Jean-Marie Périer, photographe des yéyés : « Je suis un adolescent attardé »

ENTRETIEN - Dans son livre « Mes nuits blanches », le photographe des yéyés Jean-Marie Périer dévoile le meilleur de ses souvenirs, des années « Salut les copains » à aujourd’hui.
En novembre, à Paris.
En novembre, à Paris. (Crédits : © Cyrille George Jerusalmi pour la Tribune Dimanche)

À l'aube de ses 84 ans, l'œil est toujours aussi malicieux et son rire tellement délicieux. Jean-Marie Périer est un voleur d'âme, de sourire et de bonheur. Il franchit le hall de sa maison d'édition une enveloppe à la main. « C'est le chèque pour payer toutes mes amendes de stationnement... Je n'ose même pas vous donner le montant. » Elle est loin, cette époque d'insouciance où on brûlait la vie par les deux bouts, où l'on se foutait de tout et où Paris n'était qu'une fête. Aujourd'hui, si la bamboche est terminée, Jean-Marie Périer reste le meilleur témoin des yéyés pour nous apporter un peu de frivolité. Dans son livre Mes nuits blanches, il nous fait voyager dans le passé avec ses photos qui retracent toute une période de légèreté et d'insouciance insolente.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - C'est grâce à Étienne Daho si vos photos sont aussi célèbres aujourd'hui...

JEAN-MARIE PÉRIER - Dans les années 1990, il m'a conseillé de ressortir tous mes clichés réalisés trente ans plus tôt. Je n'y avais jamais pensé tellement j'étais passé à autre chose. Étienne m'a rendu un vrai service ! Il est doté d'une générosité incroyable. Il est rare qu'un artiste s'intéresse autant aux autres...

Vous racontez les coulisses de vos rencontres légendaires depuis sept ans sur Instagram. Qu'est-ce que ça vous apporte ?

C'est une forme d'exutoire. Je n'ai jamais eu de mémoire, mais replonger dans mes photos m'aide à renouer avec le passé. Si j'étais ministre de l'Éducation, j'obligerais les mômes à tenir un journal pour raconter leur quotidien...

Gabriel Attal est très impliqué dans la lutte contre le harcèlement. Ça vous parle personnellement ?

J'ai toujours eu beaucoup de chance. Quand j'arrivais quelque part, je devenais le roi de la piste en seulement quelques jours grâce à mes conneries contagieuses... Et pourtant, je ne foutais rien en classe. J'ai arrêté en troisième sans même avoir le certificat d'études. Seule la musique avait de l'importance.

Vous vous sentiez différent des autres ?

Évidemment, car j'étais beaucoup plus mat de peau que tout le monde. Je bronzais en deux heures alors que mon frère et ma sœur mettaient trois semaines. Quand tu apprends à 16 ans qui est ton vrai géniteur, tu en prends plein la tronche...

Comment se construire en tant qu'ado après ça ?

On ne se construit pas. Il aurait fallu me l'annoncer à 8 ans ou 30 ans, mais à 16 ans, c'est effrayant. Ça a complètement changé ma vie. D'ailleurs, je n'en suis jamais sorti. J'ai bientôt 84 ans et je continue à être obsédé par cette histoire.

Qu'est ce qui a essentiellement changé votre vie ?

J'ai arrêté la musique du jour au lendemain alors qu'elle était mon seul moteur. Ce que mon géniteur [le chanteur Henri Salvador] faisait sur scène, c'était exactement ce que je voulais faire. Mais j'ai pensé à mon père, François Périer, qui m'avait adopté dès le premier jour, et j'ai pris la décision de l'adopter à mon tour et de fermer mon piano à jamais pour ne pas ressembler à ce type. Il avait du talent, mais humainement il était épouvantable. Depuis, je me fous de tout puisque ma vie est en quelque sorte ratée depuis 1956.

C'est vraiment ce que vous ressentez ?

Oui. J'ai eu une vie extraordinaire parce que justement elle est ratée. Depuis, je brode. Je suis un dilettante. Quelqu'un qui a en plus de la chance d'être doué pour n'importe quoi et qui ne finit jamais les choses.

C'est une fuite en avant ?

