« Je suis le fruit d'une rencontre entre deux malentendus » (Isabelle Carré, comédienne)

ENTRETIEN - Elle sera sur la scène du Théâtre Marigny au côté de José Garcia à partir du 17 janvier. En attendant, la comédienne s’est livrée au jeu des confidences.
Isabelle Carré à Paris au bar de l’hôtel Lutetia, quelques jours avant Noël.
Isabelle Carré à Paris au bar de l’hôtel Lutetia, quelques jours avant Noël. (Crédits : © Christophe Meireis pour La Tribune Dimanche)

Comme son nom ne l'indique pas, Isabelle a cette rondeur enfantine qui nous entraîne dans une bourrasque de candeur. L'actrice césarisée et écrivaine passionnée nous donne rendez-vous au Lutetia. Un palace parisien aux antipodes de son quotidien : celui d'une mère de famille au look juvénile et qui n'a jamais connu la sérénité de l'esprit. À 15 ans, elle a préféré laisser derrière elle une enfance chaotique pour s'envoler de ses propres ailes et suivre des cours de théâtre. Loin de ses parents pour tenter de retrouver cette âme d'enfant qu'elle n'a jamais connue, mais avec la nécessité vitale de se décharger de ce trop-plein d'émotions sur scène ou devant la caméra. « Bonjour ! Isabelle Carré », se présente-t-elle. Bonjour, Isabelle Carré, on a tout simplement envie de vous cajoler.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous n'aimez pas trop parler de vous...

ISABELLE CARRÉ - Je préfère écouter les autres. Tout comme je déteste me regarder dans les films. J'ai essayé plusieurs fois, mais ça me coûtait beaucoup. J'étais trop souvent déçue par mon jeu. Les souvenirs de tournage sont beaucoup plus précieux. Surtout avec des partenaires de jeu comme Bernard Campan ou Benoît Poelvoorde.

Il se dégage de vous une extrême douceur, comme si vous étiez un radar à émotions...

Ma perméabilité aux émotions m'a causé de grosses difficultés quand j'étais adolescente. À la suite d'un chagrin d'amour à 14 ans, j'ai tenté de mettre fin à mes jours. Une tentative de suicide qui m'a conduite à l'hôpital psychiatrique. Ce séjour a été fondateur pour moi puisque c'est là-bas que j'ai eu envie de m'inscrire à des cours de théâtre après avoir regardé un film avec Romy Schneider. C'est grâce à ces périodes sombres, celles où j'avais vraiment touché le fond, que j'ai trouvé une solution pour moi. Lorsque l'on arrive à les surmonter, on ressent une très grande force en soi.

Comment évacuez-vous ce trop-plein d'empathie ?

Soit au théâtre, soit dans l'écriture. Le mot n'est pas très beau mais l'écriture me « purge ». Sinon, je peux exploser comme une cocotte-minute.

Cette ultrasensibilité est liée à votre enfance chaotique ?

Les épreuves, les manques affectifs tout au long de l'enfance ne nous prédisposent pas à devenir un adulte serein. Je suis le fruit d'une rencontre entre deux malentendus.

Vous avez l'impression d'être un malentendu, vous aussi ?

J'aime cet heureux malentendu qui a réuni mes parents puisqu'il m'a permis d'être là. Mon père était un soixante-huitard et ma mère issue de la grande bourgeoisie. Elle a voulu rompre avec cette éducation stricte mais, finalement, il n'y avait plus aucun cadre. C'était une enfance sans ceinture de sécurité, comme à l'arrière des voitures.

Votre père vous a révélé tardivement son homosexualité. En avez-vous souffert ?

C'était plutôt un soulagement pour tout le monde. Je voyais bien que mon père souffrait. Il a découvert son homosexualité à l'époque où des lois étaient votées, où on condamnait cette homosexualité, où c'était encore considéré par l'OMS comme une maladie, et où il y avait encore des thérapies de conversion. Il souffrait de toutes ces injonctions de la société et de sa famille qui l'empêchaient d'être lui-même.

Vous avez commencé votre carrière très jeune. Avez-vous été confrontée à des producteurs, des réalisateurs malveillants ?

