Stella McCartney : « L’industrie de la mode vit au XVIIIe siècle ! »

ENTRETIEN - Parce que son style n’est pas qu’une simple griffe de luxe, la créatrice de mode poursuit ses engagements pour la sauvegarde de la planète. Le talent en plus.
Stella McCartney.
Stella McCartney. (Crédits : © LTD / GABBY LAURENT)

Décrocher une interview avec Stella McCartney est une bataille contre son agenda, et quand celle-ci est exclusive, un privilège. Quant au rendu photo, n'y pensons même pas. Stella McCartney est bien trop occupée à prendre soin de la planète, il y a urgence. Alors un Zoom avec cette activiste de la première heure, c'est forcément unique. Elle vous gratifie d'un « Hello, babe, you look great ! » Comprenez que, malgré la plate lumière de votre cuisine, dans laquelle vous avez installé votre ordi, Stella, elle, voit tout en beau ! C'est sa façon d'avancer, de transformer sa colère en coup d'éclat. Sans filtre.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Votre défilé automne-hiver 2024-2025, présenté ce 4 mars à Paris, est un vibrant plaidoyer à la « Terre Mère », appelant urgemment au réveil écologique, avec un langage fleuri : « It's about fucking time » (« il est temps, putain »). Êtes-vous en colère ?

STELLA McCARTNEY - [Rires.] Cela exprime clairement qu'il faut se réveiller et devenir écologiquement responsable. Parce que, oui, « it's about fucking time » ! J'ai repris cette phrase du tee-shirt que j'ai enfilé en 1999 pour la cérémonie d'intronisation de mon père au Rock and Roll Hall of Fame. Je voulais souligner qu'il était temps qu'il y soit distingué.

Faux croco et sac de cuir créés à partir de pommes, nylon à base de plante, votre collection été, écoconçue à 95 %, est la plus éthique de l'histoire de votre maison, mais aussi du prêt-à-porter de luxe en général. Au jardin, l'avenir de la mode ?

Définitivement. Le Mirum, par exemple, est un cuir 100 % végétal et sans aucun plastique ajouté. Nous avons conçu un sac de luxe en cuir à partir des déchets des grappes de raisin du vignoble Veuve Clicquot. Nous testons aussi des choses avec des bananes. Nous nous sommes associés à travers notre fonds d'investissement Collab SOS, et avec LVMH, à la ferme de coton régénérative Söktas, en Turquie, qui suscitent l'intérêt de la Commission économique des Nations unies pour l'Europe. La culture du coton régénératif est un progrès indéniable, elle diminue la consommation d'eau, améliore la fertilité des sols et les moyens de subsistance des communautés. À l'opposé, l'agriculture conventionnelle du coton est dévastatrice pour les terres.

L'usine de traitement de Veolia qui transforme en combustible les déchets ménagers non recyclables pour alimenter une partie des foyers du sud de Londres
sert de cadre à votre campagne de publicité de l'été. On est loin du glamour de la mode...

Ça me choque de voir à quel point les publicités de la plupart des marques de mode sont vides de sens, sans discours ni message sous-jacents importants autres que ces mièvreries : « Oh... vous savez, nous aimons les femmes... » Mais on s'en fout ! Pourquoi et comment est mon seul leitmotiv. À travers mes publicités, je cherche à sensibiliser les gens à l'importance d'une approche consumériste différente. Je remets en question mes objectifs carbone à chacune de mes collections, dans le but d'atteindre zéro impact en 2040. Ma marque n'est pas qu'une simple griffe de mode de luxe. Elle s'oppose à la cruauté animale et est conçue avec des produits recyclés et écoresponsables innovants. Elle introduit la cause environnementale dans l'industrie de la mode et la société en général.

Lors de la COP28, le débat que vous avez mené avait pour objet la mise en œuvre d'actions concrètes à l'échelle mondiale, pour réconcilier l'ensemble des filières de la mode avec l'environnement. Quelles sont-elles ?

Il faut inverser le cahier des charges. Aux États-Unis, un article de cuir végétal importé est taxé jusqu'à 30% de plus alors que, si nous mettons un petit morceau de cuir de porc sur le même produit, les taxes ne s'appliquent pas. Quand on sait le désastre écologique qu'engendre l'élevage industriel, ça n'a pas de sens. Nous devons élaborer de nouvelles législations pour encourager les entreprises durables et la décarbonation de l'industrie, mettre en place des pénalités dans notre secteur comme dans les industries de l'automobile ou de l'aéronautique, comme imposer 30% de taxes si on utilise du plastique ou que l'on tue des animaux; dans le cas contraire, faire bénéficier d'une réduction d'impôt de 10%. Chez Stella, nous travaillons désormais en étroite collaboration avec les politiciens pour mettre en place une coalition de dirigeants et d'entreprises au niveau mondial et obtenir des changements. Nous avançons.