Je ne sais pas. Je n'ai jamais analysé. Je sais juste que je n'ai jamais rien fait jusqu'au bout. J'ai changé de vie, de métier, de pays tous les dix ans.

J'ai eu une vie extraordinaire parce que justement elle est ratée.

Jean-Marie Périer

Comment s'est passée la première rencontre avec votre père biologique ?

Je vivais à Los Angeles et je reçois un coup de fil d'Eddie Barclay. Il me dit : « Je te passe mon secrétaire. » Je reconnais immédiatement son rire... Il me propose d'aller dîner avec lui. J'avais 43 ans, soit un âge responsable pour rencontrer son géniteur sans souffrir plus que de raison. Et puis je lui trouvais toutes les excuses du monde. Ce n'était pas sa faute si je suis né et qu'il a appris mon existence sept ans après. À cette époque, il avait besoin de moi car il était seul, sans compagne. Il a même voulu rencontrer mes trois enfants. J'ai attendu cinq ans avant d'accepter. Ma fille, qui avait 11 ans et l'innocence qui va avec, découvre cet homme se présentant comme son grand-père et qui sera toujours là pour elle. Puis du jour au lendemain il n'a plus jamais donné signe de vie. Il était passé à autre chose, et ses petits-enfants ne l'intéressaient plus. Ce qui n'est pas plus mal, car j'aurais eu le sentiment de trahir mon père...

Et vous, quel père êtes-vous ?

Pas un père extraordinaire parce que je ne les ai pas vraiment élevés. Je suis toujours étonné de l'amour qu'ils me portent. Est-ce que je le mérite vraiment ?

Vous croyez encore à l'amour ?

À la seconde ou ma chienne Daffy est arrivée dans ma vie il y a dix-sept ans, j'ai mis un terme à tout ça. Depuis tout ce temps-là je suis débarrassé du sexe, et c'est une bénédiction. Tout au long de ma jeunesse, j'en ai bien profité et je ne regrette rien. Je me suis quand même bien marré ! De toute façon, j'ai horreur des vieux qui baisent. Et ces libidineux qui reluquent une nana dans la rue, c'est à vomir. Ce qui me manque le plus, c'est la séduction.

Séducteur, vous continuez à l'être avec tout le monde !

C'est une sorte de numéro, une espèce d'automatisme. Fondamentalement, je suis très solitaire. D'ailleurs, je me suis toujours débrouillé pour me faire quitter. Par lâcheté, car je ne voulais pas faire souffrir.

On connaît votre belle histoire d'amour avec Françoise Hardy... Quelles sont les autres femmes de votre vie ?

J'ai aimé cinq femmes sans jamais les « désai-mer ». Je me suis toujours attaché aux hommes pour lesquels j'ai été quitté ; je n'ai jamais vraiment ressenti de jalousie. C'est curieux, peut-être n'ai-je jamais vraiment su aimer.

Vous avez souvent été avec des femmes plus jeunes...

Je les préparais pour un autre ! C'est la raison pour laquelle je m'attache aux suivants... C'est admirable de vouloir vivre avec une personne toute sa vie. Pour moi, c'est exclu. Je ne supporte pas le mariage. La fidélité, le sexe obligé et partager le même lit est d'un ennui... Je suis un adolescent attardé et je n'aime que « pygmalioner ». Je suis ému par une femme qui ne se rend pas compte de ce qu'elle est.

C'est comment, le dimanche de Jean-Marie Périer ?

Comme tous les autres jours. Je continue de travailler et je n'arrêterai jamais.

SES COUPS DE CŒUR

MODIANO ET MOI

S'il aime tous les livres de Patrick Modiano, c'est aussi parce qu'il le connaît depuis ses 6 ans. « Il est le contraire de moi. Lui, il ne peut pas parler. Parce que le début de sa phrase s'ennuie déjà de la fin. Et puis ce n'est pas un expansif. » Quand lui vient l'envie irrépressible d'un plateau de fruits de mer, c'est à L'Écailler du Bistrot* qu'il débarque avec son cocker. « Je vais seulement dans les restos qui acceptent ma chienne. »

* 22, rue Paul-Bert, Paris 11e.

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