Raphaël : « Mon premier amour, c’est la musique »

ENTRETIEN - Après une escapade littéraire, le chanteur, auteur et compositeur, signe son retour musical avec « Une autre vie », son dixième album, annoncé pour le 8 mars.
Raphaël jouera cet été dans une quinzaine de festivals. Sa tournée débutera fin 2025.
Raphaël jouera cet été dans une quinzaine de festivals. Sa tournée débutera fin 2025. (Crédits : © ARNO LAM)

On le retrouve dans un hôtel classieux niché au fond d'une ruelle sur la butte Montmartre. Raphaël affiche une belle forme, le teint hâlé, silhouette élancée, regard bleu azur... Le cliché du chanteur à la grâce rimbaldienne est tenace, mais c'est vrai, le temps ne semble pas avoir de prise sur Raphaël, comme sur son inspiration sans cesse renouvelée en vingt-cinq ans de carrière. Son nouvel album le prouve. Son échappée littéraire également, saluée par le prix Goncourt de la nouvelle pour son recueil Retourner à la mer (2017), suivi d'Une éclipse (2021) et d'Avalanche, premier roman sorti l'année dernière et encensé par la critique.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Sur la pochette de votre album, on peut voir sur un écran géant la photo d'une femme blonde. Elle vous observe, vous êtes de dos... On songe à votre épouse, la comédienne Mélanie Thierry...

RAPHAËL - Tout à fait. J'avais pris cette photo d'elle à Cuba il y a une dizaine d'années. Je suis assez pudique sur mon couple, jamais je ne mettrai des photos de mes enfants sur Internet. Mais là, cet objet un peu artistique, ça avait du sens, pour dire que je me sens entre ses mains, pas comme une marionnette, c'est un peu plus compliqué. C'est l'amour, tout simplement. La chanson titre, Une autre vie, est assez lisible. Elle raconte mon expérience de partager la vie d'une actrice. À chaque film, je la vois dans une nouvelle vie, avec une nouvelle famille, d'autres enfants... L'année dernière, j'ai signé la BO d'un film dans lequel Mélanie joue, Soudain seuls, aux côtés de Gilles Lellouche. L'exercice était très inspirant car j'ai adoré ce film de grands espaces, très beau et minéral. Bon, je l'avoue, mettre en musique des scènes d'intimité n'était pas très agréable.

Devant mon écran, je parlais à Mélanie pour lui dire : « Mais non, ne fais pas ça, ne l'embrasse pas ! » Mais ça ne marche jamais... Attention, je ne suis pas jaloux, ce n'est pas dans mon karma. C'est juste un vertige.

Après votre échappée littéraire, le retour à la chanson s'est fait naturellement ?

Mon premier amour, c'est la musique. C'est comme un rythme biologique. Si je ne joue pas un jour ou deux, je sens un vrai manque, presque physique. Dès que j'ai fini d'enregistrer un album, je commence déjà à prendre des notes, à composer sur mon piano qui est devenu mon instrument fétiche. J'ai eu ma période guitare en bandoulière, mais depuis trois ans je suis tombé amoureux d'un vieux Steinway allemand de 1939 avec un son inouï. Quand je pars en vacances, je suis malheureux de le laisser une semaine tout seul.

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Bertrand Belin, Olivia Ruiz, Arthur Teboul, Tim Dup... de plus en plus de chanteurs et de chanteuses se lancent dans l'écriture. Pour quelle raison, selon vous ?

Notre génération sacralise moins cet art majeur appelé littérature. Et puis beaucoup de talents sont démarchés. À l'époque de Caravane, tous les éditeurs de la place parisienne me proposaient d'écrire un livre. Quand on a un peu de succès, les éditeurs viennent comme les avocats aux enterrements. À l'époque, je ne me sentais pas prêt, donc j'avais décliné. Je pense aussi que les chanteurs et chanteuses ont besoin de se diversifier. On peut considérer que l'on est des artistes et pas seulement des chanteurs-troubadours. Je n'ai pas de problème avec le côté troubadour, mais je peux aussi écrire des livres. Je peux aussi créer un spectacle comme Bande magnétique, que j'ai présenté l'année dernière au théâtre des Bouffes-du-Nord avec une narration, un comédien, des dialogues... Ce sont les moments où j'ai été le plus heureux sur scène. Cet été, je vais jouer dans une quinzaine de festivals mais la véritable tournée débutera fin 2025. J'ai envie de proposer une vraie création avec la volonté de jouer avec les codes du concert.

