Olivia Ruiz : « Je suis une désobéissante-née »

ENTRETIEN - Après huit ans de silence discographique, la chanteuse signe son retour avec « La Réplique », album aux saveurs électro et latines.
Olivia Ruiz.
Olivia Ruiz. (Crédits : © CHARLOTTE ABRAMOW)

Ces dernières années, elle avait délaissé les studios pour arpenter des chemins de traverse. Elle a pris le temps de voir grandir son fils, a sillonné la France avec son spectacle musical Bouches cousues, consacré à ses racines espagnoles, un thème également exploré dans ses deux romans - La Commode aux tiroirs de couleurs (2020) et Écoute la pluie tomber (2022) -, écoulés à 1 million d'exemplaires ! Nourrie par ses expériences parallèles, la chanteuse retrouvera vendredi prochain les bacs des disquaires avec La Réplique, son sixième opus, qui s'annonce comme un retour gagnant.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Quel est votre état d'esprit avant la sortie de cet album ?

OLIVIA RUIZ - Je suis dans une dynamique bougeotte. Je suis passée en mode petit taureau après avoir été petit rat de littérature. Les répétitions pour les concerts commencent à peine et je suis impatiente de retrouver le Printemps de Bourges [le 25 avril] pour voir où j'en suis physiquement, comment vont se passer les retrouvailles avec le public. Forcément, j'ai un peu le trac, mais j'ai cette tournée vertigineuse de 90 concerts qui arrive. Elle se remplit bien, on est même obligés de refuser des dates. En fait, je suis assez détachée des classements, du top albums, comme on disait à une époque. C'était l'obsession : il fallait entrer dès le début dans les 50 premiers, sinon c'était mort. Je m'épargne cette pression, car j'ai toujours défié les lois du disque. Mon album La Femme chocolat a été no 1 un an après sa sortie. J'avais appris la bonne nouvelle alors que j'étais en tournée en Amérique latine dans des bars minuscules devant des gens qui ne me connaissaient pas.

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Pourquoi une si longue absence ?

Les quinze premières années de ma carrière, je n'ai pas vu le jour. Après ma dernière tournée, À nos corps-aimants, on est rentrés lessivés, avec mon fils. Il avait 3 ans et il avait passé les deux premières années de sa vie dans un tour bus. Pour moi, la séparation était inenvisageable, donc je l'avais emmené. Il a adoré cette vie, mais, la maternelle étant devenue obligatoire, j'ai décidé de m'offrir une pause pour le voir grandir. Je me suis autorisé ce luxe de décider de mon emploi du temps. J'étais aussi lassée de la routine sortie d'album-promo-tournée.

Vous parliez de faire une pause, mais vous n'avez pas chômé...

C'est vrai, je ne les ai pas vues passer, ces huit années. J'avais besoin d'explorer d'autres terrains de jeu, comme je l'avais déjà fait avec L'Amour sorcier et Volver, des spectacles chorégraphiés par Jean-Claude Gallotta. Je suis une désobéissante-née, je n'aime pas me sentir enfermée dans une case. J'ai aussi donné une centaine de représentations de mon spectacle musical Bouches cousues, dans lequel j'étais la voix des autres, de mes grands-parents réfugiés espagnols, du résilient, des grands poètes révolutionnaires comme Federico García Lorca. Et puis il y a mes deux romans, les lectures musicales qui prenaient la forme de concerts intimistes d'une heure.

Vous êtes devenue autrice de romans. C'était prémédité ?

Comme souvent dans ma vie, quelqu'un a décidé pour moi. Une personne bienveillante qui connaît mes peurs et les barrières que je peux m'imposer. Je parle de Mathias Malzieu [leader du groupe Dionysos]. À l'époque, j'étais un peu down, je me posais beaucoup de questions sur une reconversion, je songeais à quitter Paris, et là il me dit : « C'est maintenant que tu dois écrire. » Le processus a été long, parfois douloureux... Si je devais résumer mon rapport à l'écriture, je citerais un auteur dont j'ai oublié le nom : « Je n'aime pas écrire, mais j'adore avoir écrit. » Quand je bascule du côté obscur de la Force, dans le jugement et le doute, me relire me donne de la confiance. Je songe déjà à mon troisième roman, il est dans ma tête, mon cœur, il ne reste plus qu'à l'écrire, mais pour l'heure je me concentre sur la musique.

