Dans trois jours, la flamme olympique arrivera à Marseille. Et, sans se vanter, la ville aurait tout aussi bien pu organiser des « olympiades du goût » : la scène culinaire locale a récemment connu une mue profonde, et le monde va enfin découvrir ce que la cuisine du Vieux-Port a dans le ventre. Car la popote phocéenne ne se résume plus à l'aïoli, à la bouillabaisse ou aux pieds paquets, aussi délicieux soient-ils... Une nouvelle génération de chefs fait souffler un vent aussi costaud que le mistral sur les assiettes locales.
Il aura pourtant fallu du temps pour voir la « cuisine du soleil » se déployer. Au Petit Nice (trois étoiles depuis 2008), le chef Gérald Passedat s'est longtemps senti seul en tant que représentant de la cuisine marseillaise, car, avant le regain culinaire de la Canebière amorcé dans les années 2000, on trouvait de bonnes tables, mais très traditionnelles, comme La Côte de Bœuf ou Chez Vincent. Petit à petit, Gérald Passedat, avec des cuisiniers comme Lionel Lévy, Guillaume Sourrieu ou Arnaud Carton de Grammont, ont entrepris de sortir la cuisine du Sud de ses stéréotypes, notamment avec l'association Gourméditerranée, fondée en 2012.
La singularité gustative de Marseille est enfin apparue. Son métissage culinaire est dû à sa double « orientation » : une cuisine provençale tournée vers l'intérieur des terres, mais aussi méditerranéenne, grâce à son port ouvert vers le Sud et l'Orient. Marseille accueille le monde entier ; désormais, ses recettes historiques évoluent (à l'origine, il n'y avait pas de tomates dans la bouillabaisse !) et elle exploite enfin son terroir vivant, avec sa pêche de ligne durable et ses néoagriculteurs en permaculture... Certains chefs l'ont vite compris, comme Alexandre Mazzia, qui a tout bousculé en 2014 avec son restaurant AM. Après un parcours atypique fait de voyages et de basket professionnel (il portera d'ailleurs la flamme olympique), ce chef poète déploie des assiettes minutieusement pensées qui lui vaudront trois étoiles au Michelin en 2021.
Premier événement hors de Paris en 2004
Ce terroir a ensuite attiré d'autres chefs et les établissements ont fleuri : L'Idéal (Julia Sammut), Une Table, au Sud (Ludovic Turac), Saisons (Julien Diaz), Signature (Coline Faulquier), Cédrat (Éric Maillet). Le guide Fooding a accompagné cette éclosion dès ses balbutiements, en 2004, année de son premier événement organisé hors de Paris, à Marseille : « Depuis, nous avons chaque année des restaurants marseillais primés, constate Christine Doublet, la directrice adjointe du guide. Cette année, entre les commerces, les caves, les restaurants et les hôtels, nous avons recensé 100 bonnes adresses dans la ville. » Trois restos phocéens figurent au palmarès 2024 : la sandwicherie Razzia, La table d'hôtes Atelier Renata et le bistrot Ripaille.
En 2018, l'ouverture du « sophistroquet » La Mercerie, dans le quartier populaire de Noailles, avait fait date et des émules (un de leurs fidèles, Benoît Cadot, s'est exfiltré pour ouvrir Prémices). Aujourd'hui, la liste des restaurants enthousiasmants est désormais longue et bigarrée. On y trouve de nombreux restos libanais, des pizzerias punchy comme des caves à vin, des tables installées dans des lieux atypiques ou des adresses d'auteurs... Citons pêle-mêle le bistronomique Regain de Sarah Chougnet-Strudel, le très viandard La Femme du Boucher de Laëtitia Visse, la cantine-bar à vins Caterine de Marie Dijon, Pétrin Couchette, une boulangerie-sandwicherie-coffee shop, ou Livingston de Valentin Raffali, l'un des chefs les plus inventifs du moment, actuellement candidat à Top Chef.
© LTD / instagram/@ludovic_turac
« Ce sont des adresses très différentes et souvent tenues par des chefs marseillais, poursuit Christine Doublet. Aujourd'hui, ils cuisinent la pêche locale, des légumes de producteurs régionaux et font une cuisine bien à eux, pas forcément "provençale". » Sauf pour la revisiter, comme Christian Qui, lequel sert sa « bouillabaisse du turfu » [du futur] à emporter.
Signe de l'engouement, de nombreux chefs parisiens débarquent à Marseille : dernièrement, Céline Chung, papesse de la cuisine chinoise à Paris, vient de poser son Gros Bao, ses rôtisseries chinoises et ses baozis (brioches vapeur) sur trois étages à la place de l'institution marseillaise Toinou. La rivalité Paris-Marseille aurait-elle enfin vécu ? Le Vieux-Port n'a en tout cas plus rien à envier aux bords de Seine.
AM par Alexandre Mazzia 9, rue François-Rocca (8ᵉ) Livingston 5, rue Crudère (6ᵉ) Atelier Renata 2a, rue Guy-Fabre (1ᵉʳ) Regain 53, rue Saint-Pierre (5ᵉ) Gros Bao 3, cour Saint-Louis (1ᵉʳ) L'Idéal 8, rue d'Aubagne (1ᵉʳ) Une Table, au Sud 2, quai du Port (2ᵉ) Saisons 8, rue Sainte-Victoire (6ᵉ) Signature 180, rue du Rouet (8ᵉ) Cédrat 81, rue Breteuil (6ᵉ) Ripaille 56, rue Lorette (2ᵉ) Razzia 2, rue Fontange (6e)Carnet d'adresses
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