« Chanter, c’est un drôle de bazar » (Daniel Auteuil, acteur)

ENTRETIEN - Aussi à l’aise en tant qu’acteur que comme réalisateur, il est également depuis peu auteur-compositeur-interprète. Des rôles qu’il cumule avec passion et talent. Rencontre.
Daniel Auteuil.
Daniel Auteuil. (Crédits : © CHRISTOPHE MEIREIS POUR LA TRIBUNE DU DIMANCHE)

On retrouve Daniel Auteuil à Paris dans un hôtel face à la gare du Nord. La veille, il terminait le tournage de son cinquième film comme réalisateur - Le Fil, sortie prévue le 18 septembre - mais il se montre en belle forme, mine radieuse, regard pétillant, comme s'il rentrait de vacances. « Tant que je multiplie les projets, rien ne peut m'arriver », assure le fringant septuagénaire (il aura 74 ans le 24 janvier). Mercredi prochain, il sera à l'affiche d'Un silence de Joachim Lafosse, un drame familial dans lequel il incarne un avocat rattrapé par son passé trouble (lire critique ci-contre). On le retrouvera aussi dans une comédie, La Petite Vadrouille, signée Bruno Podalydès, avec Sandrine Kiberlain. Daniel Auteuil se réjouit aussi de retourner sur scène pour une série de concerts dans toute la France. Car, ces dernières années, le comédien s'est épanoui en chanteur, sa passion première, avec deux albums salués par la critique, dont il a écrit paroles et musique : Si vous m'aviez connu (2021) et Si tu as peur, n'aie pas peur de l'amour (2023). Presque un mantra pour Daniel Auteuil, dont le seul plan de carrière se résume à suivre ses envies.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Beaucoup d'acteurs ont décliné le rôle de cet avocat. Il ne vous a pas un peu effrayé ?

DANIEL AUTEUIL - Les raisons pour refuser un rôle sont multiples. On peut ne pas aimer le scénario ou le réalisateur, on peut aussi se poser des questions d'image par rapport à une carrière. Moi, j'ai réglé cette question depuis longtemps. En fait, j'ai considéré comme une chance d'être désiré par des metteurs en scène de la nouvelle génération. C'est la clé de la longévité d'un acteur. Concernant mon personnage, il m'a passionné tellement il est ambigu. J'y ai vu un beau rôle de grand manipulateur.

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Le scénario est inspiré de l'affaire Hissel, cet avocat des victimes de Marc Dutroux qui fut condamné pour détention d'images pédopornographiques...

C'est l'autre raison pour laquelle j'ai voulu faire ce film. Les scénaristes n'auraient jamais osé imaginer une telle histoire, tellement elle va loin. Les faits divers dépassent souvent la fiction et permettent d'explorer l'horreur de l'humanité. Et j'en ai fait des costauds, je pense à Jean-Claude Romand dans L'Adversaire, de Nicole Garcia. Mais je n'ai aucune empathie pour ces personnages : quand je les joue, je ne les juge pas, je me fais simplement leur avocat.

Vous venez de terminer la réalisation de votre prochain film, Le Fil. Vous nous en dites un peu plus ?

Je vais encore jouer un avocat, mais moins problématique que celui d'Un silence. Lui a cessé de plaider aux assises depuis quinze ans après une série de revers, mais il va reprendre du service pour défendre une personne accusée de meurtre incarnée par Grégory Gadebois. C'est une histoire de rencontres, un thriller psychologique. Je ne sais pas comment le définir, il faudrait que je le voie. [Rires.]

On y retrouvera Gaëtan Roussel, le chanteur de Louise Attaque, qui a produit vos deux albums et mis en scène vos concerts...

Je lui dois beaucoup, il m'a permis de vivre un rêve qui se poursuit. Au départ j'avais juste demandé à Gaëtan de composer la BO du film. Puis je lui ai proposé un joli rôle, pas une figuration ni une apparition clin d'œil. Il partage beaucoup de scènes avec Grégory Gadebois. Il joue un patron de bar dans le Sud, il a toutes les apparences du salaud. C'est sa première incursion dans le cinéma. Il fallait bien qu'un jeune réalisateur comme moi lui fasse confiance.

Un film comme réalisateur, une carrière de chanteur sur le tard... Le métier d'acteur ne vous suffit plus ?

D'une certaine façon, non, même si cela peut sembler prétentieux. J'ai l'impression d'avoir fait un peu le tour du sujet. Attention, quand je fais l'acteur, j'ai toujours le même enthousiasme et la même pression. Avant, je tournais cinq films par an ; je ralentis un peu pour me consacrer à d'autres activités. C'est bien de s'autoriser à faire des choses dont on rêvait mais dont on pensait qu'elles vous étaient interdites. Être comédien, c'est exister dans le regard d'un réalisateur. Quand je réalise un film, quand j'écris mes chansons, je suis l'acteur de mon projet. J'aime surtout l'idée d'être un chef de troupe avec des comédiens sur un tournage ou des musiciens sur scène. C'est sans doute ce qui m'a le plus manqué dans ma carrière : toute ma vie, j'ai rêvé d'être dans une troupe. On ne m'a jamais pris nulle part, ni au Conservatoire, ni à la Rue Blanche, ni au Splendid. [Rires.]