Le premier single de l'album s'appelle L'Espoir. C'est important de chanter l'espoir, en 2024 ?

Je trouve, oui... Le monde est tellement anxiogène : l'écologie, la guerre de l'Est à nos portes, les démocraties qui vacillent dans le monde, la montée des extrêmes à droite comme à gauche... Toutes ces menaces ont beaucoup d'impact sur moi, mais j'ai très peu d'impact sur elles. J'essaie donc de me concentrer sur autre chose, sur l'intime. J'aime aussi beaucoup la chanson Heure sup, son optimiste désenchanté ou son désespoir joyeux. Je considère la joie comme la chose la plus essentielle dans la vie, presque un devoir.

Faire la gueule, la tristesse, c'est une interdiction que je me fais à moi-même. Et si je suis pris par la mélancolie, j'écoute Sinnerman de Nina Simone ou Young Americans de David Bowie.

Vous avez aussi écrit des chansons pour Alain Bashung et Johnny. C'est un peu le grand écart...

Je ne les vois pas si différents : les deux étaient des rockers, deux grands chanteurs et deux grands timides. Et ils vénéraient Elvis au plus haut point. Ils ont juste pris des chemins un peu différents. Johnny était venu me chercher à l'époque de Caravane, il m'envoyait souvent des textos marrants à 3 heures du matin. Je suis content de lui avoir écrit une chanson, Je n'appartiens qu'à toi, même si elle est très mineure et que tout le monde s'en fout, je la trouve belle. Avec Bashung, c'est une autre histoire. J'étais venu chez lui avec trois ou quatre chansons mais rien n'était sorti... En fait, j'ignorais qu'il avait enregistré l'une d'elles, Les Salines, qui s'est finalement retrouvée dans son album posthume, En amont [2018], sorti neuf ans après sa disparition. C'était comme un cadeau d'outre-tombe.

Revenons à L'Espoir... Dans le clip, vous chevauchez un étalon les mains attachées dans le dos... Vous avez le goût du risque ?

Ce n'était pas mon intention à la base. Je trouvais intéressante l'idée de cette cavalcade au triple galop sur une plage de Berck. Je n'avais pas fait de cheval depuis l'adolescence, c'était l'occasion. Et puis le réalisateur m'a dit : « Oui, mais on va aussi t'attacher les mains dans le dos, tu vas voir, ça va être super. » Là, j'étais moins rassuré, j'ai même pensé à Christopher Reeve, le comédien de Superman, et à son terrible accident à cheval... J'ai pris des cours avec un professeur équestre remarquable, Mario Luraschi. J'avais l'impression d'être devenu un cavalier émérite - disons que je donnais le change. J'aime bien ce clip. La symbolique des mains attachées, c'est une belle métaphore de la vie : on ne contrôle pas grand-chose mais on essaie de rester en selle.

Faire la gueule, la tristesse, c'est une interdiction que je me fais à moi-même

Raphaël

Avec Baby Sitter, vous livrez une chanson pleine d'humour et d'autodérision...

C'est comme une petite nouvelle. Je me mets en scène en train de raccompagner en voiture une baby-sitter qui se comporte d'une manière un peu cavalière. Il n'a pas vraiment de tentations. Il est touché par la beauté de la jeunesse, mais il n'est pas dans la séduction. Il se contente de conduire et ensuite il se fait humilier. C'est une petite fiction sur le décalage générationnel entre une jeune femme de 19 ans et un homme proche de la cinquantaine...

Vous avez fêté en novembre votre 48 e anniversaire. L'âge vous préoccupe ?

C'est chiant de vieillir, mais je ne vais pas me plaindre. Je n'ai pas de douleurs physiques, je fais une heure de sport par jour, j'ai arrêté de fumer depuis vingt ans. Je mène une vie assez saine ; je m'autorise un verre de vin rouge le soir, sinon je n'ai plus d'activité nocturne, la vie diurne me suffit. Je me lève tôt pour accompagner mes enfants à l'école et je me couche à minuit quand je tire jusque-là. Et je vais être à nouveau papa. C'est merveilleux.

Sur l'album, on entend votre fils Aliocha interpréter à vos côtés la chanson Un oiseau invisible...

