Mélanie Thierry et Gilles Lellouche : « Nous avons plongé dans l’inconnu »

ENTRETIEN - Mélanie Thierry et Gilles Lellouche sont les uniques interprètes de « Soudain seuls », le puissant film, survivaliste et intimiste, de Thomas Bidegain.
Mélanie Thierry et Gilles Lellouche
Mélanie Thierry et Gilles Lellouche (Crédits : © CYRILLE GEORGE JERUSALMI pour la Tribune Dimanche)

Complices, ils discutent à voix basse pendant la séance photo. Et échangent pendant l'interview comme des amis de longue date : lui, sincère, blagueur, l'enthousiasme en bandoulière ; elle, cérébrale, lumineuse, le caractère puissant derrière la douce blondeur. C'est la première fois que Mélanie Thierry et Gilles Lellouche tournaient ensemble. L'alchimie a été immédiate entre l'actrice, autant applaudie au théâtre dans Le Vieux Juif blonde d'Amanda Sthers qu'au cinéma en Marguerite Duras dans La Douleur, et l'acteur, populaire sur le tard et heureux réalisateur du colossal succès Le Grand Bain. Ensemble, ils ont vécu un tournage inédit en Islande (la fiction, elle, se déroule en Antarctique), dans un décor magnifique et hostile, pour conter une puissante histoire de double survie : celle de leurs personnages contre les éléments déchaînés et celle de leur couple gagné par l'habitude.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Était-ce pour vous un fantasme de jouer dans un film « survivaliste » ?

GILLES LELLOUCHE : Depuis toujours ! Non seulement c'était un fantasme d'acteur mais c'était un fantasme d'être humain. J'ai toujours rêvé de ça, pour l'aventure, la renaissance, la reconquête de soi... Sincèrement, je ne pensais pas, au vu du paysage cinématographique français, qu'on me proposerait un rôle comme cela un jour. Quand Thomas Bidegain m'a parlé du film, je savais déjà que j'allais le faire, même sans lire le script ! Sans lui, je n'aurais jamais pu jouer ça, jamais ! C'est un miracle.

MÉLANIE THIERRY : Moi aussi. Déjà, c'était la promesse d'une aventure, et puis l'histoire était intéressante car nous ne nous sommes pas retrouvés sur une île clémente, c'était beaucoup plus rugueux, l'environnement était assez hostile, plein d'adversité. Cela nécessitait plus de ressources de notre part. Nous n'étions pas juste en maillot de bain sur une île paradisiaque...

Nous avons plongé dans l'inconnu

Thomas Bidegain revisite le genre avec cette île inhospitalière et froide, qui est le troisième personnage du film... Comment s'est passé le tournage ?

G.L. : On s'était tellement préparés au pire que ce n'était pas si terrible. Enfin, j'exagère... Il y a des jours où nous n'étions pas très joyeux ! On a tous galéré mais c'était quand même enthousiasmant : l'adversité, c'est super ! C'est super d'être dehors, d'avoir froid ensemble, de marcher ensemble, de se faire retourner la tête dans les vagues pendant huit heures... ensemble ! J'ai adoré.

M.T. : Personne n'a été ménagé ! C'est l'endurance qui était le plus difficile...

G.L. : Il y avait un vent invivable... Cette terre n'est pas faite pour les humains. Et paradoxalement, c'est magnifique, d'une grande beauté, d'une grande poésie, d'un grand mysticisme. Cette nature-là vous cajole autant qu'elle vous fait souffrir. J'ai rarement vu un pays aussi beau et cela faisait une éternité que je n'avais pas autant regardé la nature ni eu les yeux levés vers le ciel aussi souvent, jour et nuit. On est happé par la lumière, les couchers de soleil, les doubles arcs-en-ciel, les aurores boréales... On en a vu des tonnes ! On s'appelait, même à 2 heures du matin, pour se dire de sortir et on découvrait une aurore boréale au-dessus de Reykjavík grande comme les Yvelines ! C'est un tournage inoubliable.

