Musique : quand l’IA donne de la voix

Alors que l'intelligence artificielle est parfois vue comme une menace ou une nouvelle source de piratage, l’industrie musicale regarde ces technologies avec un mélange de méfiance et de curiosité. Et si le prochain Mozart ou Lennon naissait grâce à l’IA ?
Eric Mandel
Faux portrait de John Lennon par l'IA MidJourney.
Faux portrait de John Lennon par l'IA MidJourney. (Crédits : latribune.fr)

« Un phénomène très intéressant » pour Paul McCartney. « Une bataille pour défendre le capital humain des artistes contre l'IA » selon Sting. Ces deux prises de positions diamétralement opposées autour de l'Intelligence Artificielle illustrent les débats, entre espoirs et inquiétudes, qui agitent le gotha pop-rock face à la révolution en cours. C'est le lot de toutes les disruptions technologiques majeures. Et l'IA dite « générative », capable de produire du contenu (textes, images, musiques) n'échappe pas à la règle. « L'intelligence artificielle va avoir plus d'impact que la Révolution Industrielle et la bombe nucléaire », a récemment prophétisé Peter Gabriel.

Par son développement fulgurant, l'IA suscite moult fantasmes, souvent à juste titre, tant les possibilités semblent infinies et hors de contrôle. Il est désormais possible de recréer les voix de vos artistes préférés, vivants ou morts... Sur Youtube, les exemples sont légion de ces « deepfakes » clonant Frank Sinatra, Amy Winehouse ou Angèle. Cet été, un petit malin nommé Ghostwritter a donné des sueurs froides à l'industrie musicale avec une chanson (Heart on my sleeve) orchestrant, grâce à une IA, un duo virtuel entre Drake et The Weeknd. La maison de disques Universal a obtenu son retrait des plateformes de streaming. Dans la foulée, la cérémonie des Grammy Awards, l'équivalent des Oscars pour la musique, modifiait dans l'urgence son règlement : seuls les humains sont éligibles pour concourir, ce qui exclut également les morceaux composés par des humains, avec l'aide d'une IA.

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Deep learning

Car l'intelligence artificielle peut également créer des morceaux clefs en main. Et ce grâce à « l'apprentissage profond » (deep learning) qui permet de nourrir sa mémoire vive avec des millions données protégées par le copyright - chansons, instrumentaux, paroles. Cette avancée technologique pose des enjeux juridiques cruciaux autour de la propriété intellectuelle ; doublés d'une question éthique : celle d'une IA potentiellement capable de supplanter l'artiste... Une perspective encore lointaine. Si l'intelligence artificielle est capable de battre un joueur d'échecs ou de détecter des tumeurs cancéreuses, elle n'est pas, encore, créative.

« On peut apprendre à une IA à jouer du piano mieux que n'importe quel humain en deux semaines, mais elle incapable d'innover car elle se contente de mouliner le passé. Elle est surtout dépourvue de conscience et d'émotions, à la différence des humains », souligne Michaël Turbot, responsable chez Sony CSL, un laboratoire de recherche sur l'Intelligence Artificielle.

De fait, il est aujourd'hui « extrêmement compliqué » de générer un contenu musical cohérent sur un format long. « Au-delà de 12 ou 24 secondes, l'IA décroche. Mais cette barrière technique aura sauté dans un an. La menace est donc réelle » poursuit Michaël Turbot qui regrette néanmoins les débats « anxiogènes » sur l'IA polarisés autour de ses dangers, au point d'occulter les perspectives offertes par l'intelligence artificielle. « C'est comme à l'époque de l'arrivée d'Internet. Les maisons de disques et les artistes voyaient cette révolution sous le seul prisme du vol de musique sans envisager son formidable potentiel », souligne Michael Turbot. Le potentiel de l'IA, on a pu le mesurer récemment avec le morceau inédit des Beatles, Now and Then, ressuscité grâce à un logiciel capable d'extraire la voix de John Lennon pour la rendre claire comme du cristal.

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L'IA, « un super-collaborateur »

De fait, si l'IA inquiète, elle séduit aussi certains artistes. Le laboratoire de Sony CSL, doté d'un studio d'enregistrement, accueille ainsi des musiciens de tous horizons : Uèle Lamore, la plus jeune chef d'orchestre du monde, le beatmaker Twenty Nine (Angèle, Dinos) ou Jordan Rudess, le claviériste du groupe de métal new-yorkais Dream Theatre. « Nous concevons l'IA comme un super-collaborateur qui permet à l'artiste de sortir de sa zone de confort pour lui permettre de prendre des risques et d'explorer différemment. Mais nous sommes vigilants, l'homme doit toujours rester au centre du processus créatif », poursuit Michaël Turbot. À l'Ircam, l'Institut de recherche et coordination acoustique/musique fondé par Pierre Boulez en 1977, scientifiques et musiciens, travaillent également en bonne intelligence avec l'IA.

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« Pour nous, elle n'est pas une source d'inquiétudes, mais une source de réjouissances. Nous l'utilisons comme un outil de création hybride », confirme Gérard Assayag, directeur de la cellule « représentation musicale » dédiée à la recherche sur l'Intelligence Artificielle. Ces dernières années, l'Ircam a ainsi développé des logiciels (Somax, DJazz) capables d'improviser en temps réel avec un musicien sur scène. Beaucoup d'artistes se sont prêtés au jeu, notamment le jazzman, Bernard Lubat, le compositeur classique, Pascal Dusapin ou la violoncelliste, Joelle Léandre. « On promeut une approche purement créative, joyeuse et ludique de l'IA qui n'existe que dans la mesure où c'est vraiment l'humain qui reste au cœur de l'expérience », souligne Gérard Assayag. De même que le synthétiseur a favorisé la naissance de la musique électronique et le sampler l'émergence du rap ; l'IA pourrait bien façonner la musique de demain. À condition d'être entre de bonnes mains...

Eric Mandel

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Commentaire 1
à écrit le 22/11/2023 à 8:52
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Plus le constat d'une médiocrité ascendante de notre créativité humaine si les machines peuvent déjà la concurrencer.

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