Familles, je vous... aime ? hais ? Est-ce que je vous subis ou je vous choisis ? Une chose est sûre, Mehdi Kerkouche a trouvé dans ce sujet vieux comme le monde l'inspiration d'un spectacle qui n'a pas fini de séduire. Son Portrait réunit neuf danseurs d'âges et de gabarits tous très différents. Au centre, Amy Swanson, danseuse sexagénaire d'origine américaine. Un poil replète, longs cheveux blancs, elle incarne une doyenne débonnaire veillant sur ses ouailles plus ou moins disciplinées. Tournoyant sur elle-même sans jamais se départir de son doux sourire, elle affiche cette grâce que les spécialistes qualifieront de « duncanienne » avec ses yeux au ciel et ses bras levés... Autour d'elle et de sa rêverie, propulsés par leurs tempéraments volontiers plus endiablés ou heurtés, ses enfants, filles, garçons ou hermaphrodites, se dispersent, se lovent et se chicanent à la croisée de toutes les danses : hip-hop, contemporain, cabaret, street jazz, voguing, etc.
L'ensemble s'enrichit ainsi de mille nuances au son de rythmes hypnotiques réglés au cordeau par la percussionniste Lucie Antunes. Cette musique électro-organique répétitive a ceci de miraculeux qu'elle imprègne l'ensemble d'une mélancolie émouvante mais n'interdit pas non plus la liesse plutôt réjouissante à laquelle cette tribu bigarrée finit toujours par revenir.
Abreuvé de clips de Janet Jackson
Créé en janvier, pile au moment où le jeune chorégraphe était nommé directeur du CCN (Centre chorégraphique national) de Créteil, Portrait se joue cinq semaines dans la grande salle de la Scala Paris cet automne. Il tournera ensuite en France et à l'étranger au moins un an. Une réussite dans le monde de la danse contemporaine, milieu dans lequel Kerkouche ne fait rien comme tout le monde. Entre deux éclats de ce rire à la fois léger et tonitruant qui le singularise, il dit s'y être imposé quasi par effraction « tel un antéchrist [...], gamin homo, d'origine algérienne et fier de cocher toutes les cases », précise-t-il. Né à la danse en s'abreuvant de clips de Janet Jackson vus à la télé quand il était ado, passé professionnel dans les comédies musicales de Kamel Ouali (Le Roi-Soleil), Kerkouche n'avait que 6 ans quand, en 1992, il suppliait sa mère, qui l'élevait alors en solo à Suresnes, en banlieue parisienne, de l'inscrire à des cours de danse.
Après sa première création en 2018, Dabkeh, en hommage à la danse orientale, c'est à la faveur de l'épidémie de Covid-19 que Kerkouche a vu sa notoriété exploser. Virales, ses « vidéos confinées » réalisées dans son minuscule appartement parisien le poussent à fédérer et à synchroniser sur les réseaux sociaux, magie du split screen, pas moins de 70 danseurs confinés. Devenu pérenne, le festival On danse chez vous lui ouvre au passage les portes de l'Opéra de Paris qui, fin 2020, lui commande Et si, une pièce pour dix de ses danseurs. Reconnu dès lors pour être capable de fricoter avec l'institution autant qu'avec la pop culture, le chorégraphe se découvre ainsi le chic d'intéresser les fans de Pina Bausch et d'Aurélie Dupont tout autant que ceux des chanteuses Angèle et Christine and the Queens, dont il est le chorégraphe attitré. Une position de choix qui, sans aucun doute, explique la famille recomposée mise en mouvement dans Portrait.
Portrait, à la Scala Paris, du mardi au samedi à 19 heures, dimanche à 15 heures, jusqu'au 5 novembre. Tél. : 01 40 03 44 30. En tournée en 2024.
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