Crambes, chapelier depuis 1946

C’est l’un des derniers ateliers français qui, au cœur de l’Occitanie, s’attache à préserver cet art repéré par les grandes marques de luxe.
Catherine Vampouille et son mari, Benoît Besnault, ont repris les établissements Crambes en 2019.
Catherine Vampouille et son mari, Benoît Besnault, ont repris les établissements Crambes en 2019. (Crédits : © REPORTAGE PHOTO : RÉMI BENOIT)

C'est le symbole de plusieurs combats. Celui de la préservation d'une certaine classe à la française, celui de la réindustrialisation d'un pays, celui de la sauvegarde d'un savoir-faire unique. À Caussade, dans le Tarn-et-Garonne, les établissements Crambes ont frôlé la catastrophe à la fin des années 2010. « L'entreprise perdait de l'argent depuis une dizaine d'années, raconte Benoît Besnault. Nous étions engagés dans une opération de survie. Celle-ci semble en très bonne voie, maintenant nous nous développons. » Avec sa femme, Catherine Vampouille, il a repris en avril 2019 le chapelier occitan réputé, sans connaissance particulière d'un secteur qui semblait alors en perte de vitesse en France. Mais le charme de cette vieille usine de 7 000 mètres carrés, l'histoire de cette maison fondée en 1946 et les mauvais choix stratégiques du petit-fils du fondateur jusqu'à présent ont convaincu le binôme que le potentiel était au rendez-vous.

Pour tenter de remettre la société à flot, le propriétaire précédent avait externalisé une partie des étapes de la fabrication des chapeaux, notamment à l'étranger, et développé le négoce de chapeaux autres que ceux produits par les ateliers de Crambes. Une stratégie pas au goût du couple. « Nous avons décidé d'arrêter le négoce, quitte à perdre du chiffre d'affaires, et nous avons choisi de réinvestir dans l'outil de production, poursuit l'entrepreneur. Par exemple, nous avons réinternalisé le délavage. » Au total, lui et sa compagne ont injecté plus de 2 millions d'euros sur le site ces cinq dernières années. Ils ont acheté deux nouvelles brodeuses, renouvelé l'ensemble du parc des machines à coudre et modernisé le système de chauffage des ateliers, autrefois au fioul, sans parler des recrutements. « Deux nouvelles couturières vont arriver début 2024 et nous allons relancer des produits en paille cousue. Une de nos couturières maîtrise la technique et va la transmettre à d'autres membres de notre équipe, confie Benoît Besnault, à la tête d'une quarantaine de salariés. Aujourd'hui, nous cherchons à augmenter la capacité de production pour la marque Crambes. »

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 Malgré plusieurs dizaines, voire centaines de références façonnées à la main, présentées en deux collections annuelles (été et hiver), la marque Crambes n'assure que 25 % du chiffre d'affaires de l'entreprise. Mais le savoir-faire des établissements Crambes est parvenu à séduire de grandes maisons, et la sous-traitance assure ainsi 75 % de l'activité.

Des marques de luxe comme Chanel ou Hermès leur font confiance

En traversant à Caussade les ateliers ouverts à la visite, il est difficile de passer à côté de certains logos de renom. Celine, Chanel, Jean Paul Gaultier, Lacoste, Hermès, ou Yves Saint Laurent... Toutes ces marques qui incarnent le luxe à la française ont confié aux établissements Crambes la confection d'un ou plusieurs de leurs produits. Un certain engouement qui s'explique par le fait que les chapeliers en France se comptent désormais sur les doigts d'une main et que ceux qui maîtrisent en interne toutes les étapes de la production d'un chapeau, comme la société occitane, sont encore moins nombreux.

Au-delà de compétences, ces grands noms sont aussi venus chercher une ambition : celle de produire français, et donc de faire appel à des matières premières locales. « Nous travaillons toutes les matières, la laine, le lin, le cuir, le chanvre, etc., détaille le patron, qui utilise 60 % de matières premières françaises. Nous avons notamment misé sur des fournisseurs régionaux, dans le Tarn par exemple pour la laine et le cuir d'agneau. »

Forts de cette volonté, les établissements Crambes sont en train de renouveler leur label Entreprise du patrimoine vivant, gage de qualité sur le plan commercial. Mais l'entreprise aux 2 millions d'euros de chiffre d'affaires s'active non sans effort pour l'obtention du label Origine France garantie, autre certification qui pourrait avoir un effet sur les ventes sur le marché intérieur ainsi qu'à l'export, où ces produits français sont recherchés. « Nous comptons repartir à l'international, fait savoir Benoît Besnault. Nous allons relancer le Japon par l'intermédiaire de distributeurs locaux. Nous étudions aussi la Corée du Sud et le marché de l'Amérique du Nord. » Avec des produits pouvant se vendre de 60 à plus de 1 500 euros, les établissements Crambes espèrent ainsi redonner ses lettres de noblesse à un accessoire de mode quelque peu oublié.

Nous avons notamment misé sur des fournisseurs régionaux, dans le Tarn par exemple pour la laine et le cuir d'agneau

Caussade, capitale historique du chapeau

Lorsqu'on arrive de Toulouse, l'emblème qui représente la commune de Caussade sur le panneau d'information de l'autoroute A20 à l'approche de la cité du Tarn-et-Garonne n'est autre qu'un chapeau. Il y a plusieurs décennies, les chapeliers faisaient battre le cœur de cette localité. « La chapellerie est née à Caussade en 1796 et cette activité a connu un essor sans accroc jusqu'au début du XXe siècle et les premières grèves ouvrières dans les années 1930, raconte Emmanuelle Trinchieri, de l'office de tourisme de Caussade. Les chapeliers de Caussade et de la commune voisine de Septfonds ont employé jusqu'à près de 4000 salariés à l'époque. » Benoît Besnault, des établissements Crambes, ajoute: « Sur la commune, nous avons été plusieurs dizaines de chapeliers. Aujourd'hui, nous ne sommes plus que trois. »

Le territoire abrite aussi l'un des tout derniers formiers français, Didier Laforest,
dont le métier est de concevoir et produire des blocs en bois de tilleul servant de
moule pour la confection de tout type de chapeau. Ce savoir-faire est classé comme un métier rare à l'Unesco, et cette richesse patrimoniale a décidé l'office de tourisme local à organiser des visites de ses ateliers. Malgré l'amincissement des rangs de la profession, les habitants veulent préserver leur statut de capitale nationale du chapeau, de la même façon que Toulouse est la capitale de l'aéronautique.

« Des créateurs du monde entier »


Pour ce faire, les deux associations locales consacrées à cet accessoire de mode
organisent tous les ans à Caussade Les Estivales du chapeau, depuis une trentaine d'années. Celles de 2024 sont ainsi attendues sur place du 19 au 22 juillet. « Des créateurs du monde entier se réunissent ici pour présenter leur savoir-faire et leurs créations, décrit Emmanuelle Trinchieri. Chaque édition est animée par des défilés et un concours international. C'est un événement qui attire plusieurs dizaines de milliers de personnes chaque année dans cette commune de plus de 7000 habitants. »

Quant au quotidien, la boutique usine des établissements Crambes et les visites
de ses ateliers voient leur fréquentation augmenter progressivement. « Aux
niveaux local et régional, tout le monde est conscient de la valeur de notre savoir-faire, assure Benoît Besnault. Désormais, nous devons avoir une aura plus forte au niveau national. »

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