« Les réalisatrices françaises m'inspirent » (Natalie Portman)

À l’affiche de « May December », de Todd Haynes, l’actrice américaine se confie sur son parcours et ses ambitions.
Charlotte Langrand
Natalie Portman
Natalie Portman (Crédits : © VINCENT FLOURET/TRUNKARCHIVE/PHOTOSENSO)

Son chien s'invite dans l'interview par quelques gentils aboiements. Souriante, Natalie Portman flatte l'animal tout en répondant à nos questions, un matin de janvier dans un appartement parisien. L'actrice a les cheveux tirés en arrière et se présente sans maquillage ; sa beauté n'en est que plus naturelle et évidente. De cette star absolue, on connaît le cursus impressionnant, marqué par un certain talent à alterner les blockbusters (Star Wars I, II et III, Thor...) et les films d'auteur américains, signés Woody Allen (Tout le monde dit I love you) ou Tim Burton (Mars Attacks !). Sans oublier ses rôles dramatiques comme dans Black Swan de Darren Aronofsky, qui lui valut un oscar à 29 ans, Jackie du Chilien Pablo Larraín, portrait de Jacqueline Kennedy en veuve digne, ou encore Planetarium de Rebecca Zlotowski, sur le destin tragique d'un producteur parisien victime d'une cabale antisémite ayant conduit à sa déportation.

Lire aussi« Le système accorde trop de place aux acteurs » (Florence Loiret Caille, actrice)

Née à Jérusalem, l'actrice de 42 ans, par ailleurs diplômée de Harvard, contrôle sa communication au maximum (elle ne répond pas aux questions géopolitiques ni personnelles) mais a fait des choix artistiques qui justifient toutes les interviews : elle a refusé un rôle dans L'Homme qui murmurait à l'oreille des chevaux, de Robert Redford, pour pouvoir interpréter Anne Frank au théâtre. Elle a aussi joué dans Free Zone d'Amos Gitaï, une histoire d'amitié entre une Américaine, une Israélienne et une Palestinienne. Natalie Portman, qui a débuté très jeune, à 12 ans, aux côtés de Jean Reno dans Léon de Luc Besson puis d'Al Pacino dans Heat de Michael Mann, est aussi récemment devenue une productrice accomplie : elle a fondé la société MountainA avec son amie Sophie Mas, productrice française appréciée à Hollywood. Un nouvel engagement pour cette végane partisane de la défense des animaux, qui montre sa volonté de mettre en avant les textes et les sujets qui lui tiennent à cœur. C'est chose faite avec le chef-d'œuvre de Todd Haynes May December, qui sort en France mercredi (lire ci-contre), dans lequel elle partage l'affiche avec Julianne Moore. Un double portrait de femme et une mise en abyme sur le métier d'actrice : un scénario qu'elle avait proposé au réalisateur.

Son admiration pour Todd Haynes

J'adore les films de Todd et je rêvais de travailler avec lui. Son film Safe a été extrêmement important pour moi, j'ai même étudié la performance de Julianne Moore dedans. Far from Heaven est important aussi, comme I'm Not There. Todd est vraiment un maître, il a une façon incroyable d'examiner la psyché féminine, la performance et le thème de l'identité. Lorsque j'ai reçu le scénario de May December, j'ai su qu'il pourrait appliquer sa vision incroyable à cette histoire. Et il l'a fait ! Nous n'avions que vingt-trois jours pour tourner et il nous a donné à tous un « livre d'inspiration » : des images et un fichier de 25 films, pour nous inspirer tant visuellement que tonalement. Il y avait Persona d'Ingmar Bergman, Le Lauréat de Mike Nichols... Cela nous a tous mis sur la même longueur d'onde et aidés à comprendre quel film nous étions en train de faire. Et aussi une musique très inhabituelle [celle de Michel Legrand pour Le Messager, film de Joseph Losey de 1971], tellement étrange, qui a donné le ton au tournage. Il a ensuite choisi de l'utiliser dans le film. Enfin, Todd maîtrise aussi très bien la représentation d'une certaine sorte de banlieue américaine : cette existence idyllique et normative qui, lorsqu'on l'examine de plus près, révèle un fond malsain. Le choix de tourner à Savannah, en Géorgie, est intéressant : c'est une ville magnifique et emblématique, avec des arbres et de la mousse espagnole, pleine d'« Americana » et d'histoire : un endroit dont l'existence et le caractère sont étroitement liés au péché originel des États-Unis [l'esclavage]. Et, bien sûr, la relation entre Joe [Charles Melton, d'origine vietnamienne] et Gracie [Julianne Moore] y fait une sorte d'écho...