C'est un échange entre un père et son fils autour de la quête du bonheur. Comment capter ses rayons, capturer son éclat un instant. Et il se pourrait que mon fils en ait plus à m'apprendre que le contraire... En studio, il était très attentif aux conseils et la chanson a été bouclée en dix minutes. J'avais déjà fait un duo avec ma femme avec La Question est why sur Anticyclone. Mon grand fils Romain avait écrit et interprété une chanson sur Somnambule. Bon, là il s'est un peu plaint : « Moi, j'ai dû écrire un texte tout seul, en plus j'étais ridicule avec mon cheveu sur la langue. Aliocha, tu lui offres une chanson magnifique, c'est tout cuit pour lui. » J'aime bien chanter en famille, très ponctuellement. Ce ne sont pas des projets, juste de jolis souvenirs.

Dans Le Dernier Chimpanzé du futur, vous dites : « Dieu s'est retiré du monde, il n'a laissé que des lumières allumées, une facture jamais payée. » En même temps, vos chansons sont nourries de références bibliques. Quel est votre rapport à la foi ?

Dans un monde gouverné par les algorithmes, on a plus que jamais besoin de sacré pour nous accompagner dans les moments importants d'une vie : une naissance, un mariage, un deuil. C'est mon cas. Après, on a surtout besoin que les religieux ne nous expliquent pas comment gouverner le monde et nos vies. Je suis dans la spiritualité, moins dans l'observance stricte des règles. La pensée de Levinas me passionne, j'aime aussi me plonger dans la Bible que j'essaie de déchiffrer en hébreu. Toutes ces lectures donnent accès à une poésie inspirante, à des mythes fondateurs... Je relis aussi tous les ans Don Quichotte, L'Iliade et L'Odyssée, le livre des livres, la matrice de toutes les histoires.

Que vous inspire la révolution de l'IA dans le domaine de la création ?

J'ai demandé à une IA de m'écrire une des paroles « à la manière de Raphaël ». Il m'a balancé un texte tellement pourri, j'étais très vexé. Je lui ai alors demandé un texte « à la manière de Samuel Beckett », et le résultat a été à peu près le même... Nous sommes assez différents, Samuel et moi, donc le truc n'est pas tout à fait au point. J'envisage l'IA comme une menace pour la création mais aussi comme un outil pour gagner du temps, explorer de nouveaux territoires. J'ai réussi grâce à un logiciel à isoler ma voix sur l'enregistrement original de Caravane. Le son était parfait. C'est la même technique qui a été utilisée par Paul McCartney pour ressusciter la chanson Now and Then de John Lennon. Et elle est tout simplement magnifique.

Musique, littérature... La prochaine étape, c'est le cinéma ?

Je ne crois pas. J'avais réalisé un court-métrage il y a bien longtemps, j'ai aussi tourné certains de mes clips. Mais ce n'est vraiment pas mon truc. C'est trop compliqué, trop de temps, trop d'argent, trop de contraintes... Et puis c'est déjà un beau terrain de jeux, la musique et les livres. Ça peut suffire à remplir une quinzaine de vies.

ÉLÉGANCE POP

La chanson d'ouverture donne le ton. Elle s'appelle L'Espoir, une envolée folk gracile portée par une mélodie entêtante et solaire. La suite est à l'avenant et réserve de belles surprises. Si l'éclectisme musical est de mise, l'ensemble dégage une belle cohérence. Pop élégante, piano jazzy, allégresse du flamenco et expérimentations sonores inclassables cohabitent harmonieusement au fil de cet album concis (10 chansons) mais riche dans ses climats, ses humeurs et ses thèmes qui explorent l'immensité des sentiments avec une poésie jamais boursouflée. Avec sa voix claire et aérienne, Raphaël chante le bonheur fuyant (Un oiseau invisible), les rapports père-fils (le poignant Sur les épaules), les infos anxiogènes (Heures sup) son amour pour son épouse (La Mariée, Une autre vie). Il se montre franchement drôle dans Baby Sitter et bouleversant dans Le Dernier Chimpanzé du futur, une chanson cryptée sur les drames vécus par ses aïeux. Un disque de toute beauté qui jamais ne s'épuise au fil des écoutes.

Une autre vie (Play Two) Sortie le 8 mars.

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Commentaire 1
à écrit le 03/03/2024 à 11:07
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"Mon premier amour c'est la physique quantique" aurait été plus original.

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