Hafsia Herzi : « J’ai vu l’humanité de la prison »

ENTRETIEN - L'actrice et réalisatrice revient en surveillante pénitentiaire dans un polar intense.
Hafsia Herzi à Paris, le 2 avril.
Hafsia Herzi à Paris, le 2 avril. (Crédits : ALBERT FACELLY POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Elle savoure une année sans fausse note. Nommée pour le césar de la meilleure actrice pour son rôle tout en finesse dans Le Ravissement, Hafsia Herzi, 37 ans, revient dans celui d'une surveillante de prison dans Borgo, thriller carcéral de Stéphane Demoustier. Révélée par Abdellatif Kechiche en 2007 dans La Graine et le Mulet, qui lui a valu le césar du meilleur espoir féminin, la jeune femme élevée à Marseille a poursuivi son auscultation sans fard des sentiments humains à travers des personnages complexes. Derrière sa cascade de cheveux noirs et son regard mélancolique se cache une actrice avisée qui fuit les mondanités, se préserve des jugements hâtifs et choisit des films loin des clichés. On l'a vue chez Bonello, chez Bercot ou Verheyde, elle a aussi retrouvé Kechiche pour Mektoub, my love avant de réaliser deux films salués par la critique, Tu mérites un amour (2019) et Bonne Mère (2021). Elle sera bientôt dans le prochain Téchiné. Entretien avec une actrice de tempérament, forte, fine et secrète, qui aime se frotter aux rôles profonds.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous jouez une surveillante pénitentiaire qui essaie de s'insérer dans un milieu difficile, dans la prison et en dehors. Le thème de l'enfermement vous parlait ?

HAFSIA HERZI - Il n'y a rien de pire que d'être privé de liberté et il y a beaucoup de films à faire sur le milieu carcéral... Ce qui m'a frappée dans le scénario, c'est que cela aurait pu m'arriver : nous pourrions tous être en prison, un jour. Il suffit d'un moment de bascule... Parfois, des gens qui ont tout pour être tranquilles dérapent. Mon personnage a voulu faire confiance et elle s'est fait avoir, tout simplement. Elle se fait manipuler et mettre la pression... Dans son quotidien, elle veut protéger sa famille, elle essaie de s'intégrer à l'extérieur et à l'intérieur de la prison, ce n'est pas évident pour elle. Donc elle agit sans trop réfléchir et se fait prendre dans cet engrenage.

Borgo est une sorte d'anti-Prison Break qui montre une vision « désaméricanisée » et plus réelle de l'incarcération. Vous connaissiez ce milieu ?

Une de mes amies a longtemps travaillé comme surveillante pénitentiaire aux Baumettes, à Marseille. C'est différent de Borgo, en Corse, où les détenus circulent de cellule en cellule, mais elle me racontait son quotidien. J'ai passé du temps en prison pour mon film Bonne Mère, qui se passe côté parloir, et pour Borgo aussi, j'ai animé des ateliers cinéma qui m'ont permis de discuter du quotidien des détenus et des « matons ». Même si ça reste un milieu difficile, j'ai vu l'humanité de la prison et de leurs relations, alors qu'on s'attend aux clichés habituels sur les « méchants surveillants », etc.

Melissa évolue avec détermination dans des univers très masculins. Vous aimez les rôles féminins forts ?

Je préfère ça plutôt que le contraire ! Et j'aimais l'idée d'une femme dans un milieu d'hommes. C'est un beau personnage de cinéma. Dans Le Ravissement, Lydia a des failles. Dans Borgo, Melissa est humaine et empathique. Et elles suscitent toutes les deux l'incompréhension : on ne sait pas vraiment ce qu'il se passe dans leur tête. Mais dans la vie, est-ce qu'on comprend l'autre, alors qu'on ne se comprend pas vraiment soi-même ? Comment peut-on juger les décisions de quelqu'un ? En plus, il y a 30 % de surveillantes pénitentiaires, car c'est un métier difficile et mal payé, compliqué psychologiquement : il faut pouvoir rester enfermé avec des gens qui souffrent... Les surveillant(e)s voient des suicides et se font parfois agresser.

Le réalisateur cherchait une actrice qui soit « à la hauteur de l'authenticité des acteurs corses » et qui ait « suffisamment d'autorité pour faire face aux prisonniers ». C'est tout vous ?

