Livre : « Paris dans tous ses siècles », une comédie urbaine

Charles Dantzig réinvente Paris, animaux compris, dans un roman joycien.
Alexis Brocas
Charles Dantzig
Charles Dantzig (Crédits : © JF PAGA)

N'en déplaise à Hemingway, avant d'être une fête, Paris est un livre ! Un infini roman collectif alimenté, entre autres, par la Notre-Dame d'Hugo, la Comédie humaine largement urbaine de Balzac, les péripéties des ambitieux de Zola, les poèmes de Baudelaire et d'Apollinaire... Ce volume imaginaire accueillera avec joie le roman de Charles Dantzig, qui fait coexister animaux et humains dans un Paris moderne réinventé sur le vif, avec une palette de styles qui va de la chansonnette (« C'est nous qui sommes gris, gris, gris, c'est nous les princes de Paris ! » clament les pigeons) aux aphorismes moralistes (« Qu'est-ce qu'un réactionnaire ? Quelqu'un qui prend ses colères pour des idées », pense Victorien de son père Victor, écrivain virant à l'aigre). Disons-le tout de suite : pour exprimer la ville, Dantzig ne cherche pas à rivaliser avec l'état civil tel Balzac inventant une multitude de personnages humains. Il préfère rivaliser avec la SPA : chaque chapitre accueille, en ses premières lignes, la parole d'un animal, insecte philosophe ou mouette hilare, chat non binaire ou teckel sensuel. Bien sûr, les humains font partie du bestiaire. Ceci est un roman gentiment non spéciste...

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Qui dit roman-ville dit, souvent, roman-chorale : ici, elle est formée par un quintet de voix principales. Celle, mélancolique jusqu'à l'amertume, ou jusqu'au ridicule, de Victor, l'écrivain largué précité. Celle, touchante, de sa grande amie Gabrielle, galeriste et créature parisienne typique à ceci près qu'elle est humaine et s'entend avec sa mère (Ismena, qui était de toutes les fêtes autrefois). Et celles de leurs enfants : Victorien, étudiant aux Beaux-Arts reconnaissable tantôt à ses ongles dorés, tantôt à ses cheveux rouges, amoureux d'un Timothée dont il sème le nom sur les murs (en l'amputant de l'e final). Et son amie Irène, sagace fille de Gabrielle. S'y ajoute Wilson, émouvant gay brésilien qui loue « la pierre blonde » de la rue de l'Université, « qui prend si bien les caresses du soleil ». Et une foule de voix anonymes que Dantzig nous fait entendre par des répliques citées en bas de page : l'équivalent littéraire de ces phrases que tout Parisien saisit au hasard de ses promenades.

Ne cherchez pas les intrigues là-dedans. Il y en a, mais ce sont des intrigues non romanesques, qui ressemblent à la vie en ce qu'elles contiennent souvent leur fin dans leur argument : Gabrielle s'éprend d'un jeune Gaspard ambitieux qui la traite en marchepied, Victor cherche un sujet de roman et va recevoir une distinction de la maire (que tout le monde déteste et appelle Khadija). Wilson se prostitue un peu et voit sa relation tarifée avec un prof de droit d'Assas se changer en amitié. Il y a aussi quelques jolies fantaisies métaphoriques - l'évasion d'un éléphant malade du zoo de Vincennes qui déboule place de la Nation, une « grande tempête » qui fera danser les monuments de la Concorde.

Vampirique mais non malveillante

Mais plutôt qu'avec des histoires, Charles Dantzig compte nous attraper par le style. Proustien sans exclusive, il sait que beauté et vérité confluent dans les métaphores, et nous le montre dès la première phrase : « Les lampadaires en cou de dinosaure semblaient inspecter les voitures allant de front sur l'autoroute. » Il sait aussi saisir en une formule des phénomènes complexes, telle la mue de Victor en réactionnaire parisien typique : « Certains Français ont tendance à croire que c'est la France qui est morte alors que c'est leur enfance. »

Mais son sujet, bien sûr, c'est Paris, « ce prodigieux chou-fleur », « Paris ville de réputations, et elles sont toutes fausses », où l'on pratique « la taquinerie, laquelle n'est jamais qu'une expression gaie de la méchanceté ». Le dîner de pré-vernissage chez Gabrielle, en fin de roman, vous en convaincra. Mais s'il sait montrer le snobisme des Parisiens, voire leur méchanceté, Charles Dantzig ne réécrit ni Illusions perdues ni L'Éducation sentimentale. Son Paris n'est pas un bain de cynisme où se dissout l'innocence des derniers arrivés. C'est un Paris qui permet l'amitié entre ceux qu'il a à la fois amochés et portés aux nues. Une cité vampirique mais non malveillante, qui se nourrit du sang frais des provinciaux tombés sous son charme mais qui accomplit aussi leurs désirs de liberté, et parfois leurs ambitions...

Alexis Brocas

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