Votre dernier album, plus électro et latino, dévoile un nouvel univers...

J'avais envie de changement et d'amusement, même si on retrouve ma couleur musicale avec des instruments comme le dulcimer, utilisé dans des musiques de films. J'ai voulu mélanger les rythmes ancestraux de la cumbia avec des sonorités électroniques, j'ai aussi beaucoup écouté de reggaeton, des artistes comme Bad Bunny, Karol G... Le thème du rapport au corps est très présent dans l'album. Avec la pulsation de la musique électronique, j'avais de quoi assouvir cet appel viscéral, et presque animal, au lâcher-prise.

Vous chantez de plus en plus en espagnol. Une manière de renouer avec vos racines ?

Je n'ai plus personne, mes Espagnols sont tous morts. Je parle de mes grands-parents réfugiés en France pour fuir le régime franquiste. La façon de continuer à les faire vivre prend sens dans le fait de chanter dans leur langue maternelle. Ce n'est pas nouveau, mais je me sens de moins en moins complexée. J'avais encore peur de m'emparer de l'espagnol, de faire des fautes. C'est absurde, mais j'avais un sentiment d'illégitimité par rapport à mes racines, à cette histoire de l'exil qui ne m'a jamais été racontée, sans doute par douleur, par pudeur, pour nous préserver. L'histoire de ma grand-mère Rita, je l'ai apprise le jour de son enterrement : comment elle avait été internée avec sa mère et ses sœurs dans un camp en Bretagne, puis renvoyée avec elles en Espagne. Dans le train, elles étaient descendues juste avant la frontière, à Narbonne, car sa sœur aînée était menacée de mort pour appartenance aux Jeunesses républicaines.

Mon seul pouvoir est de m'engager poétiquement

Dans la famille, personne ne parlait espagnol ?

Non, j'ai appris cette langue au collège. Quand je rentrais à la maison pour montrer mes progrès à mes grands-parents, ils me répondaient en français. Je les sentais gênés et en même temps fiers. En revanche, l'espagnol était présent par le chant, notamment grâce à mon grand-père Pedro, arrivé en France à l'âge de 8 ans. Je lui rends hommage avec Abuelo, dernière chanson de l'album. Il avait gagné le surnom de Julio Iglesias tant il chantait avec un charme fou. Cette passion ne l'a jamais quitté. À la fin de sa vie, quand il souffrait d'Alzheimer, il continuait à interpréter ses chansons préférées. Sa mémoire lui faisait défaut, mais il s'amusait à improviser, toujours en rimes et avec du sens. À 95 ans ! Les plus grands rappeurs américains n'ont qu'à bien se tenir.

Vous avez écrit À toi, dédiée aux migrants. Que pense la petite fille de réfugiés de la loi sur l'immigration ?

Elle m'a mise en colère, forcément. Contrairement au discours dominant, je ne pense pas que nous soyons confrontés à une « immigration massive ». Je suis contente que cette chanson existe. Je n'ai pas la compétence pour m'engager en politique, mon seul pouvoir est de m'engager poétiquement, à défaut de pouvoir changer les lois. Je déplore juste que les impôts que je paie n'atterrissent pas toujours au bon endroit, pour le système hospitalier, l'école publique, la protection des femmes, des enfants...

La chanson Tu danses aborde le drame des féminicides. Comment est-elle née ?

À l'origine, j'ai écrit un texte pour l'ouvrage 125 et des milliers, impulsé par la romancière Sarah Barukh. Elle avait décidé de rendre hommage aux 125 femmes victimes de féminicide en 2022. Elle a rencontré les familles et les amis de ces femmes pour mener des entretiens et ensuite les confier à des autrices afin que nous écrivions un portrait de chaque victime. C'est ainsi que Nadia est entrée dans ma vie. Elle était originaire de Pithiviers et a été tuée à l'âge de 61 ans par son ex-conjoint. Elle peignait aussi à ses moments perdus, c'est la raison pour laquelle Sarah a eu l'idée de m'attribuer cette victime-là. Elle avait vu un de ses tableaux riches en couleurs et s'était dit : « Nadia sera pour Olivia. » J'ai voulu lui rendre un nouvel hommage en chanson. C'était de l'ordre de la fulgurance. Tu danses est partie vers elle sans que je le décide.