Absolument. N'est-ce pas étonnant qu'il faille attendre d'avoir 50 ans pour signifier à un acteur que son comportement avec les habilleuses ou ses partenaires n'est pas acceptable ? Qu'il faille attendre Annie Ernaux, avec Mémoire de fille, puis Le Consentement de Vanessa Springora pour s'interroger sur la notion de consentement ? Qu'il faille encore Camille Kouchner pour découvrir que l'inceste concerne un Français sur dix ?

Je fais partie des 3 % qui signent le plus de pétitions sur Change.org

Connaissez-vous personnellement Gérard Depardieu ?

Je n'ai jamais tourné avec lui. Je l'ai juste croisé une fois dans le hall de la médecine des assurances des films. C'est un artiste exceptionnel, certes, mais ça ne lui donne pas le droit de ne pas respecter les femmes. Elles sont plusieurs à souffrir à cause de lui.

Dans La Femme défendue (1997), de Philippe Harel, tourné en caméra subjective, vous apparaissez nue dans plusieurs scènes. Tourneriez-vous encore maintenant dans ce genre de film ?

Tourner en caméra subjective m'a énormément appris. Mais je reconnais qu'après le tournage j'ai eu besoin de me protéger, de me replier sur moi-même. Sans doute à cause de cette caméra pointée constamment sur moi pendant cent minutes.

Laisseriez-vous l'une de vos filles se dénuder au cinéma ?

Si elle est adulte, ses choix lui appartiennent. Je parle beaucoup avec mes trois enfants. S'ils veulent faire ce métier, je les mettrai en garde sur plein de petits détails que j'ai appris bien trop tardivement, malheureusement. Quand vous êtes dans une scène dénudée, fragilisante et que vous sentez qu'il y a quelque chose qui ne va pas, il faut oser demander au réalisateur de sortir quelques minutes pour se reconnecter avec soi. Quand on joue, on est comme devant le tableau noir de l'école. C'est beaucoup plus difficile d'avoir de l'assurance face à toute une classe qu'assis sur sa chaise devant son bureau d'écolier.

Vous écrivez encore des lettres quand vous êtes en colère contre quelqu'un ou après quelque chose ?

Toujours, mais sans jamais les envoyer. Ça me fait juste du bien de réfléchir, de donner mon point de vue, même à moi-même. Je fais partie des 3 % qui signent le plus de pétitions sur Change.org. Je n'aurais pas pu faire de la politique car je n'aime pas ce monde-là, mais je regrette de me sentir aussi impuissante...

Comme de nombreux artistes, avez-vous des tocs ?

J'ai une telle phobie de tomber malade et de ne pas pouvoir jouer que je me lave les mains plusieurs fois par jour et j'ai toujours du gel hydroalcoolique avec moi. Quand je suis au théâtre, j'occupe un petit coin de scène qui est comme une espèce de petite cabane où j'entrepose des objets qui me rassurent. J'appelle ça mes « plumes de Dumbo ». Vous savez, Dumbo croit qu'il peut voler seulement s'il tient une plume dans sa trompe. Souvent, c'est un livre, un casque pour écouter de la musique, un morceau de sucre avec de la menthe, du Coca avec du citron pour la gorge ou des bonbons au miel. Tout un petit tas de quincaillerie qui m'aide à me sentir moins seule et qui fait bien rire mes compagnons de jeu !

Biographie - Un jeu, mis en scène par Frédéric Bélier-Garcia, au Théâtre Marigny du 17 janvier au 17 mars.

ÇA RESTE - VRAIMENT - ENTRE NOUS

Elle a pris sa première « cuite » à 12 ans en vidant les bouteilles d'alcool chez ses grands-parents. « Je me souviens d'avoir chanté Amsterdam cette soirée-là.

Je n'ai plus jamais recommencé. Je déteste perdre le contrôle de moi-même. » À 3 ans, elle a voulu voler comme Mary Poppins et a sauté par la fenêtre. « Je pensais que j'allais me déposer comme une plume légère. Depuis, j'ai une jambe plus courte que l'autre avec une énorme cicatrice. »

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.