Musique : « Si on me dit "t'es pas cap", je fonce » (Etienne Daho)

ENTRETIEN - Dans la foulée de son dernier album, « Tirer la nuit sur les étoiles », le chanteur s’offre une tournée visuellement époustouflante. Rencontre.
Étienne Daho sur scène.
Étienne Daho sur scène. (Crédits : © PIERRE RENÉ-WORMS)

Il termine son show à genoux, simplement éclairé par un halo de lumière. « Ce n'est pas le hasard, c'est notre rendez-vous, pas une coïncidence », chante Étienne Daho devant les 3 000 spectateurs du Summum, à Grenoble. L'émotion est palpable et la communion totale avec son public emporté par cette relecture habitée de sa chanson Ouverture (sortie en 2000), une ballade en crescendo avec cordes élégiaques et guitares rock en embuscade... Sans doute l'un des (nombreux) points d'orgue du concert donné le 8 novembre dans le cadre de sa tournée baptisée l'Étienne Daho Show, qui voit l'esthète pop renouer avec les grandes salles pour offrir « une fête » à ses fans. Et il s'est donné les moyens de son ambition. Jeux de lumières sophistiqués, créations visuelles d'une élégance irréprochable et tubes à foison, ponctués de chansons plus confidentielles... Daho livre un véritable show, dans son acception la plus noble, qui vous en met plein la vue sans céder à la facilité des barnums désincarnés. À 67 ans - il en fait facile dix de moins -, le Rennais occupe la scène sans faillir, généreux avec son public quand il raconte avec humour la genèse de certaines chansons ou ses rencontres avec ses « étoiles » (Françoise Hardy, Jane Birkin, Serge Gainsbourg...) À ses côtés, un quatuor à cordes et son combo rock, avec l'indéfectible Jean-Louis Piérot, offrent un écrin sur mesure au chanteur pour revisiter un répertoire dont on mesure toute la richesse, entre jerks électroniques faussement légers de ses débuts (Tombé pour la France), rock sous tension (L'Homme qui marche), poésie chantée (Sur mon cou, d'après Jean Genet) et ballades soul (Le Phare, tiré de son dernier album). Interview.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous avez des rituels avant un concert ?

ÉTIENNE DAHO - Déjà, je dîne très léger. Comme disait Charles Aznavour, « il faut monter sur scène en ayant faim ». Je fais ensuite des exercices de stretching, un peu de sport pour chauffer les muscles parce que ça n'a l'air de rien comme ça, mais deux heures sur scène c'est très athlétique. En plus je danse tout le temps, sans même m'en rendre compte, c'est inconscient. Très important également, les exercices de chant pour chauffer ma voix. Et je prie pour que tout se passe bien pour l'équipe technique, le public, mes musiciens, moi... C'est une espèce de méditation sans culte particulier pour me mettre dans une condition. Se montrer n'est pas le fond de ma nature. Pour devenir cet autre sur scène, j'ai besoin de ce moment avec moi-même. J'enfile ensuite mon armure, ma veste pailletée. Entrer dans le vêtement de scène est très symbolique, cela me permet d'entrer dans la peau de celui qui va aller vers les autres.

Malgré les écrans géants, on ne voit jamais votre visage en gros plan. C'est de la pudeur ?

Je trouve déjà assez égocentrique d'avoir un « Daho » en fond de scène inscrit en lettres majuscules avec des lampes à la manière d'Elvis. Par contre, pour mon concert à l'Accor Arena, des vidéos filmées depuis la scène seront projetées sur écrans géants pour que les gens tout au fond de la salle ne soient pas trop frustrés.

Pour la première fois de votre carrière, vous allez jouer à l'Accor Arena devant 15 000 spectateurs. Vous appréhendez ?

Ah non, la peur n'a jamais fait partie de mon système. Je me suis bien préparé, le show a été conçu pour les grandes salles, j'ai hâte...

Avec cette tournée, vous renouez avec les Zéniths et les arènes. Vous aviez besoin de changement ?

