Musique : Beyoncé revitalise la country

Avec l’album « Act II : Cowboy Carter », sorti vendredi, la star planétaire s’empare d’un genre souvent perçu aux États-Unis comme « réservé aux Blancs » et suscite un débat inédit.
À gauche : Photo du nouvel album Act II : Cowboy Carter. À droite : Photo Instagram du 5 février, où l’artiste se réapproprie tous les codes du genre country music.
À gauche : Photo du nouvel album "Act II : Cowboy Carter". À droite : Photo Instagram du 5 février, où l’artiste se réapproprie tous les codes du genre country music. (Crédits : © LTD / Sony Music ; Instagram Beyoncé)

Comme à chaque album, Beyoncé vient d'établir un nouveau record. Et celui-là ne se mesure pas seulement en chiffre de ventes vertigineux. Il est tout simplement historique par sa portée politique. Sa chanson Texas Hold 'Em, dévoilée en grande pompe le 11 février lors de la finale du Super Bowl, est en effet directement entrée à la première place du Hot Country Songs, un classement consacré à la musique country établi par le magazine Billboard. « Avant le triomphe de Texas Hold'Em, aucune femme noire, ou ouvertement métisse, n'était arrivée en tête de ce classement. Beyoncé entre dans l'histoire », s'est enthousiasmée la rédaction de Billboard devant la performance inédite de l'artiste dans un registre musical souvent associé à l'Amérique blanche et conservatrice.

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Peu de temps après ce couronnement, dans un message publié sur Instagram, « Queen B » s'est dite « honorée », tout en appelant de ses vœux une petite révolution dans l'industrie musicale : « J'espère que, dans quelques années, la mention de la race d'un artiste, et sa relation avec des genres musicaux, n'aura plus lieu d'être. » Avec ce nouvel album, le huitième de sa carrière, Beyoncé s'offre donc une incursion remarquée dans la musique country, qu'elle connaît d'ailleurs parfaitement pour être née et avoir grandi au Texas. Et le succès annoncé de Cowboy Carter a un goût de revanche pour la star aux 200 millions d'albums vendus dans le monde. « Ce disque est né d'une expérience que j'ai vécue, il y a plusieurs années, au cours de laquelle je ne me suis pas sentie la bienvenue. Et il était clair que je ne l'étais pas », expliquait Beyoncé, sans plus de précisions, sur son compte Instagram.

Soutenue publiquement par l'immense Dolly Parton

En cause, sa première incursion, malheureuse, dans le registre country en 2016 avec Daddy Lessons, une superbe chanson dédiée à son père, un homme rugueux, amateur de whisky (dans son thé) et d'armes à feu, son mentor et premier producteur. La chanson, nourrie de banjo et de violons, s'était vu refuser de concourir aux Grammy Awards, l'équivalent des Oscars de la musique américaine dans la catégorie « country » . La même année, elle est invitée à jouer Daddy Lessons aux Country Music Association Awards. Non sans susciter la polémique. Déluge d'insultes racistes sur les réseaux sociaux, appels au boycott de la soirée... Sa prestation aux côtés des Dixie Chicks (depuis renommé The Chicks), un groupe de country 100 % féminin, ne sera même pas mentionnée sur le site de la Country Music Association. Nouveau camouflet, celui de trop...

Ce disque est né d'une expérience au cours de laquelle je ne me suis pas sentie la bienvenue

Huit ans plus tard, Beyoncé se heurte encore à des résistances. Une radio country de l'Oklahoma a ainsi refusé de diffuser Texas Hold 'Em. Peu importent les barrières et les critiques... Soutenue publiquement par l'immense Dolly Parton, Beyoncé a réussi à lancer un débat sur la place des artistes afro-américains dans la musique country. Des musicologues rappellent le rôle déterminant, mais trop longtemps oublié, de musiciens noirs dans la naissance de ce genre (DeFord Bailey, Charley Pride...) Des articles mettent en lumière cette nouvelle génération (Rhiannon Giddens, Willie Jones...) qui, à l'instar de Beyoncé, se réapproprie et revitalise la country, loin des clichés d'une musique exclusivement réservée aux Blancs.

Comme si la chanteuse avait anticipé les réactions que ne manquerait pas de susciter son projet iconoclaste, Cowboy Carter s'ouvre sur le puissant Ameriican Requiem, chanson-manifeste adressée à ses détracteurs : « It's a lot of talkin' goin' on while I sing my song. [...] Can you hear me ? Or do you fear me ? » (« J'entends beaucoup de discussions pendant que je chante. [...] Peux-tu m'entendre ? Ou as-tu peur de moi ? ») ironise la chanteuse avant d'appeler à l'unité, autour de sa personne, dans un pays plus que jamais polarisé. Sur la pochette de l'album, elle pose d'ailleurs, fière et altière, en tenue de cow-boy, en égérie d'une Amérique post-raciale, sur le dos d'un cheval blanc, drapeau américain à la main...

Au-delà de cette imagerie qui joue avec les clichés de la culture country, Cowboy Carter devrait séduire les puristes les plus obtus. Les ambiances acoustiques et boisées dominent cet album-fleuve (27 titres dont 7 interludes) sans jamais verser dans l'exercice de style. Beyoncé s'offre une reprise de Blackbird des Beatles, interprète avec fidélité Jolene de Dolly Parton et invite sur deux titres Linda Martell, la première chanteuse noire à avoir percé dans la country. Si l'authenticité est de mise, l'artiste s'illustre également par ses audaces stylistiques en brassant esthétique country et culture dance (Riiverdance) ou rap (Tyrant). On retiendra également le rock incandescent Ya Ya et la ballade élégiaque Daughter, l'un des climax de Cowboy Carter. Un album à la fois intime et politique avec son final crépusculaire (Amen) dans lequel elle chante l'oraison funèbre de l'ancien monde.

Beyoncé, Act II: Cowboy Carter (Sony). (Note 3⭐️/4)

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Commentaires 2
à écrit le 31/03/2024 à 19:37
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Superbe album ! Bravo !

à écrit le 31/03/2024 à 12:32
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Elle aurait du choisir Custer, ca aurait eu du chien....de prairie.

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