M.T. : Mon humeur a suivi celle de mon personnage : au début on est ébloui par cette immensité vertigineuse, par la beauté de cette terre puissante, qui s'ouvre, vibre, fume, avec des geysers partout... Il y a là-bas quelque chose de sacré. Mais l'horizon peut aussi être bouché, les conditions climatiques redoutables, et à force c'est usant, il faut aller puiser en soi... Notre état personnel participait à l'aventure de nos personnages : on s'en sert pour jouer, mais cela accentue l'épuisement.

Cette histoire est aussi une métaphore sur le couple : peut-il survivre au temps ?

M.T. : C'est un film sur comment on s'endurcit, on se retrouve, on arrive à retrouver un ancrage à deux dans l'adversité.

G.L. : L'île est une allégorie car c'est surtout une histoire d'amour, de couple qui se déchire, se retrouve, s'éparpille, se rassemble. Il montre comment déconstruire les habitudes et les idées reçues sur ce qu'est un homme et ce qu'est une femme, mais aussi l'idée que les hommes se font de la virilité : cette façon de dire « j'assure » quand ils n'assurent pas ou « attends, je sais faire », alors que pas du tout, de ne pas avouer leurs peurs... Bref, de jouer l'homme quand on est un enfant.

Cette nature-là vous cajole autant qu'elle vous fait souffrir. J'ai rarement vu un pays aussi beau

Gilles Lellouche

Comment était-ce de jouer des discussions de couple dignes d'un film d'auteur au milieu des éléments déchaînés ?

G.L. : C'est la même chose. C'est la même intimité, que vous soyez dans une cuisine haussmannienne ou autour d'un feu en Islande : on s'habitue à tout, donc, que votre quotidien soit spectaculaire ou pas, il reste votre quotidien. Ce couple passe par la panique, la colère, l'angoisse, la joie, et puis arrive la rengaine de l'habitude. Et ce taudis où ils vivent devient leur cuisine haussmannienne, avec les mêmes problématiques de couple. La grande différence, c'est que dans la vie normale vous pouvez claquer la porte, aller boire une bière avec votre pote et après ça va mieux ! Quand on s'engueule sur une île, c'est sans échappatoire... La solitude de nos personnages est abyssale.

M.T. : Ce que j'aime dans ce film, c'est qu'il a la facture d'une aventure à l'américaine et qu'il a aussi gardé l'ADN d'un cinéma d'auteur français, qui nous permet de nous approcher des personnages sans avoir peur de l'intime ou du cérébral. Ce mélange d'aventure, de survie, de paysages immenses et la capacité de se resserrer sur la complexité de leur couple fonctionnent très bien. Thomas Bidegain travaille cela depuis toujours. Le film montre qu'on peut faire durer un couple. Quand, au fond de soi, on sait qu'on a encore plein de choses à partager, on n'abandonne pas, malgré les ressentiments.

Seuls en Islande pour un film à deux personnages... Il fallait que l'alchimie prenne vite entre vous ?

G.L. : On s'est vus un peu avant pour faire des lectures de scénario mais on ne se connaissait pas. Je ne sais pas si c'est un « contrat tacite » entre Mélanie et moi mais, sachant qu'on allait être seulement deux, on s'est peut-être dit qu'on était condamnés à bien s'entendre ! Et on s'est très bien entendus. Je n'aurais pas fait ce film de la même manière avec une autre partenaire. Mélanie m'a beaucoup porté, poussé, c'est une immense actrice.

M.T. : Non mais c'est lui qui m'a rassurée ! Parce qu'il a un esprit de troupe et d'équipe qui embarque tout le monde. C'est fédérateur. Il est à la fois très généreux et rassurant quand on a besoin de trouver une épaule. Et puis, il se trouve qu'on jouait bien ensemble ! Cette alchimie-là est mystérieuse, on ne peut pas la prévoir. Tu peux prendre plaisir à boire une bière à Paris avec quelqu'un, mais pour se retrouver en tête à tête pendant six semaines, il faut que ça matche, que ça joue, que ça se construise. Nous avons plongé dans l'inconnu.

Ce que j'aime dans ce film, c'est qu'il a la facture d'une aventure à l'américaine et qu'il a aussi gardé l'ADN d'un cinéma d'auteur français

Mélanie Thierry

Que représente ce film dans vos parcours respectifs?