C'est une idée de mon producteur, Thierry Suc. Il me tannait depuis longtemps pour rejouer dans des grandes salles, mais je n'étais pas très chaud... Ces vingt dernières années, j'ai donné des concerts dans des théâtres, des salles comme l'Olympia ou Pleyel. Je voulais privilégier une proximité agréable avec mon public. Mais il a su me « challenger ». Moi, je suis un mec qu'il faut défier. Si on me dit « t'es pas cap », je fonce. Dans la foulée, je suis allé voir le concert d'Orelsan à l'Accor Arena, qui m'a soufflé. L'intimité avec le public, ce n'est pas lié à la taille de la salle. On peut aller chercher très très loin le type tout au fond juste avec une chanson. C'est une petite flèche que l'on envoie, comme un petit Cupidon. J'ai donc dit OK, mais à la condition d'offrir un show très spectaculaire et visuellement ambitieux.

Comment s'est passée la collaboration avec le collectif français Mathematic Studio pour la création visuelle ?

Ce fut une partie de ping-pong créatif pendant six mois. On a travaillé sur une esthétique pop, très colorée mais avec de la tenue, et des clins d'œil aux années 1950-1960. Je suis fan des shows télé américains de cette époque. Le but n'était pas de verser dans le passéisme, mais plutôt d'offrir quelque chose de contemporain avec une esthétique inspirée du passé.

Comment avez-vous établi le tour de chant ?

Je voulais offrir une fête à mon public et j'ai mis un temps fou à trouver la setlist parfaite. Ma tournée précédente était principalement axée sur mes albums Éden et Réévolution. Elle était plus sombre et rock avec peu de tubes. Là, je chante Mon manège à moi de Piaf, Duel au soleil, Épaule tattoo, Tombé pour la France, Week-End à Rome... Ces titres, je ne les avais plus joués depuis très longtemps. J'ai évité les chansons avec une énergie basse. Je n'avais pas envie d'interpréter dans de grandes salles La Baie, que j'adore par ailleurs, ou des chansons de cœurs brisés. Mais attention, il ne s'agit pas d'une tournée best of. Toute la difficulté était d'agencer ces classiques avec des titres plus confidentiels, mais non moins importants, comme En surface, Au commencement, Ouverture...

Vous terminez d'ailleurs votre concert sur cette chanson, à genoux face au public.

J'ai commencé à le faire sur le premier show de la tournée, de manière totalement spontanée, pour voir mon public au plus près, toucher des mains. Avec le temps, cette chanson sur la relation à l'autre s'est métamorphosée en déclaration d'amour à mon public. Quand je l'interprète, je suis moi-même emporté. Je vois des spectateurs avec les yeux brillants, certains essuient une larme. Il se passe beaucoup de choses avec cette chanson.

Si on me dit "t'es pas cap", je fonce

Le dernier tiers du concert privilégie vos titres les plus optimistes comme Soudain, Le Premier Jour (du reste de ta vie), Bleu comme toi... Une réponse à la sinistrose ambiante ?

Ce n'était pas une volonté au départ, mais ça tombe bien vu la période que nous traversons. Les gens qui se déplacent en concert ont envie d'être secoués dans le bon sens. Toutes les chansons que j'ai choisies possèdent une énergie de conquête. C'est une tournée assez « feel good ». Aujourd'hui, pour rester debout, il faut une certaine dose d'optimisme ; c'est le rôle d'un artiste de remuer et de tirer vers le haut. Et les retours du public dans la salle comme sur les réseaux sociaux sont incroyables. J'ai retrouvé une espèce de ferveur que j'ai connue à mes débuts, notamment lors d'une tournée en 1986.

Sur scène, avant d'interpréter Sur mon cou, tiré d'un poème de Jean Genet, vous racontez votre rencontre avec Jeanne Moreau...