Ça me fait plaisir qu'il dise ça ! Oui, j'étais contente, car j'allais tirer au pistolet et jouer avec des hommes, mais je savais aussi que je devais faire preuve d'autorité face à eux, comme quand je suis réalisatrice sur un plateau... La première fois que j'ai rencontré les acteurs de Borgo, ils se sont excusés avec assurance, l'air de dire « on ne va pas être très gentils avec toi ». Mais ensuite, on a bien rigolé. À la fin, c'est eux qui disaient que j'étais trop dure avec eux !

Le fait d'être réalisatrice a-t-il changé le regard des gens du cinéma sur vous ?

Un peu... Mais pour Bonne Mère, j'ai quand même été confrontée à quelques techniciens vraiment misogynes qui ne supportaient pas qu'une femme leur parle. C'était un cauchemar, j'étais choquée par leur attitude. Ce n'est pas toujours évident d'être une femme... Il y a encore beaucoup de machisme : on n'est pas prises au sérieux, on dit que nous n'avons pas les épaules, qu'on n'y arrivera pas, qu'on est trop sensibles. Toujours les mêmes préjugés ! Le regard des femmes réalisatrices manque au cinéma, même s'il y en a de plus en plus.

Très jeune, on ne me proposait de jouer que des femmes soumises, arabes, des terroristes, des femmes de ménage

La dénonciation des comportements abusifs dans le milieu du cinéma vous paraît donc salvatrice ?

C'est bien que la parole se libère. Cela en freinera peut-être certains, même si ces abus ont lieu partout. Il y a malheureusement des gens plus faibles qui succombent. C'est de l'abus de faiblesse et c'est très grave, ça peut plonger en dépression, causer de grandes blessures. Dès que certains ont un petit pouvoir, ils parlent mal aux gens, et ça, je ne l'accepte pas : la base, dans le travail, c'est le respect.

Est-ce que vous avez aussi souffert de clichés racistes dans les rôles qu'on vous a proposés ?

Oui, au début. Très jeune, on ne me proposait de jouer que des femmes soumises, arabes, des terroristes, des femmes de ménage... Ça ne me dérange pas en soi de jouer une femme de ménage, attention ! Mais quand c'est toujours pour faire l'Arabe de service : non merci. Trop souvent, les scénaristes n'ont pas d'imagination, ils nous voient dans un film et nous proposent exactement le même rôle ensuite. Après Le Ravissement, j'ai reçu des tas de scénarios sur des femmes au bord du suicide, déséquilibrées...

Vous avez refusé ces rôles dès le début ?

Oui. Même si j'avais besoin de travailler, je ne voulais pas vendre mon âme au diable. J'ai préféré attendre de meilleurs rôles. C'était dur, mais je ne regrette rien. Il faut tenir bon, car il y a aussi des gens qui ont de l'imagination, comme pour Borgo, dans lequel mon origine n'est jamais citée. Ou comme dans le prochain film d'André Téchiné, dans lequel je joue une prof de littérature. J'adore Téchiné depuis toujours et encore plus après avoir travaillé avec lui : c'est un grand cinéaste, un grand monsieur. Et il a toujours eu de l'imagination : il a filmé des gens typés, des Noirs, des Arabes depuis les années 1980 ! Ça a été l'un des premiers. Nous voulions travailler ensemble depuis des années. J'aurais dit oui sans lire le scénario !

Mais la sortie a été décalée en juillet...

Parce qu'il y a une histoire de harcèlement, qui date d'il y a vingt-cinq ans [le comédien Francis Renaud accuse André Téchiné de harcèlement sexuel]. Sur le tournage, André est plutôt timide, dans son coin... Je ne l'imagine vraiment pas faire ça. Ça m'a contrariée pour lui car il est très sensible. Après, je n'étais pas là... Mais ce qu'on raconte ne correspond pas à André.

Vous aviez aussi soutenu Abdellatif Kechiche quand il a été accusé de maltraiter ses actrices...

Je dis juste ce que je vois. Pour moi, Abdellatif n'est pas non plus la personne qu'on a décrite. En tout cas, avec moi, ça s'est très bien passé. C'est quelqu'un de bienveillant qui a donné sa chance à beaucoup de gens et lancé des carrières : Sara Forestier, Adèle Exarchopoulos, moi... L'âme du réalisateur se ressent dans son cinéma, on ne peut pas être une ordure et faire de bons films.

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