G.L. : C'est une expérience totalement différente de tous les autres films que j'ai faits jusque-là. J'ai adoré le tourner, ce qui n'est pas le cas de tous ceux que j'ai faits depuis quelque temps... Je pense que de tourner loin, d'être avec des gens qui ne sont pas sur leur téléphone portable toute la journée, qui ne regardent pas Netflix chez eux le soir et qui ne commandent pas un Uber, ça change tout. On était ensemble sur une terre magnifique mais aussi hostile, nous devions faire avec. C'était une aventure enthousiasmante, ce tournage était ultra-vivant... alors que les tournages en général commencent à être un peu ennuyeux parce que les rapports sociaux sont passés par là, que les gens sont un peu effrayés les uns des autres, que tout le monde est sur son téléphone... Voilà, il y a plein de trucs que je trouve moins agréables dans la conception d'un film. Attention, je ne parle pas du résultat mais de la conception ! Là, il y avait quelque chose de très humain, et cette humanité-là m'a beaucoup marqué.

M.T. : Moi, je mets toujours beaucoup d'importance dans ce que je fais et pour choisir les films dans lesquels je joue. J'ai besoin d'y croire beaucoup pour adhérer à une histoire. Je ne fais pas tant de films que cela, d'ailleurs... mais à chaque fois, ils ont quelque chose de très particulier, de vraiment singulier. Je les chéris tous.

Vous aviez le sentiment de jouer des héros...

G.L. : C'est surtout Mélanie, l'héroïne absolue ! Son rôle est magnifique, son personnage est noble, c'est une aventurière... Elle est belle, cette femme, alors que mon personnage est un peu con ! Il ne fait que des mauvais choix, n'a que des mauvaises idées. C'est un type qui joue un rôle. Petit à petit, il évolue... La beauté du film réside dans ce qu'il dit du couple et sur les rôles que l'on s'attribue. Et, côté aventure, cela reste aussi un film à hauteur d'homme : nous ne sommes pas des Robinson Crusoé qui se sont construit un empire avec des bambous et des canalisations avec de l'eau de source ! Eux, ils crapahutent dans la panade...

M.T. : Laura est héroïne malgré elle... Ils n'ont rien d'héroïque quand ils arrivent sur l'île. Ce sont deux êtres banals dans une vie pas extraordinaire du tout. Ils ont néanmoins quelque chose de téméraire en eux, ils partent sur un voilier traverser l'Atlantique pour chercher un frisson... Mais l'instinct de survie existe chez tout le monde. On a tous envie d'être du côté de la vie, de ne pas abandonner.

« Soudain seuls », le puissant film survivaliste de Thomas Bidegain

Film français de Thomas Bidegain, avec Mélanie Thierry et Gilles Lellouche. 1 h 50. Sortie mercredi.

Oubliez les plages de sable fin des disparus de Lost ou l'accident d'avion de Tom Hanks dans Seul au monde... Thomas Bidegain montre ici qu'il n'y a pas que les Américains qui savent s'emparer des films survivalistes au cinéma. Il revisite même brillamment le genre. Ainsi, on suit Ben et Laura qui, en couple depuis cinq ans, partent faire le tour du monde sur un bateau tout équipé. Avant de boucler leur aventure, ils s'arrêtent pour admirer une île et se font surprendre par une tempête qui emporte leur voilier... Soudains seuls sur une île froide et inhospitalière à deux pas de l'Antarctique, ils vont devoir puiser dans leurs ressources physiques pour sauver leur vie et psychologiques pour sauver leur amour. Thomas Bidegain a décidé d'adapter la première partie du livre éponyme d'Isabelle Autissier pour tisser un récit sur la survie d'un couple, les rôles assignés à chacun et notre capacité à puiser dans nos ressources intérieures pour les dépasser. Un récit haletant et des paysages aussi sublimes qu'hostiles s'articulent avec une histoire plus intime et la mue salvatrice des deux personnages : portés par l'excellente Mélanie Thierry, qui emmène Laura de sa fragilité vers la confiance en soi et la force, et par un Gilles Lellouche tout en retenue qui arrache Ben à ses certitudes de macho pour l'ouvrir à sa sensibilité.

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