Vous avez dévoilé le premier vêtement au monde fait à partir de déchets plastiques digérés par des enzymes eux-mêmes conçus par l'intelligence artificielle. Bienvenue dans la science-fiction, votre nouveau credo ?

C'est fascinant ! L'innovation scientifique est la chose la plus cool, la plus tendance et la plus sexy au monde. C'est même la raison pour laquelle je fais ce métier. La mode est tellement ennuyeuse, sinon. Nous investissons énormément de temps et d'énergie sur des tas de projets pilotes comme celui de l'entreprise américaine de recyclage biologique Protein Evolution, qui a mis au point ce procédé qui absorbe les plastiques.

Ma marque introduit la cause environnementale dans la société

Une loi visant à réguler et taxer l'ultra-fast fashion et la fast fashion vient d'être votée en France. La mode est devenue un ascenseur social, les plus modestes pourraient être privés du plaisir d'une garde-robe diversifiée. Qu'en pensez-vous ?

Cette mode jetable relève d'un déséquilibre éthique mondial. Il s'agit avant tout de rééduquer les gens dans leur façon de vouloir être à la mode et d'acheter un vêtement. En privilégiant le vintage, par exemple, ou en économisant un peu plus longtemps pour acheter des produits de meilleure qualité. Je ne suis pas d'accord avec les prix exorbitants que pratique la mode, parfois. J'aimerais que tout le monde puisse s'offrir des vêtements de qualité.

« Enfant du rock », vous l'avez dans la peau. Où se cache votre rébellion ?

Voici ma rébellion : « Je vais vous parler de choses désagréables à entendre et je ne m'arrêterai pas tant que vous n'adhérerez pas à mon point de vue. » À mes débuts, on se moquait de moi. À l'époque de mes premières collections pour Chloé, j'avais fait une vidéo antifourrure avec Peta [association de défense des droits des animaux] où l'on voyait des renards en cage en train de devenir fous, se mangeant vivants. Horrible ! Je l'ai envoyée à tous les créateurs. Ils ont tous été extrêmement sarcastiques. Karl Lagerfeld me l'a retournée et Dolce&Gabbana m'a sommée de me taire.

L'intrusion des activistes de Peta sur les podiums des défilés est redoutée par
les marques et provoque la gêne dans l'assemblée. Que pensez-vous de cette aversion de la mode pour la cause animale ?

Qu'elle se réveille, se modernise, se mette à la page ! Cette industrie vit au XVIIIsiècle ! Je dis toujours aux entreprises : « Les gars, si vous voulez rester pertinents et travailler avec la prochaine génération, vous devrez vous convertir à la transition écologique. Les jeunes ne veulent pas prendre part aux activités d'une marque nuisible. » Peta, par exemple, est nécessaire. Les gens ne pensent pas que leur sac en cuir vient de la peau d'un animal mort. Il est bien peu glamour et luxueux, ce voyage depuis la naissance de la vache jusqu'à son abattage, pour ce beau petit sac. Il y a trois industries opaques dans le monde : l'armement, la drogue et les abattoirs où les animaux sont tués par centaines de millions pour leur peau.

Votre mère, disparue en 1998, est votre muse. Que vous a-t-elle conseillé quand vous vous êtes lancée dans l'aventure de la mode ?

[Rires.] « Ne fais pas ça ! » Ma mère n'était pas branchée mode. Elle portait des chaussettes différentes à chaque pied, elle ne se rasait pas les jambes, ne se maquillait pas. Mes parents ont toujours été une grande source d'inspiration pour moi. Il existe d'eux tant d'images cool qu'il suffit que je les regarde pour continuer ma carrière en paix.

Comment vit-on écolo chez Stella McCartney ?

J'ai quatre enfants, on fait de notre mieux. Nous fabriquons notre propre lait de noix de cajou. Mais pour autant, nous ne vivons pas hors du temps. On recycle, je fais le tour de la maison pour éteindre toutes les lumières. Nous sommes équipés de panneaux solaires. J'ai du papier toilette marron. [Rires.]

Dessiner une nouvelle silhouette ou trouver des solutions durables pour la mode, qu'est-ce qui vous rend le plus heureuse ?

Les deux. C'est devenu une plaisanterie chez Stella, on ne parle plus que de durabilité et non plus de style. Cette collection de l'hiver 2025, à 90% durable, est pourtant entrée, avec Louis Vuitton, Dior, Chanel, Saint Laurent, dans le top 10 des défilés les plus vus. J'en ai eu le souffle coupé ! J'aurais déjà quitté la mode si je ne me sentais pas le devoir d'essayer d'en modifier l'impact environnemental. Mais j'adore la mode et, au final, créatrice de mode, c'est ce que j'essaie d'être.

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Commentaire 1
à écrit le 24/03/2024 à 10:36
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La classe dirigeante bourgeoise qui possède tous les capitaux et outil de production vivent dans le 18ème siècle même s'ils prennent un peu dans tous les isècles ce qui les arrange aussi hein. Le nazisme et le stalinisme ont été une grande insipartio...

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