Benjamin Biolay : « J’ai toujours cette peur de décevoir »

ENTRETIEN - Dans son nouveau film, il excelle dans le rôle d’un journaliste désabusé. Sur le petit écran, il incarne un président de club de foot dans la série « La Fièvre ». Entretien cash sur la politique, la critique, le cinéma et le foot.
Charlotte Langrand
Benjamin Biolay, auteur-compositeur-interprète, producteur et acteur français.
Benjamin Biolay, auteur-compositeur-interprète, producteur et acteur français. (Crédits : © LTD / Albert Facelly pour La Tribune Dimanche)

Il cultive son talent dans tous les domaines. Chanteur brillant, capable de rock ténébreux comme de chansons intimistes, musicien hors pair, compositeur de l'ombre, à la fois dandy, populaire et engagé, Benjamin Biolay a aussi promené sa silhouette nonchalante sur les plateaux de cinéma. On l'a vu chez Olivier Assayas, Christophe Honoré, Bruno Dumont... Il revient mercredi avec le premier rôle du film de Julie Navarro Quelques Jours pas plus, où il excelle dans la peau d'un critique rock désabusé qui doit héberger un réfugié chez lui.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Un chanteur qui se glisse dans la peau d'un critique de musique, ça fait quel effet ?

BENJAMIN BIOLAY - C'était sympa ! Après vingt-cinq ans de musique, je n'ai que de la tendresse pour eux. Je me suis inspiré avec affection de ceux que je connais, parce que leur amour de la musique, qui est celui de ma propre vie, a noué un lien fort entre nous. Et puis, certains savent vraiment de quoi ils parlent, ce sont même parfois de très bons musiciens. D'ailleurs, à l'époque où je pensais seulement écrire des chansons, je ne m'interdisais pas de devenir critique rock moi-même ! J'aurais voulu être Lester Bangs [journaliste musical américain, auteur et musicien] : j'adore les critiques transgressifs, qui créent une œuvre et inventent leur vie.

Quel rapport entretenez-vous avec la critique ?

Ça va, même quand je me suis fait secouer à mes débuts, j'avais du recul... Sauf quand on m'attaquait sur le physique ou la personnalité, je pouvais débarquer en disant : « Faut qu'on parle ! » Quand on débute, on ne comprend pas ce qu'on écrit sur nous, on pense qu'ils n'y connaissent rien... Après, on comprend mieux, et si un mec écrivait « il n'a pas de voix et chante comme un con », je disais : « Il a le droit de le penser ! » Maintenant, je n'ai que de la tendresse pour cette vieille engeance et encore plus pour les critiques rock, ces dinosaures qui hélas disparaissent, remplacés par des « créateurs de contenu »...

Loin de la musique, Arthur, votre personnage dans le film, va être immergé dans une association d'accueil des réfugiés. Connaissez-vous le milieu ?

Oui, le sujet est important pour moi : il s'agit de réfugiés, pas de la crise des migrants. Ceux qui jouent dans le film ont vécu des choses atroces, ils étaient très heureux dans leur sublime Afghanistan et des tarés de talibans leur ont coupé la tête. La réalisatrice est très juste dans son approche car elle a elle-même longtemps milité et logé des réfugiés chez elle.

Benjamin Biolay et Camille Cottin

Le film évite le pathos ou la farce en partie grâce à votre personnage, blasé et autodestructeur, qui n'est pas sensible à cette cause...

Au départ, il n'en a rien à faire de rien, ni de son métier ni du reste. Il héberge un réfugié sur un malentendu mais n'est pas prêt à s'engager. Pourtant, on ne doit blâmer personne : il fait comme la plupart des gens qui ont du mal à boucler leurs fins de mois et s'inquiètent pour leur avenir. C'est aussi un super personnage qu'il fallait compartimenter : mon job en tant qu'acteur, c'était de tomber amoureux de Mathilde et de tout faire pour lui plaire. Mais, comme souvent dans les histoires d'amour, quand vous découvrez le milieu socioculturel de l'autre et que vous n'avez pas un cœur de pierre, vous ressentez de l'empathie. Donc, moi, dans ma tête, je ne venais pas faire ce film en tant que militant mais en tant qu'Arthur, un gros glandeur égoïste qui allait mettre le bordel dans un film de Ken Loach !

