Sport : les analystes vidéo de l’équipe de France dévoilent leurs secrets

Depuis plus de trente ans, Thierry Marszalek et Éric Dubray sont les analystes vidéo de l’équipe de France. Rencontre.
Solen Cherrier
Thierry Marszalek (à gauche) et Éric Dubray à Istra, en Russie, le 13 juin 2018.
Thierry Marszalek (à gauche) et Éric Dubray à Istra, en Russie, le 13 juin 2018. (Crédits : © FFF)

Au mur, trois maillots encadrés : le numéro 7 de Didier Deschamps à la Coupe du monde 1998, le 6 de Youri Djorkaeff à l'Euro 2000 et le 14 de Blaise Matuidi du Mondial 2018. « Que les finales qu'on a gagnées, sourit Thierry Marszalek, responsable du pôle audiovisuel de la Fédération (FFF) et locataire de ce bureau lumineux à Clairefontaine. Les autres... » Les autres, celles de 2006, 2016 et 2022, il les a rangées dans un recoin de sa mémoire et surtout stockées dans le « serveur spécial » du Centre technique national, parmi la quinzaine de milliers de matchs qu'il a analysés avec son adjoint et ami Éric Dubray.

Mardi, à l'occasion des 50 bougies de la formation française, les deux quinquagénaires ont vécu un condensé d'émotions. Parmi les 700 invités, ceux dont ils n'ont pas croisé la route étaient rares : ils ont intégré la FFF à la fin des années 1980, ont côtoyé neuf sélectionneurs et vu grandir des centaines de pensionnaires. En plus de l'hommage public de Thierry Henry, Thierry Marszalek a reçu le compliment ultime en privé. « Je suis content de te voir », lui a soufflé Aimé Jacquet. L'homme du premier sacre planétaire. Des sensations inégalées.      Qui « a cru en ce projet » de cellule vidéo.

« Volonté d'Henri Michel », « vision de Gérard Houllier », la France a fait figure de précurseur. « Quand on a commencé, il n'y avait pas d'analystes vidéo, resituent-ils. Ni en club, ni en sélection. C'est les coachs qui réalisaient des bouts de montages. » En 1998, Thierry Marszalek, informaticien de formation, et Éric Dubray, vidéaste, n'étaient pas officiellement dans le staff. Mais ils faisaient déjà le même travail, en régie à Clairefontaine. Ils ont été incorporés juste après. « À l'époque, c'était sur cassettes avec des magnétoscopes et des systèmes de montage très lourds. »

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Vingt-cinq ans plus tard, ils ont troqué leur camion pour trois malles dans lesquelles ils empilent caméras, micros, ordinateurs, écrans ou drone. Tout est sur plateforme. La veille est permanente. Six personnes complètent le service, chargé de toutes les sélections. Eux accompagnent donc les A. Il y a le travail en amont : observer et découper par thèmes les matchs de l'adversaire, soit neuf heures de jeu à synthétiser en vingt minutes ; coordonner les rapports des observateurs afin d'habiller la vidéo. Le tournage des séances d'entraînement, grâce notamment aux 32 caméras installées sur les pylônes de Clairefontaine.

Juste avant le match, il faut s'occuper de la sonorisation du staff et examiner la feuille de match. Puis grimper en tribune. Éric Dubray filme. Thierry Marszalek récupère le lien, découpe selon une grille d'observation et transmet en direct sur la tablette en bord pelouse. Dans l'urgence de l'après, le ton monte parfois mais, en règle générale, ils n'ont « pas besoin de se parler » pour savoir ce qu'ils ont à faire. Avec l'expérience, ils vivent les matchs avec plus de « distance » même s'il était « difficile de se concentrer sur le séquençage » à 2-2 contre l'Argentine. « Souvent, les staffs adverses sont plus nerveux que nous. Sans doute parce qu'on fait ça depuis très longtemps. » Depuis le Mondial 1990 sans les Bleus puis l'Euro 1992 avec ceux de Michel Platini.

Pour sa première séance vidéo collective, Marszalek avait agrémenté le montage d'une musique d'ambiance et s'était bien fait chambrer

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Les lacets de Roberto Carlos

Parmi tous ceux qui les ont « enrichis et bonifiés », ils ont une tendre pensée pour Bruno Martini, entraîneur des gardiens entre 1999 et 2010, qui pouvait passer une heure en pleine nuit à disséquer un coup de pied arrêté. Le souci du « détail que personne ne va voir » : positionnement dans un mur, langage corporel, un gardien qui anticipe... Tapis dans l'ombre et en se gardant bien de s'attribuer un quelconque mérite dans les résultats. « On n'est pas des acteurs. » Leur devise : pour vivre heureux, vivons cachés. Leur satisfaction : quand quelque chose qu'ils ont montré se produit. Les largesses du marquage brésilien en 1998, Roberto Carlos qui « remettait ses lacets » en 2006...

Fin 1997 avant France-Écosse, pour sa première séance vidéo collective, Thierry Marszalek avait « changé plusieurs fois de chemise ». Il avait agrémenté le montage d'une musique d'ambiance et s'était bien fait chambrer. Avec les joueurs, « les relations sont professionnelles », le staff restant le seul interlocuteur. Le temps où ils leur glissaient une cassette dans le sac paraît loin, désormais ils ont tout sur leur téléphone. Les deux analystes observent avec plaisir l'appétence de cette génération pour la vidéo et son implication dans le cadre édifié par Didier Deschamps. « On dit que le foot est le miroir de la société mais la société devient de plus en plus individualiste alors que cette équipe place le collectif au-dessus. »

Ces pionniers des logiciels d'observation considèrent en revanche avec circonspection la « sacralisation » des data. « Jamais je n'ai vu un coach décider en fonction de ça, soulignent-ils. Et, bon, on a quand même des résultats. » Quatre finales sur les sept derniers Mondiaux. Ils ont vécu France-Bulgarie en 1993, Knysna en 2010, et estiment qu'on ne mesure pas « la chance qu'on a aujourd'hui ». Eux mesurent la leur. Ils ont « marié [leurs] passions » et décliné des propositions car ils ont ce qui se fait de mieux sous la main. La suite ? « On ne se projette jamais, ça peut s'arrêter à tout moment. » Ça dure comme ça depuis plus de trente ans.

Solen Cherrier

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