Une actrice qui joue une actrice

Je n'avais encore jamais incarné une personne encore vivante, et cela soulève des questions sur notre métier, que l'on se pose depuis plusieurs siècles : est-ce que transformer la vie des gens en matériau de jeu fait de nous des vampires ? Pouvons-nous raconter une histoire sans interférer avec elle ? La plupart des comédiens ne vont pas aussi loin qu'Elizabeth dans ses recherches, mais le simple fait de raconter un fait divers, de le rendre public, a un effet sur les gens concernés. Et l'art peut être immoral. Peut-on représenter un crime sans dire en quoi il s'agit d'un crime ? Autant de questions sans réponses. Elizabeth est cohérente avec son intention artistique - que l'on peut juger, combattre ou accepter - de pénétrer dans l'esprit de Gracie, qu'elle doit interpréter à l'écran. Elle va peut-être trop loin, elle n'a pas les limites qu'un journaliste, un documentariste ou même une actrice devrait avoir : ne pas interférer avec l'histoire. Elle est coincée dans son besoin de se prouver quelque chose et dans son propre ego, cela la rend aveugle à ce que les autres ressentent. Elle n'est pas très empathique mais elle a besoin d'être vue, respectée et admirée, comme Gracie. C'est pour cela qu'elles se reconnaissent mutuellement : elles deviennent des ennemies mortelles tout en se reflétant l'une dans l'autre.

« C'est amusant de jouer avec l'image préconçue que le public a de moi »

Son travail d'interprète

La méthode de l'Actors Studio, que les gens connaissent, exige de rester en permanence dans son personnage. Cela me semble très restrictif et impossible dans certains cas : si vous jouez un tueur en série, une prostituée ou un toxicomane, vous ne ferez pas vraiment ce genre de choses dans votre vie quotidienne. Je ne pratique pas du tout cette méthode. J'ai acquis des techniques au fil des ans, une façon de travailler et un processus, mais dès qu'on dit « coupez », je redeviens moi-même. J'ai bien conscience que le public va se demander si je travaille comme Elizabeth dans la réalité... C'est amusant de jouer avec les présomptions du public, avec cette image préconçue que les gens ont de moi.

Face-à-face avec Julianne Moore

Je ne la connaissais pas vraiment, ce n'est que lorsque nous avons travaillé ensemble que je suis tombée amoureuse d'elle. Elle est merveilleuse, et c'est une actrice extraordinaire. Nous partageons un style de travail similaire : nous sommes très sérieuses sur le plateau et ensuite nous aimons nous amuser et nous laisser aller. C'est la première fois que j'ai eu l'impression de créer un personnage avec une autre actrice, comme si nous faisions toutes les deux parties du même organisme. Elle a été généreuse, les caractéristiques qu'elle a choisies pour Gracie étaient comme des cadeaux pour moi, que je pouvais imiter. Et puis, il y a eu plusieurs « scènes de miroir » avec elle... C'était techniquement compliqué car le miroir, c'était la caméra : nous devions réagir l'une à l'autre sans nous voir. C'était un exercice étonnant et une belle façon pour Todd de représenter le thème de l'identité : si la caméra est le miroir, c'est le public qui est en face de vous quand vous vous regardez. Et puis ces deux femmes toujours devant une glace mais qui ne se regardent pas vraiment et qui ne se reflètent pas elles-mêmes... c'était incroyable.

Sa nouvelle vie de productrice

Je pensais qu'en vieillissant je serais moins intéressée par le jeu d'actrice ou moins prête, mais je continue à être intéressée et curieuse, de plus en plus, même ! J'aime aussi cette nouvelle vie de productrice, car je peux porter à l'écran des histoires qui ont un sens pour moi. Il est important que les femmes, qui sont la moitié de la population, aient accès à la narration. On ne raconte pas une histoire de façon particulière selon que l'on est une femme ou un homme : chaque réalisateur a sa propre façon de voir le monde. Mais les femmes et les minorités ont été historiquement exclues de cet exercice. Une grande partie de notre objectif, à moi et à mon amie et associée Sophie Mas, en tant que productrices, est de soutenir plus de femmes et de personnes historiquement sous-représentées dans les récits. Et j'aimerais aussi réaliser des films : la nouvelle génération de réalisatrices françaises, Rebecca Zlotowski, Céline Sciamma, Justine Triet... m'inspire beaucoup. C'est un groupe extraordinaire de femmes cinéastes, c'est pourquoi je m'estime chanceuse de vivre en France en ce moment.

Charlotte Langrand

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 21/01/2024 à 9:40
Signaler
Ce sont souvent chez les actrices que l'on va retrouver cette profonde sincérité qui en font de si bonnes comédiennes, elles vont chercher un truc qu'elles ont déjà, elles ont trouvé un truc qu'elles avaient déjà. Dans "Léon" elle crevait l'écran, à ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.