Et son côté enfermé dans sa musique, toujours le casque sur les oreilles, ça vous parle ?

Non, je ne comprends pas ces gars-là. Je fais de la musique mais je n'en écoute pas autant qu'eux. Je ne me dis jamais « tiens, je vais m'écouter le petit live de Dylan en 1966 » alors qu'il est 15 heures ! Arthur a besoin de découvrir un autre monde. Ça règle des choses dans sa vie : en ouvrant son cœur à Mathilde puis sa maison à Daoud, il se rend compte qu'il a aussi sa fille à côté de lui. Avant ça, il refusait de vieillir. Le pauvre, presque tous les disques qu'il écoute ont trente ans ! Mais j'ai imaginé la playlist qu'écoute Arthur, car il a 50 ans comme moi et devait avoir la culture musicale de sa jeunesse. Les générations en musique, c'est important : quand tu es jeune et qu'un groupe révolutionnaire arrive, ça peut changer ta vie. Si tu avais 40 ans en 1991 quand Oasis est né, tu n'en avais rien à foutre ; si tu en avais 17, c'était la révolution.

Benjamin Biolay dans La Fièvre

Arthur doit aussi composer avec les goûts musicaux de Mathilde, dont Jean-Jacques Goldman... Ça vous a coûté ?

Non, c'est le personnage ! C'est une belle chanson, Puisque tu pars, je ne la connaissais pas... C'est la vie, ça : j'ai déjà été amené à aimer des musiques par amour. Une de mes premières fiancées adorait Prince, et moi, Michael Jackson. Elle ne comprenait rien à la musique de Michael, et moi, je trouvais que Prince était surcoté ! On avait tort : à la fin, on adorait les deux.

La réalisatrice a pensé à vous pour le rôle après l'une de vos interviews radio où vous aviez l'air de sortir du lit à 15 heures ainsi que pour votre nonchalance et votre humour... Vous vous reconnaissez dans ce portrait ?

Moi, je suis de la génération qui oublie que la radio, c'est filmé ! Ma nonchalance a souvent caché une timidité maladive et un trac sérieux. Même petit, j'ai toujours eu cette attitude : quand j'étais impressionné, au lieu de prendre un air cool, j'essayais de me détacher. J'ai toujours autant le trac, j'en ai vraiment marre. Je finis bientôt ma tournée et tout va me manquer sauf ce trac, qui me rend soit catatonique soit très nerveux. J'ai toujours cette peur de décevoir...

Contrairement à votre personnage, vous êtes militant depuis longtemps. Que pensez-vous de l'état de la gauche ?

La France est un pays extraordinaire mais ceux qui nous gouvernent ne sont pas à notre niveau. Ils pensent que nous sommes des Gaulois réfractaires impossibles à diriger alors que ce sont eux qui ne sont pas dignes de nos exigences morales, intellectuelles et collectives. La gauche et la droite n'existent plus. Il n'y a plus que l'extrême gauche et l'extrême droite... Pour moi, la droite d'Éric Ciotti, c'est l'extrême droite, et celle d'Olivier Marleix, c'est... rien. À l'heure actuelle, les seules personnes capables d'être au niveau sont celles issues du milieu socioassociatif. Après le vote de la loi immigration, j'ai ressenti une forme de honte collective. Dans les débats au Sénat, j'ai entendu de ces choses... comme Bruno Retailleau qui parlait de « régression ethnique ». J'ai aussi eu honte qu'on soit passé de 8 députés d'extrême droite à 89, alors que la personne qui a demandé le barrage républicain avait dit « votre vote m'oblige ». Ce clientélisme électoral me déplaît forcément.

Benjamin Biolay et Camille Cottin

Craignez-vous la victoire de l'extrême droite en 2027 ?

Si l'économie tient, ce n'est pas fatal... Je passe du temps en Argentine [où vit sa deuxième fille], ce pays a basculé parce que les gens sont tombés dans la précarité et que la classe politique n'a pas été au niveau. Le peuple a voté aux extrêmes comme un suicide collectif. Ils sont juste en train de réaliser ce séisme électoral.

Vous jouez aussi dans la série La Fièvre [sur Canal+]. Un scénario qui décortique les mécanismes de l'implosion de la démocratie...

