Le spectacle « Femmes persanes », splendide création de Bartabas pour Zingaro

Le Théâtre équestre Zingaro propose une chevauchée avec les Scythes, antique peuple eurasien nomade régi par des femmes.
Alexis Campion
Le spectacle « Femmes persanes » au théâtre d’Aubervilliers.
Le spectacle « Femmes persanes » au théâtre d’Aubervilliers. (Crédits : © Hugo Marty)

Aujourd'hui bannies par l'islamisme obscurantiste qui les condamne à une nuit sans fin, sans éducation ni prérogatives, Afghanes et Iraniennes opprimées hantent Femmes persanes, ultime et splendide création de Bartabas pour Zingaro, la légendaire compagnie équestre qu'il a fondée et qui l'an prochain fêtera ses quarante ans d'existence. Cet hiver, chaque soir, sous les hautes charpentes du théâtre d'Aubervilliers, c'est toute une tribu de femmes et de chevaux qui chante, danse, galope, voltige et guerroie sans relâche. Au nom de la liberté, bien sûr.

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Politique et de toute beauté, mené tambour battant par quatre musiciennes iraniennes, une sorcière bruiteuse et pas moins de douze cavalières à la fois voltigeuses chevronnées et insolentes poétesses, ce spectacle est sans aucun doute celui par lequel Bartabas se situe le plus clairement en résistance. Par sa lumière teintée de mille nuances, son humour cru et sa force chatoyante, avec tact autour d'un miroir d'eau qui se teinte de jasmin ou de sang au gré des situations, Femmes persanes cible l'insupportable asservissement que talibans et mollahs imposent aujourd'hui encore à leurs épouses, leurs mères, leurs filles. Dans ce barnum résolument féministe, envoûtant avec ses joutes enflammées, ses paons blancs et ses ahurissants numéros de capilotraction, les hommes n'entrent en piste que le temps d'un tableau ironique... Il les montre à dos d'ânes récalcitrants, empêtrés entre turbans ridicules et luttes de pouvoir. Au passage, c'est une masculinité trop longtemps triomphante et trop souvent toxique, y compris au sein du milieu équestre, qui est ici dévoilée.

Dans cette civilisation nomade, la différence entre les sexes ne se mesurait qu'à l'âpreté de leur monture

Bartabas

« J'avais d'abord pensé à un spectacle sur le rebetiko pour raconter comment la dictature des colonels, en Grèce, en est arrivée à se couper de sa propre culture en forçant ses érudits et ses artistes à l'exil », raconte Bartabas qui, in fine, a laissé dériver son imaginaire vers un Orient plus enfoui, plus féminin. « C'est avant l'assassinat de Mahsa Amini, au moment du retour des talibans en Afghanistan, que je me suis arrêté sur la notion de la femme », confiet-il. Au fil de ses recherches et de ses conversations avec l'ethnologue Jean-Pierre Digard, il décide alors de célébrer les Scythes, ce peuple antique régi par le matriarcat. « Leur rendre hommage est une façon d'être dans le rêve et dans l'aventure sans verser dans une dénonciation trop directe, détaille-t-il. Dans cette civilisation nomade dont les Perses sont les descendants, les enfants portaient le nom de leurs mères, qui occupaient les postes clés de la société et combattaient au même titre que les hommes. La différence entre les sexes ne se mesurait alors qu'à l'âpreté de leur monture, car c'est la qualité du cheval qui faisait la force du guerrier. »

Un constat qui fait écho, de fait, au milieu du cheval tel qu'il a évolué lui-même. « On s'aperçoit par là à quel point le cheval est un égalisateur entre les genres, c'est d'ailleurs la seule discipline sportive et olympique où hommes et femmes concourent ensemble, poursuit Bartabas, pas étonné que le milieu équestre se soit féminisé ces dernières années. Le cheval a toujours accompagné l'évolution de l'homme. Le XXI e siècle est celui où il n'est plus qu'un animal de loisir alors qu'au XX e il servait encore de compagnon de travail et de transport. » Un changement que l'artiste-écuyer voit positivement, « car les femmes se situent plus naturellement dans la recherche d'une rencontre, d'une complicité avec l'animal, ce qui est quand même plus intéressant qu'un rapport de contrainte ou de domination ».

Cabaret de l'Exil « Femmes Persanes », jusqu'au 31 mars au Théâtre équestre Zingaro, Fort d'Aubervilliers. 01 48 39 54 17, zingaro.fr.

Alexis Campion

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