Vous avez pu souffrir du complexe de l'autodidacte ?

Après Jean de Florette, j'ai décliné un classique, je pensais ne pas y avoir droit car je n'avais pas fait le Conservatoire. Il est toujours là, ce complexe, mais ça va beaucoup mieux. Je suis autodidacte en musique, tout en étant né dedans avec des parents chanteurs d'opéra. Il y a quatre, cinq ans, j'ai pris des cours de guitare. Le prof m'a dit : « Oh, à votre âge, ça ne servira à rien, essayez de vous amuser. » Et j'ai eu ce culot de prendre mon instrument, de jouer des accords et d'en sortir des mélodies. Le déclic est vraiment venu grâce à la poésie, j'ai d'abord mis en musique et chanté Paul-Jean Toulet, Musset, Apollinaire, Voltaire... La nouveauté a été d'écrire mes propres textes.

C'est sans doute ce qui m'a le plus manqué dans ma carrière : toute ma vie, j'ai rêvé d'être dans une troupe

Vos chansons racontent des histoires très visuelles, comme des courts-métrages. Déformation professionnelle ?

Je ne pense pas savoir faire autrement. Les chansons permettent aussi de raconter ma vie, mais jamais au premier degré, plutôt par des chemins détournés en mélangeant fiction et réalité. La chanson Pardon pardon raconte le départ d'un fils de paysans de la ferme familiale pour accomplir son destin. Elle est née d'un souvenir très précis : la première fois que j'ai quitté Avignon pour monter à Paris et faire l'acteur. Je pars toujours d'un sentiment, d'une émotion intime et ensuite j'invente, c'est une façon élégante de se raconter... C'est pareil au cinéma. Mon personnage dans Le Fil est inspiré d'une nouvelle d'un avocat pénaliste, Maître Mô. Cet avocat qui rempile pour sa dernière plaidoirie, c'est lui et c'est moi, un peu comme un acteur qui joue sa dernière pièce.

Justement, vous avez des projets au théâtre ?

Le théâtre, je ne suis pas certain d'y retourner... La dernière pièce que j'ai jouée, c'était Le Malade imaginaire, sept jours sur sept pendant six mois. C'est épuisant. Le théâtre me tue physiquement. Quand je sors d'une représentation, je suis lessivé ; quand je sors d'un concert, je suis régénéré. C'est le pouvoir de la musique, même si chanter, c'est un drôle de bazar. Arriver sur scène, s'avancer devant le micro et raconter sa vie en veste à paillettes, il faut oser... Ce qui m'aide, c'est d'avoir fait toute une vie du théâtre, justement. Je viens de terminer le livre génial de Denis Podalydès En jouant, en écrivant - Molière & Cie (Seuil). Il m'a donné envie de remonter sur scène pour jouer Molière, avec Denis comme metteur en scène. Mais seulement quand je serai très vieux...

Écouter : Si tu as peur, n'aie pas peur de l'amour (Universal) En tournée dans toute la France. Du 18 au 21 janvier au Théâtre de l'Œuvre (Paris 9e).

Un silence assourdissant

Après À perdre la raison (2012), L'Économie du couple (2016) ou récemment Les Intranquilles (2021), Joachim Lafosse continue de tirer brillamment le fil des couples dans l'épreuve, des familles qui vacillent, de la folie qui guette. Avec Un silence, il s'attelle à décortiquer le thème du secret de famille et son complice : le silence, cette bombe à retardement. On pénètre ainsi dans la grande maison froide, bourgeoise et familiale d'un grand avocat vacillant (Daniel Auteuil, taiseux et glacial à souhait), de sa femme Astrid (Emmanuelle Devos, impeccable de déni et de renoncement) et de leur fils turbulent : quand le père se retrouve au centre d'un scandale, le fragile équilibre familial se fissure alors que les autres enfants du couple exigent la vérité. En exergue, le personnage de la mère, qui lentement devra sortir du déni et du silence, en passant par toutes les phases douloureuses de ce chemin vers la vérité. Par une mise en scène resserrée, Joachim Lafosse embarque le spectateur dans le huis clos claustrophobique de cette famille en décomposition, le coince entre les murs de cette grande demeure comme dans l'habitacle de leurs voitures, où les dialogues se confinent. Un magistral portrait de femme déchirée entre amour, honte, impuissance et aveuglement.

Un silence, film franco-belge de Joachim Lafosse, avec Emmanuelle Devos, Daniel Auteuil, Jeanne Cherhal, Matthieu Galoux. 1 h 39. Sortie mercredi.

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