Oui c'était en 2010, je jouais à l'Olympia. Au premier balcon, je voyais une dame qui a dansé du début à la fin du concert. Je l'ignorais alors, mais c'était Jeanne Moreau. Je l'ai retrouvée en coulisses et, dans l'euphorie de l'après-spectacle, je lui ai proposé un projet fou : enregistrer un album autour du poème Le Condamné à mort, écrit par Jean Genet en 1942 à la prison de Fresnes. Elle m'a dit oui tout de suite, un vrai grand « oui ». Nous avons enregistré le disque et sommes même partis en tournée ensemble.

Cette tournée a-t-elle marqué un avant et un après dans votre rapport à la scène ?

Avec Jeanne, j'ai eu l'impression de retourner à l'école. J'allais dans des territoires nouveaux, des territoires proches du théâtre, qui sont souvent une chasse gardée et où l'on ne m'attendait pas, moi le gars de la pop. Mais Jeanne m'a pris par la main. On a joué au théâtre de l'Odéon, dans la cour d'honneur du palais des Papes au Festival d'Avignon. J'ai beaucoup appris durant cette échappée belle. J'entrais sur scène avec Jeanne et elle commençait par la lecture d'un texte de Sartre, Saint Genet, comédien et martyr. Et pendant vingt minutes, j'étais immobile à ses côtés en attendant de chanter. Mille idées me traversaient la tête, des idées évidemment négatives comme la peur d'oublier son texte, car je n'avais pas de prompteur. Cette absence totale d'artifices m'a permis de m'ouvrir à moi-même, d'oser la mise à nu, voix en avant, sous le regard de Jeanne.

Vous vous souvenez du premier concert de votre carrière ?

Très bien... C'était en 1980 aux Trans Musicales de Rennes avec le groupe Marquis de Sade. J'étais tellement pétrifié de peur que j'avais bu de la bière toute la journée. Résultat, je suis arrivé sur scène avec un hoquet persistant. J'ai joué mes cinq chansons et, très étrangement, j'ai eu de très bonnes critiques qui m'ont permis de trouver une maison de disques dans la foulée. Heureusement, il n'existe aucune vidéo d'archive de ce concert ponctué de hoquets. Juste deux photos... À l'époque, les smartphones n'existaient pas. Aujourd'hui, dès que j'arrive sur scène, tout le monde dégaine son portable. Cela ne m'ennuie pas, mais je trouve que c'est bien aussi de vivre l'instant présent avec ses propres yeux, et pas à travers un écran. Certains aux premiers rangs filment le concert du début à la fin. Je trouve cela dommage pour eux. Et puis j'aimerais bien voir leurs visages aussi.

Les dates

Le 22 décembre à l'Accor Arena, à Paris (complet). Dates supplémentaires : le 11 mai 2024 au palais Nikaïa, à Nice. Le 14 mai à la LDLC Arena, à Lyon. Le 16 mai au Zénith de Paris.

ONLY FOR YOU (Polydor/Universal)

Actuellement sur les routes, Étienne Daho signe également son retour dans les bacs avec la sortie d'une version Deluxe de son neuvième album, Tirer la nuit sur les étoiles. Et le menu s'annonce copieux avec des remix des titres phares de cet opus, mais surtout six chansons inédites enregistrées avec le groupe américain Unloved. On retiendra la sombre Brise larmes, dans laquelle Daho conte la dérive fatale d'un homme armé dans un train de banlieue. Autre réussite, Ce qui nous rapproche nous séparera, une douce ballade sur une violente crise de jalousie. Les amours vénéneuses sont célébrées dans Love Experiment, un blues-électro sinueux en duo avec Jade Vincent (chanteuse d'Unloved). Sans oublier Noël avec toi, un vrai slow de crooner dans lequel Daho demande pardon à son amour sur fond de clochettes et de chœurs féeriques. « J'ai toujours aimé les albums de Noël, c'est un exercice très anglo-saxon », souligne Daho en citant parmi ses références le disque A Christmas Gift for You from Phil Spector (1963).

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