Exclusif : Le SOS des chefs pour l'océan

Pour la Journée mondiale de l’océan le 8 juin, les chefs des Relais & Châteaux s’engagent à ne plus proposer de civelles ni d’autres espèces marines menacées d’extinction.
Charlotte Langrand
L’anguille sauvage a vu sa population s’effondrer.
L’anguille sauvage a vu sa population s’effondrer. (Crédits : © LTD / Mathieu Foulquié/Biosphoto)

Ils sont tous sur le même bateau... qui prend l'eau. Les chefs cuisiniers, les pêcheurs et, à l'autre bout de la chaîne, les consommateurs verront-ils disparaître bientôt de leurs cales, de leurs cuisines et de leurs assiettes les poissons qu'ils affectionnent? Les chiffres sont alarmants : 35,4 % des ressources marines sont surexploitées, la pêche illégale représente 20 % des captures mondiales (de 11 à 26 millions de tonnes par an) et 35 % des prises sont gaspillées, capturées et tuées... pour rien. Pire, la liste rouge des espèces marines en danger d'extinction ne cesse d'augmenter, notamment pour différentes sortes de saumons sauvages et pour les anguilles, dont la population s'est effondrée... En cause: les contaminations industrielles, la surpêche intensive et le  manque de diversité de notre alimentation  quotidienne, qui sursollicite toujours les  mêmes poissons.

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Devant ce triste tableau, les chefs, chevilles centrales de la consommation, à mi-chemin entre les pêcheurs et le consommateur, ont décidé d'agir avant qu'il ne soit trop tard. « Je veux rester optimiste, affirme Mauro Colagreco, vice-président de l'association Relais & Châteaux (R&C). Nous devons absolument lutter contre la perte de notre biodiversité car nous pouvons encore changer les choses. Par exemple, les quotas de pêche pour le thon rouge décidés par le passé ont donné des résultats: les stocks s'étaient  reconstitués et nous avons ensuite pu le  remettre à la carte de nos restaurants. »

Les 580 établissements membres de R&C et leurs 80 restaurants situés dans 65 pays ont donc adhéré à la campagne #anguillenonmerci et accepté de les retirer tout bonnement de leurs cuisines. « Justement parce que nous sommes une association qui évolue dans le monde du luxe, nous devons être des modèles, poursuit le chef triplement étoilé. Les autres restaurateurs et les consommateurs nous regardent: nous devons montrer l'exemple et inciter à faire les bons choix, car ce que nous décidons de manger, chacun  et chaque jour, décide du monde dans lequel  nous et nos enfants allons vivre demain. » L'engagement de R&C ne date pas d'hier: en 2014, le chef Olivier Roellinger (Maisons de  Bricourt à Cancale) et Philippe Gombert  (Château de la Treyne) présentaient leur premier manifeste d'engagement à l'Unesco. Impliquée auprès d'Ethic Ocean depuis 2009 pour la préservation des ressources de la mer, l'association est consciente qu'il faut des décisions drastiques pour éviter la disparition des espèces marines surexploitées comme l'anguille sauvage, victime de surpêche et que l'on ne sait toujours pas produire en élevage.

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Le chef Mauro Colagreco, vice-président de l'association Relais & Châteaux - LTD © / MATTEO CARASSALE POUR LA TRIBUNE DIMANCHE

Le choix de se priver de ce délicieux poisson migrateur n'a pas été facile pour tout le monde. Il est par exemple compliqué de faire évoluer les mentalités quand il s'agit de traditions régionales très ancrées dans les esprits et les estomacs : « Les plats typiquement espagnols, comme ceux à base de civelle, sont très importants pour notre culture et  notre patrimoine, explique le chef Pedro  Subijana (Akelarre à Saint-Sébastien en  Espagne). Mais aujourd'hui la responsabilité doit aller de pair avec la tradition. » Au Pays basque, d'ailleurs, certains chefs ont fait face à de violentes réactions de leurs clients après avoir enlevé de leur carte des plats traditionnels à base d'anguilles juvéniles... Mais les cuisiniers ont tenu bon. D'autres n'ont d'ailleurs pas hésité à s'en séparer, comme David Toutain, chef doublement étoilé à Paris, dont le plat signature était pourtant à base d'anguille. Il l'a simplement remplacée par du hareng fumé... et c'est tout aussi délicieux.

Une telle décision touche aussi de plein fouet toute la chaîne de pêche des poissons concernés. « Il est vrai que l'arrêt des commandes à nos pêcheurs peut mettre tout un système économique en difficulté, reconnaît Mauro Colagreco. Mais réfléchissons: si nous ne prenons pas ces décisions en amont, l'anguille s'éteindra et sa filière avec elle... Suspendre la pêche est la seule façon de sauver  cette filière. Il n'y a pas d'autre choix: les gouvernements n'écoutent plus - ou trop tard - les alertes des scientifiques, nous devons prendre nos responsabilités et unir nos  forces. »

En bout de ligne, le consommateur est le dernier maillon de cette nécessaire prise de conscience. Celui-ci pourrait consommer d'autres poissons, tout comme il peut décider de respecter les saisons en arrêtant de manger des fraises en plein hiver... Le 8 juin, pour la Journée de l'océan, l'association incitera ses membres à servir des menus spéciaux à base de ressources aquatiques durables. « On peut tous cuisiner des poissons "méconnus", qui ne sont pas aussi "nobles" qu'une sole ou un turbot mais qui sont tout aussi intéressants et surtout moins chers, explique Mauro Colagreco. Au printemps, mangeons par exemple de l'églefin, du hareng, du merlu, de la vive et du lieu noir! » De quoi explorer de nouvelles recettes tout en préservant notre fragile planète.

Charlotte Langrand

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Commentaire 1
à écrit le 02/06/2024 à 9:06
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Comem d'habitude ce sont les véritables, les ge,ns les actifs, ceux de la vie réelle qui essayen tde faire quelque chose pendant que ceux qui possèdent et détruisent le monde en ronflant continuent de posséder et détruire le monde en ronflant. Et en ...

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