Comment les musées vous mènent par le bout du nez ?

Les dispositifs mêlant odeurs et œuvres se multiplient dans les lieux culturels. Une façon de susciter l’émotion et d’attirer de nouveaux publics.
Au Louvre, Catherine Werber en pleine conférence olfactive.
Au Louvre, Catherine Werber en pleine conférence olfactive. (Crédits : © ESSENCES ET ART)

L'odorat est le sens du futur », assure Catherine Werber. Passionnée d'art et travaillant dans le monde du parfum, elle a imaginé il y a plus de vingt ans une exposition olfactive : elle avait peint des toiles abstraites et y avait apposé des parfums concentrés. L'idée lui est venue de poursuivre cette synesthésie, cette association de deux domaines artistiques et de deux sens, la vue et l'odorat, au musée, sur de vrais chefs-d'œuvre. Elle a lancé en 2016 Essences et Art, qui propose aujourd'hui sept parcours dans de grands musées nationaux comme le Centre Pompidou, le musée Rodin ou le Louvre.

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Des visites à deux voix et surtout à deux nez, associant une historienne d'art spécialisée et une experte en parfum. Au Quai Branly, les spectateurs traversent les continents et les époques. Face à la maison des ancêtres de Papouasie-Nouvelle-Guinée, Catherine Werber distribue à son groupe une mouillette en papier imbibée d'une odeur particulière. « J'ai voulu symboliser ce rituel d'initiation des jeunes avec un parfum aldéhydé présentant un côté métallique qui évoque les scarifications qu'ils s'infligent avec des couteaux, décrypte-t-elle. La note de cœur, poivre noir et noix de muscade, met en lumière la dangerosité de ces épreuves et leur plongée en forêt. La note de fond, dans laquelle on trouve du bois de santal, du patchouli, renvoie à leur accession à la maison des ancêtres qui va les protéger. »

« Grâce à l'odeur, le visiteur s'approprie davantage l'œuvre d'art, poursuit-elle. Il la mémorise mieux car les deux hémisphères de son cerveau ont été sollicités. » Et cela crée du lien entre les participants. « À la quatrième touche à renifler, les gens commencent à se parler. » Voilà qui explique sans doute pourquoi les lieux d'art, en quête d'expériences nouvelles, sont de plus en plus nombreux à concevoir des dispositifs olfactifs. Le musée de la Marine, qui vient de rouvrir, nous immerge ainsi dès l'accueil dans son univers grâce au parfum Sillage de Mer. On sent les embruns iodés de la côte, le vent frais et revigorant du grand large... « Nous sommes le premier musée en France à défendre une signature olfactive », se félicite Véronique Paintrand, cheffe du département marketing et publics de l'établissement. Cette fragrance a été imaginée par Nathalie Lorson, maître parfumeur chez DSM-Firmenich, en collaboration avec le studio Magique. « Nous avons travaillé pendant plus de trois ans car ce parfum devait définir le lieu tout entier, explique Mazen Nasri, créateur du studio, persuadé que l'odorat est un média vecteur universel d'émotions.

Grâce à l'odeur, le visiteur s'approprie davantage l'œuvre d'art

Catherine Werber, fondatrice d'Essences et Art

« Il offre une transition entre la ville et le début d'un voyage en mer. » Il a aussi planché sur l'exposition « Parfums d'Orient », visible jusqu'en mars à l'Institut du monde arabe, pour laquelle 31 odeurs ont été élaborées. « Les dispositifs olfactifs viennent soutenir les propos scientifiques », insiste-t-il. Selon lui, le Covid a fait prendre conscience de la valeur de ce sens souvent oublié voire méprisé. Mais la pandémie a aussi obligé à repenser certaines installations. Le capteur dans lequel on aurait dû souffler pour générer un tourbillon de fleurs et l'odeur qui en découle a ainsi été remplacé par un bouton-poussoir.

Les questions techniques sont au cœur des préoccupations liées à ces nouvelles pratiques. Pour faire comprendre la fonction de deux brûle-parfum chinois, l'un datant de la dynastie Han (IIe siècle avant notre ère), l'autre de l'époque Song (960 à 1279 après notre ère), le musée Pincé à Angers, riche en collections antiques et extra-occidentales, a sollicité un chercheur au CNRS, une designeuse olfactive et une agence de design inclusif spécialisée dans la réalisation de dispositifs pédagogiques enrichis d'une expérience sensorielle. À partir de résidus trouvés dans les tombes de ces deux périodes, deux recettes de parfum ont vu le jour. Le visiteur est invité à se pencher devant des reproductions des brûle-parfum, activant un ventilateur qui fait bouger des billes imprégnées de l'odeur. « Nous ne voulions pas que les deux senteurs - l'une très florale et épicée, l'autre fumée et résineuse - se polluent mutuellement ni que cela embaume toute la salle ; le bon dosage a été difficile à trouver », rapporte Maryline Demorice, médiatrice au musée.

« Il ne faut pas non plus que ça fasse gadget », avertit Aymeric Jeudy, directeur du musée Matisse à Nice. En 2022, il a rejoint le projet Odeuropa, qui vise à valoriser le patrimoine olfactif historique (lire ci-dessous). « Pour Matisse, l'odorat était un sens très important, il s'en servait comme support de fixation de sa mémoire, précise-t-il. Son environnement, dans son atelier à Nice ou lors de son séjour à Tahiti, était saturé d'odeurs. » Quatre parfums ont été confectionnés pour quatre œuvres et proposés au public le temps d'un été. Un moyen de développer de nouvelles écritures muséographiques en suscitant des émotions à la fois intimes et universelles. Car « qui maîtrise les odeurs maîtrise le cœur des hommes », affirme Patrick Süskind dans Le Parfum.

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Commentaire 1
à écrit le 14/01/2024 à 9:40
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Je ne suis pas d'accord, c'est du spectaculaire d'abord et avant tout, cela n'apporte rien en créativité. Avons nous besoin de sentir l'odeur du sang et de la chaire brulée en contemplant Guernica ? Avons nous besoin de sentir l'odeur de la Joconde, ...

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