« Je ne comprenais pas pourquoi on ne m’aimait pas » (Franck Dubosc)

ENTRETIEN - À l’affiche de « Chien et chat » de Reem Kherici, l’acteur a fait une pause pour une séquence émotion et souvenir.
À Paris, le 23 janvier.
À Paris, le 23 janvier. (Crédits : CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCH)

Depuis sa chambre au Grand-Quevilly, il a toujours su qu'il ferait de sa vie une épopée. Une vie parsemée d'exploits, de reconnaissance, mais surtout une vie qui comblerait cette obsession d'être aimé par n'importe qui, pour n'importe quoi. Regardez-moi, aimez-moi, vous ne le regretterez pas, aurait-il été capable de hurler dans la cour de récré. De toute façon, tous les prétextes étaient bons pour susciter l'attention. Pari réussi. C'est en 2006 avec le film Camping qu'il parvient à être « quelqu'un », mais pas forcément celui qu'il espérait. S'il est devenu l'un des plus grands acteurs populaires grâce à son personnage de Patrick Chirac, l'image du gros beauf en slip de bain l'a poursuivi à ses dépens pendant - beaucoup - trop longtemps. Lors de notre tête-à-tête dans un salon du palace parisien Peninsula, Franck Dubosc ne joue pas. Ne cherche pas la blague à tout prix pour faire diversion ou pour cacher ses émotions. Car ce comédien est d'une grande profondeur. N'en déplaise à cette catégorie d'acteurs qui méprisent ceux qui font rire.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Est-ce que, comme les chiens, vous avez été contraint de montrer les crocs ou de montrer patte blanche ?

FRANCK DUBOSC - Je suis né avec ce besoin de prouver tout ce que je suis, de m'affirmer pour me sentir aimé et exister aux yeux des autres. J'ai incarné tellement de nigauds au début de ma carrière que les gens ont fini par m'associer à ces personnages. Quand j'étais petit et que l'on me prenait un peu pour un idiot, je me disais toujours « Un jour, ils sauront ».

Encore aujourd'hui, vous avez besoin de prouver que vous n'êtes pas un idiot ?

C'est seulement en 2018, après la sortie de mon film Tout le monde debout, que j'ai arrêté de me poser des questions, de me torturer l'esprit. Avec ce film, j'ai réussi à prouver de quoi j'étais capable, que je n'étais pas - que - Patrick Chirac. J'ai eu la chance d'échanger avec Michel Galabru. Lui aussi a souffert du complexe de l'acteur de comédie. Je suis celui que l'on aime parce qu'il est rigolo, mais qui n'est pas respecté. Il y a un mépris involontaire pour les films populaires. Combien de fois des gens du cinéma m'ont dit, tout en me tapant sur l'épaule : « Eh ben, tu vas être surpris, mais j'ai beaucoup aimé Camping. »

La preuve, les films populaires sont chaque année absents des Césars...

Tant pis. J'assume parfaitement qui je suis aujourd'hui. Et être un acteur populaire, quand on veut être aimé par le plus de gens possible, c'est quand même le meilleur métier au monde.

Parce que vous l'avez longtemps cherchée, cette popularité !

C'est sûr qu'à l'école je faisais partie de ceux qui étaient choisis en dernier pour former les équipes en sport. De ceux qui organisaient des boums à la maison auxquelles personne ne venait. Je ne comprenais pas pourquoi on ne m'aimait pas. Peut-être parce que j'étais un bon élève.

Le premier de la classe ?

