« La réalité, c’est que le téléphone nous donne un ordre » (Lilia Hassaine, autrice)

ENTRETIEN - L'autrice, qui interrogeait la notion de transparence dans sa dernière fiction « Panorama », revient sur la façon dont les réseaux sociaux ont inversé notre rapport à l'intimité.
Lilia Hassaine, autrice.
Lilia Hassaine, autrice. (Crédits : © FRANCESCA MANTOVANI)

Dans Panorama, prix Renaudot des lycéens 2023, la romancière Lilia Hassaine imagine une dystopie dans laquelle la transparence est devenue la règle : les murs des immeubles sont en verre, et chacune et chacun sait ce que font les autres en permanence. L'argument de ce nouveau régime : avec la transparence, moins de crimes. Avec cette trame narrative, Lilia Hassaine interroge le rapport de nos sociétés à l'intime et à la vie privée. Rencontre.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Dans Panorama, vous explorez la question de la transparence, pourquoi ?

LILIA HASSAINE - L'envie de mettre en fiction mes questionnements sur l'exhibition que l'on fait de soi sur les réseaux sociaux est ancienne, mais l'importance qu'a prise le mot « transparence » a accéléré le processus. Elle s'immisce partout. Dans les discours politiques, dans la vie publique, dans les réseaux sociaux, dans les prises de parole des marques, dans l'architecture avec l'émergence des bâtiments en verre... Tout cela dit beaucoup de nos sociétés.

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Le réseau social BeReal propose de l'authenticité. Est-ce exactement la même chose que la transparence ?

Ça participe de la même illusion. En voulant à tout prix être transparents ou authentiques, nous devenons des avatars de nous-mêmes. Sur BeReal comme ailleurs. Ce discours sur l'authenticité est un discours marketing qui contribue à la mise en récit de soi et qui permet, ensuite, l'exploitation des données que l'on fournit à ces différentes plateformes. Sur ces réseaux, et a fortiori sur BeReal, nous jouons à « être vrai », nous avons l'impression de faire des choix ; or la réalité est que le téléphone nous donne un ordre, celui de poster une photo d'une certaine façon. Nous sommes plus proches de l'auto-exploitation que de la liberté authentique, non ? Nous devenons des images. Qu'elles soient avec des filtres ou sans filtre.

Dans cette transparence ou cette authenticité, n'y a-t-il pas, aussi, en creux, la négation de l'intime ?

Cette négation de l'intime est évidemment contenue en creux dans cette dynamique. Je dirais même que l'intime est inversé, puisque les algorithmes favorisent les confidences intimes ou le fait de se dénuder plutôt qu'autre chose. La loi de la proximité inversée chère à Paul Virilio se retrouve et peut se résumer ainsi : nous ne disons plus bonjour à nos voisins ou ne confions plus nos secrets à nos amis, mais à la multitude de nos communautés numériques.

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Commentaires 2
à écrit le 14/01/2024 à 13:10
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Son succès dans cette catégorie est il dû à sa jeunesse ? ainsi qu'à sa beauté ? Car le sujet, outre que la plupart des anciens s'y attendaient, est une illustration du mode de vie institué en RPC; et poussé à l'outrance en Corée du Nord (comme en RD...

à écrit le 14/01/2024 à 9:16
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Comme d'habitude le prix attribué par les lycées est toujours excellent. C'est une belle dystopie décrite là par l'auteure et nous y sommes, nous sommes au début à savoir le moment où nous n'avons pas l'impression d'y être. Cette dictature de la tran...

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