Je voulais tellement faire partie du projet... Je le trouve brillantissime, même si c'est Cassandre : on pourrait penser qu'il voit tout en noir et est obsédé par la guerre civile, mais il sait de quoi il parle. J'aime sa façon de décortiquer les réseaux sociaux, de montrer comment un petit crétin de créateur de contenu va faire un tweet de merde pour créer le buzz et déclencher une sorte de guerre civile larvée.

Que pensez-vous du lynchage numérique d'Aya Nakamura, qui aurait été choisie pour chanter aux Jeux olympiques ?

C'est honteux, j'adore cette artiste. C'est le délire complet autour des Jeux olympiques, on ne parle même pas des athlètes et des médailles qu'on pourrait remporter. Alors, la personne qui va chanter à l'ouverture... Marine Le Pen critique une chanteuse, c'est n'importe quoi : elle n'y connaît rien. Moi, quand je ne maîtrise pas un sujet, je me tais.

Dans La Fièvre, vous incarnez un président de club de foot... Un rêve devenu réalité ?

Bien sûr, parce que j'adore le foot depuis toujours, et donc, comme pour jouer un critique de rock, j'avais déjà une préparation au rôle ! En plus, en Argentine, le foot est extrêmement important dans la société : ma fille de 4 ans soutient déjà son club, Tigre, qui n'est pas le même que le mien [Atlanta] ou que celui de sa mère [Boca] ! Elle est trop marrante... On a des discussions hyper intenses à ce propos.

Votre autre fille, Anna Biolay, fait ses premiers pas au cinéma. Vous en parlez avec elle ?

Elle fait ce qu'elle veut ! J'ai l'impression qu'elle suit plutôt les pas de sa mère [Chiara Mastroianni]. Moi, le cinéma est arrivé dans ma vie à 30 ans, alors que dans la famille de sa mère il y a de grands comédiens... Nous avons tourné dans Rosalie [de Stéphanie Di Giusto, en salles le 10 avril], elle y est épatante. J'avais un trac fou pour elle, car elle avait une tartine de texte à dire et devait pleurer devant 180 figurants... Je trouvais ça dur, et elle, pas du tout ! Je bavardais avec Benoît [Magimel] entre les prises et après on se taisait pour la regarder. Je ne m'en fais pas pour elle, elle voit quatre films par jour : elle connaît bien mieux le cinéma que moi !

Comédie Sociale (3⭐/4)

Arthur Berthier est un critique de rock quinquagénaire et autodestructeur, renfermé sur lui-même et ses groupes préférés des années 1960. Après avoir saccagé une chambre d'hôtel en reportage, il est assigné à la rubrique société de son journal, pour suivre l'évacuation d'un camp de migrants. Il tombe sous le charme de Mathilde, la responsable de l'association Solidarité Exilés, et accepte d'héberger Daoud « pour quelques jours ». Le jeune Afghan incarné par Amrullah Safi, aussi démuni que digne et déterminé, va ouvrir l'univers condamné d'Arthur... L'ancienne directrice de casting Julie Navarro signe ici un beau premier film en tant que réalisatrice, qui raconte à la fois une tranche de vie personnelle et un sujet d'actualité difficile sans tomber dans le pathos ou dans la farce. Adapté du livre de Marc Salbert De l'influence du lancer de minibar sur l'engagement humanitaire (LeDilettante), le scénario questionne l'engagement humanitaire de façon décalée, grâce à des personnages plein d'humour et de recul (Benjamin Biolay est impeccable), et dresse un constat sans fard ni larmes du quotidien des bénévoles, incarnés par une Camille Cottin militante et touchante et des réfugiés s'improvisant acteurs. Un film qui donne à penser et à rire et interpelle l'engagement de chacun.


Quelques Jours pas plus, de Julie Navarro, avec Benjamin Biolay, Camille Cottin, Amrullah Safi. 1 h 43. Sortie mercredi.

Charlotte Langrand

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Commentaire 1
à écrit le 31/03/2024 à 12:31
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Biolait, connais pas. Ici, son cine n'existe tout simplement pas. Pourtant les salles proposant des prod etrangeres sont nombreuses et tres variees. Parfait inconnu. Est-il subventionne ? Ceci expliquerait cela....

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