L'éternel second, la pire place. Et pourtant, j'ai tout fait pour être le premier. Mais j'avais tout faux. Mes enfants trouvent que c'est un peu ringard d'être le premier de la classe. Ils ont sûrement raison. Ce besoin du regard des autres m'a poursuivi pendant très longtemps et a entraîné beaucoup de déceptions. Quand un artiste est autant dans l'attente de recevoir de l'amour, c'est qu'il y a quelque chose qui cloche. On veut être plein de personnages pour fuir ce que l'on est vraiment. On ressent alors de l'amour des autres. Pourtant ce n'est pas moi, Franck Dubosc, qu'ils aiment, mais Patrick Chirac, le dragueur mytho que j'incarne dans mes spectacles ou mes sketches avec Élie Semoun. Ce qui me manquait, c'était de m'apprécier moi-même, de me regarder dans la glace en me disant « C'est bien, ce que tu as fait ». Je l'ai compris en 2018 seulement, à 55 ans ! Si aujourd'hui je suis peut-être moins aimé par le public, je me sens mieux aimé.

Vous n'avez jamais caché avoir grandi dans une HLM au Grand-Quevilly avec des parents prolétaires. Vous sentez-vous coupable de gagner de l'argent ?

Quand j'ai commencé à toucher mes premiers cachets, j'ai senti que ça ne plaisait pas à mon père. Il était persuadé que je ne l'aimais pas, que j'avais honte de lui. J'ai retrouvé récemment une lettre écrite à mes parents le soir de ma première expérience dans un grand hôtel, au Hilton de Bruxelles. Je me revois encore assis au bord de la fenêtre. Dans cette lettre, je leur racontais que, malgré l'endroit où je me trouvais, je ne pensais qu'à eux. Si ma mère a immédiatement senti que je n'oublierais jamais d'où je viens, mon père, lui, a ressenti un profond complexe, jusqu'à installer une distance infranchissable avec moi.

« Je suis né avec ce besoin de prouver tout ce que je suis »

Aujourd'hui, vous êtes orphelin. C'est plus facile d'assumer votre train de vie ?

Depuis qu'ils sont morts, j'assume davantage. Mon argent, je ne l'ai pas volé. Je paie mes impôts, qui sont le fruit de beaucoup de travail. Si l'argent permet d'effacer quelques soucis, il n'est pas nécessairement un gage de bonheur absolu. D'ailleurs, mon but n'a jamais été de gagner de l'argent à tout prix. C'est sûr que j'aurais préféré venir d'un milieu très friqué, partir en vacances au ski, faire du cheval. Devenir astronaute, pilote de ligne et même routier... Depuis ma chambre, je regardais les camions passer. Je me disais : « Qu'est-ce qu'ils ont de la chance de parcourir la France avec cette liberté de laisser leur imagination vagabonder. »

La maladie a emporté vos deux parents. Quel est votre rapport avec la mort ?

Je crains davantage la maladie que la mort. J'ai toujours été hypocondriaque mais la naissance de mes deux enfants a intensifié mes angoisses. Plus on a d'enfants, plus il y a de risques que l'un d'eux tombe malade.

C'est comment le dimanche de Franck Dubosc ?

Depuis que je suis papa, j'ai chassé l'angoisse du dimanche soir pour me consacrer à mes enfants. C'est faire les devoirs, recevoir les copains dans la journée. Et puis, surtout, c'est le rituel du massage en fin d'après-midi. Un rendez-vous que je bénis. Mes copains savent très bien qu'il ne faut surtout pas m'inviter à dîner le dimanche soir. C'est alors là que je peux vraiment sortir les crocs ! [Rires.]

Chien et Chat, de Reem Kherici, avec elle-même, Franck Dubosc, Philippe Lacheau, sortie le 14 février.

SES COUPS DE CŒUR

Ce n'est pas pour semer des cailloux qu'il aime Le Petit Poucet, mais pour se taper la cloche sur les bords de Seine à Levallois-Perret. Il ressent une profonde admiration pour le trompettiste Ibrahim Maalouf et pour Romain Duris dans le film Le Règne animal. Il ne comprend pas la controverse qui a accueilli Alphonse de Nicolas Bedos : « C'est une série très féministe. Un bel hommage aux femmes. »

Le Petit Poucet : 4, rond-point Claude-Monet, Levallois-Perret.

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