Le monde du cinéma est secoué par une vague MeToo. Cela pourrait-il arriver dans l'industrie discographique ?

C'est déjà là, ça commence à bouger. Je ne sais pas si l'omerta est plus grande dans le milieu de la musique, si c'est juste une question de temps ou si ce fléau y est moins présent... En même temps, je ne vois pas pourquoi un corps de métier serait épargné.

Durant votre carrière, avez-vous été victime du machisme ambiant ou de comportements plus graves ?

Oui, j'ai subi une soumission chimique de la part d'un collaborateur. C'était il y a moins de dix ans. Les choses sont encore assez floues, mais je sais qu'il n'y a pas eu agression sexuelle. Je dormais, je me suis réveillée et je l'ai dégagé direct. J'ai eu la chance de ne pas être suffisamment assommée et de pouvoir me défendre. Quand j'avais 17 ans, un chef d'orchestre, un homme atroce qui avait pour habitude d'embaucher de jeunes chanteuses, avait tenté de m'agresser sexuellement. Heureusement, un homme courageux, un technicien, l'avait collé au mur. Sinon, je me souviens de ce prime time lors de ma participation à la Star Ac, des pressions subies pour que je porte une tenue assez suggestive... Le machisme ambiant, il existe toujours. Taylor Swift a parfaitement résumé la situation avec cette phrase : « Quand un homme met en place une stratégie de carrière, on dit qu'il est intelligent ; si c'est une femme, elle est calculatrice. » Et puis il traîne encore un petit truc du mythe de la chanteuse « écervelée ». On est toujours soit totalement écervelée, soit intello, comme si on ne pouvait pas avoir du fond et être fun en même temps.

En tournée dans toute la France à partir du 4 avril 2024.

Rythmes électro et latino

Note : 3/4
Le nouvel album d'Olivia Ruiz s'ouvre par ce mantra clamé sur fond d'électro triturée et bouillonnante. « Je suis de celles qui nagent à contre-courant, qui refusent le sens du vent, qui refusent d'être la réplique de la réplique... » Cette invitation au lâcher-prise difficile à décliner annonce une évolution musicale aussi surprenante que séduisante pour la native de Marseillette (Aude), qui s'épanouit désormais dans une pop latine tendance urbaine - écoutez donc La Pachamama, un rap sombre et martial sur la catastrophe écologique balancé dans la langue de Cervantès. Les compositions oscillent habilement entre la pulsation de l'électro (rythmes du reggaeton, travail sur la texture sonore...) et la chaleur d'instruments acoustiques (charango, tiple...). En belle forme vocale, tour à tour envoûtante, fragile ou solaire, Olivia Ruiz chante l'amour consolateur d'un enfant (Le Sel) et l'amour fané (Le Peu que l'on a), tend la main à l'autre (À toi) sans oublier de célébrer le désir brûlant dans La Fièvre, inspiré de Passion simple d'Annie Ernaux.

La Réplique (Glory Box/Wagram), sortie le 1er mars.

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Commentaires 3
à écrit le 26/02/2024 à 10:58
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Le milieu de la chanson est particulièrement muet lui aussi concernant les nombreux abus sexuels qu'il génère. Cela reste quand même un silence du milieu du spectacle particulièrement assourdissant. Débranchons le tuyau de l'argent public, mettons un...

à écrit le 25/02/2024 à 11:01
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Qui est-ce ? jamais entendu parler...

le 25/02/2024 à 14:37
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Elle écrit des bouquins qui se vendent et chante depuis 20 ans révélation de la star académy même si c'est pas ma tasse de thé elle apparait de temps à autre dans l'actualité où elle a sa petite notoriété.

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