend de la piste et de la discipline. En géant, c'est plus lactique donc ça va venir plus tôt. Aux alentours de la minute, ça commence vraiment à piquer. Idem en slalom, mais le souffle devient un peu court, la lucidité s'estompe et ça accentue la fatigue. En descente, ça va venir aux alentours de la minute trente. Les cuisses brûlent, pour de vrai. On a un peu les valeurs lactiques des coureurs de 400 ou 800 mètres en athlétisme. On est à fond, et on ne serait physiquement pas capable d'aller beaucoup plus loin.

Mais il faut conserver de l'énergie pour s'arrêter ?

Ouais, il faut faire attention parce qu'on a tendance à se relâcher. Ce n'est pas rare de voir des skieurs finir dans les bâches de l'aire d'arrivée.

Le premier réflexe est-il de regarder le chrono ?

C'est la priorité. Si on a fait une super course, on oublie vite qu'on est cramé. Mais il m'est arrivé d'être essoufflé comme pas possible lors de la cérémonie protocolaire parce que tout s'est enchaîné. Si tu gagnes la première manche, tu pars en dernier à la seconde. Et si tu t'imposes, tu te retrouves embringué sur le podium bras en l'air une minute plus tard, puis en conférence de presse, puis au contrôle antidopage... Mes premiers succès, je n'ai pas pu en profiter. Avec l'expérience, on prend le temps.

RECORDS & NOUVEAUTÉS

3

Les Français qui ont remporté le gros globe de cristal : Jean-Claude Killy (1967, 1968), Luc Alphand (1997) et Alexis Pinturault (2021), qui a aussi gagné les globes du combiné (2016, 2017, 2019, 2020) et du slalom géant (2021).

16 e

Avant cette saison, son meilleur classement en descente, en 2012 à Schladming (Autriche). Jusqu'ici, il ne s'était aligné que sur dix descentes en Coupe du monde.

88 PODIUMS

Toutes compétitions confondues pour le skieur de Courchevel. Il a été trois fois champion du monde et a remporté 34 courses de Coupe du monde mais n'a jamais décroché l'or olympique.

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