En visite avec Erik Orsenna, écumeur des mers

À l’occasion de l’exposition inaugurale du musée de la Marine, qui débutera le 13 décembre, nous avons invité l’écrivain et navigateur à découvrir et visiter l’institution fraîchement rénovée.
Erik Orsenna avec Vincent Campredon, directeur du musée.
Erik Orsenna avec Vincent Campredon, directeur du musée. (Crédits : © AMBROISE TEZENAS pour La Tribune Dimanche)

Regardez, c'est magnifique », s'exclame Erik Orsenna dès son arrivée au musée de la Marine, qu'il arpentait enfant. L'homme, qui a toujours un ouvrage en cours d'écriture, aime partager son amour de la mer. « J'ai commencé à écrire au moment même où j'ai commencé à naviguer, à 8 ans, nous raconte-t-il. Sur la mer, comme sur la page blanche, il n'y a pas de chemin préétabli. On le dessine. Liberté, humilité et obstination. » Vincent Campredon, directeur des lieux et commissaire général de la marine, le rejoint dans le hall du musée où se pressent les visiteurs. Les deux hommes, enthousiastes, se dirigent vers l'exposition temporaire « Objectif mer - L'océan filmé », qui débute au milieu de la collection du musée.

Mais très vite, des modèles réduits de bateaux les happent. « Imaginez la construction d'un bateau comme celui-ci. Il y a vingt-cinq ans, on m'a demandé de présider le Centre international de la mer à Rochefort, se souvient Erik Orsenna. Comme l'arsenal n'avait pas de bateau, nous avons lancé la création de l'Hermione, réplique du navire de guerre français de la fin du XVIII e [la construction a duré dix-sept ans]. Il a été visité par plus de 4 millions de personnes. » Alors que nous passons devant une maquette de voilier Imoca, l'écrivain sort de sa poche son téléphone portable pour nous montrer avec fierté la photo d'un bateau similaire. « J'y ai navigué au côté de Thomas Ruyant, lance-t-il au directeur. Record du monde ! Vingt-deux nœuds de vent. Tu sais que je continue à faire de la compétition ? » Devant une vitrine, Erik Orsenna regarde avec tendresse une loutre d'Alaska. « C'est une merveille de douceur mais aussi la richesse absolue. Après les avoir décimées pour leur fourrure dans le détroit de Béring, les Russes ont accepté de vendre l'Alaska. Cinq ans plus tard, on y trouvait de l'or », s'amuse le jeune homme de 76 ans. « Nous racontons cela dans Passer par le nord. Isabelle Autissier et moi avons fait du kayak entre les loutres, qui étaient en partie revenues. » En 2013, l'écrivain et la navigatrice parcouraient la route maritime du nord pour penser les enjeux géopolitiques et écologiques de cette région du monde. Huit ans plus tôt, ils voyageaient en Antarctique, récit qu'ils relatèrent dans Salut au Grand Sud. Alors que nous progressons vers notre Objectif mer, Vincent Campredon ne peut s'empêcher de s'arrêter devant des ex-voto. « Vous devez aller à la croix des Veuves à Ploubazlanec, lance Erik Orsenna. J'ai été élevé à regarder revenir, ou pas, les bateaux partis à la pêche à la morue. C'est mon enfance. Les trois quarts des histoires que mon père, officier de marine, me racontait avaient un lien avec la mer. » Nous nous retrouvons alors devant une des peintures de Claude Joseph Vernet représentant l'arsenal de Rochefort. « Ça, c'est chez moi, s'exclame à nouveau l'écrivain. J'y ai passé plus de vingt-cinq ans. C'est ici que fut amarrée l'Hermione. »

Sur la mer, comme sur la page blanche, il n'y a pas de chemin préétabli. On le dessine. Liberté, humilité et obstination

Erik Orsenna

Nous quittons les espaces de la collection permanente, « immenses et intimes comme l'Antarctique » selon Erik Orsenna, pour pénétrer dans l'ambiance tamisée de l'exposition temporaire. Aux commandes de la visite, Clémence Laurent, chargée de recherche au musée, nous révèle les relations entre le cinéma et la mer. Tout commence par le pré-cinéma et les instruments d'optique tels que la lanterne magique. Ils permirent de partager l'image de celle que peu de gens pouvaient alors voir : la mer. Sont ensuite exposés les pionniers du cinéma sous-marin, dont John Ernest Williamson, jusqu'à « Jacques-Yves Cousteau qui, avec Le Monde du silence, a démocratisé l'accès à cet univers », précise Clémence Laurent. « C'est le premier film que j'ai vu ; j'avais 9 ans, évoque Erik Orsenna. C'était fascinant. Et il se trouve qu'à l'Académie je suis au fauteuil de Cousteau, l'homme qui a révélé la diversité des mondes dissimulés sous la surface. Fauteuil qui fut aussi celui de Pasteur, qui a révélé l'infiniment petit. Deux grands explorateurs de la réalité. »

Alors que nous découvrons des affiches de films de pirates et d'impressionnantes caméras, nous entendons le rire enfantin d'Erik Orsenna. Ses yeux réjouis sont rivés sur un extrait de L'Émigrant qui montre Charlie Chaplin tentant de manger une soupe dans un navire ballotté. « Ça aussi, j'ai adoré, s'exclame-t-il à la vue du Crabe-Tambour de Pierre Schoendoerffer. C'est formidable. Il y a des photos de tempêtes exceptionnelles. » Objets, affiches, dessins de Georges Méliès et films révèlent ensuite une mer angoissante, à travers la tragédie du Titanic ou Les Dents de la mer de Steven Spielberg. L'exposition se conclut par un extrait d'Océans de Jacques Perrin, acteur, réalisateur et défenseur de la nature, membre du comité scientifique de l'exposition, décédé en avril 2022. Erik Orsenna l'a bien connu. « Comme j'étais beaucoup à Rochefort et que Jacques Perrin en était le prince [il joua Maxence dans Les Demoiselles de Rochefort], nous sommes devenus amis. Je l'ai beaucoup suivi. Il était Peintre de marine comme je suis Écrivain de marine. Nous célébrons la mer. » Erik Orsenna s'arrête, admire les baleines danser, les fous de Bassan plonger dans la mer. « Regardez comme c'est beau. Face à la mer, on ne peut qu'être ébloui. »

« Objectif mer - L'océan filmé », au musée de la Marine, Paris (16e), à partir du 13 décembre. musee-marine.fr

Le goût de l'océan : deux experts du monde marin se retrouvent

Vincent Campredon, commissaire général de la marine, dirige depuis 2015 le musée de la Marine.

Avec un enthousiasme non dissimulé, il guide Erik Orsenna dans son bateau rouvert le 17 novembre après six ans de travaux. L'écrivain, économiste et navigateur a lui aussi toujours vécu avec la mer. Depuis plus de trente ans, il narre ses périples maritimes de l'Arctique à l'Antarctique et s'engage pour elle. Il fait partie des 22 Écrivains de marine invités à célébrer la grande bleue sur les navires nationaux. En 2015, il fonde et préside l'association Initiatives pour l'avenir des grands fleuves. En partageant savoirs, pratiques et solutions innovantes à l'international, elle imagine les fleuves de demain et leur préservation. Il est aussi académicien, élu en 1998 au fauteuil de Jacques-Yves Cousteau. Sa particularité : une épée de marin en guise d'épée d'académicien, sur laquelle sont gravées trois îles : celle de Bréhat, où il a passé ses étés enfant, celle de Gorée, au large du Sénégal, et celle de Cuba, d'où sont originaires ses ancêtres.

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