Nos critiques cinéma de la semaine

« La Zone d’intérêt », de Jonathan Glazer, « They Shot the Piano Player », de Fernando Trueba et Javier Mariscal, « La Ferme des Bertrand », de Gilles Perret, « Sous le vent des Marquises », de Pierre Godeau... découvrez nos critiques des sorties cinéma de la semaine.
They Shot the Piano Player, de Fernando Trueba et Javier Mariscal.
They Shot the Piano Player, de Fernando Trueba et Javier Mariscal. (Crédits : © DULAC DISTRIBUTION)

Zone interdite

Note : 3/4

Silence, on extermine : prière de regarder ailleurs. Dans ce pavillon individuel et propret, avec piscine et jardin, vit une famille modèle : Rudolf, soucieux de sa réussite professionnelle, et son épouse, Hedwig, qui élève ses cinq enfants blonds avec application. Ici, tout n'est que calme, ordre et réussite matérielle, un éden ménager que Hedwig ne quitterait pour rien au monde. Seuls un bruit oppressant et une sombre fumée s'échappant des grandes cheminées voisines trahissent un malaise dans le quotidien des Höss... Ainsi va la vie factice du commandant d'Auschwitz et de sa femme : ignorant les barbelés et les miradors du camp d'extermination voisin ; jouant la comédie du bonheur à deux pas de la folie meurtrière, à laquelle monsieur participe avec zèle. Le cinéaste Jonathan Glazer a décidé de poser sa caméra là où certains disent qu'il ne faudrait pas la poser : au plus près de l'horreur nazie, dans cette « zone d'intérêt » désignant le périmètre autour d'Auschwitz. Le réalisateur d'Under the Skin observe froidement ces quidams devenus des monstres, sans autre ambition que de montrer, cliniquement, leur déni, leur aliénation, leur fierté abjecte du devoir accompli. Du massacre, on ne voit rien mais on entend tout, à travers un travail précis du son, mélange douloureux de cris, de tirs, d'ordres... Un film aussi terrifiant que son sujet, une observation de la monstruosité qui n'émeut pas, n'explique rien mais réussit son coup : nous glacer. (Charlotte Langrand)

La Zone d'intérêt, de Jonathan Glazer, avec Sandra Hüller, Christian Friedel, Kogge Imogen. 1 h 45. Sortie mercredi.

Bossa macabre à Buenos Aires

Note : 3/4

Fernando Trueba combine avec brio animation et documentaire sur les traces d'un pianiste brésilien de génie disparu en tournée.

C'est l'histoire, oubliée, d'un pianiste virtuose qui avait la vie devant lui et des compagnons musiciens parmi les plus importants de son temps. À commencer par les merveilleux Vinicius de Moraes et Toquinho, deux rois de la bossa-nova qu'il accompagnait en tournée en Amérique du Sud. Une histoire qui, tragiquement, s'arrête net en 1976, quand Tenório Júnior, alors âgé de 34 ans, disparaît à Buenos Aires. Sans raison apparente mais comme par hasard à la veille du coup d'État qui, en Argentine, portera au pouvoir un régime totalitaire très familier des disparitions inexpliquées... À partir de cette nuit maudite, personne n'aura jamais plus de nouvelles de Tenório. Que s'est-il donc passé ?

Pour reconstituer les faits, le cinéaste espagnol Fernando Trueba a d'abord envisagé de réaliser un documentaire conventionnel filmé au gré de témoignages et de lieux permettant de suivre cette histoire teintée de zones d'ombre dramatiques mais illuminée, aussi, de grands moments de musique, enlevés et colorés. C'est dans cette optique qu'il s'est ravisé pour choisir une forme singulière plutôt rare : le documentaire d'animation. « Grâce à l'animation, nous pouvions redonner vie à Tenório et le voir jouer, explique-t-il. Grâce aux dessins, nous étions en mesure de rouvrir les bars de Rio où la bossa-nova est née dans les années 1960, nous avions aussi la possibilité de recréer les années noires de l'Argentine. »

Mission particulièrement réussie, avec le concours du coup de crayon magistral de son compatriote graphiste Javier Mariscal.

On comprend à quel point il était judicieux de passer par le dessin pour incarner à l'image Tenório Júnior, artiste libre et doux dingue, typique de ces années 1960 et 1970 où tout semble possible. Faire vivre son talent, son tempérament et son allure de gauchiste aux cheveux longs, qui lui ont sans doute coûté la vie quand il a eu le malheur de croiser de nuit des militaires argentins hostiles à la liberté.

C'est pour mettre en scène l'enquête qu'il a lui-même menée dès 2005 sur cette tragique destinée que Trueba s'autorise la ruse la plus flagrante. Au lieu de se représenter lui-même, il invente un personnage de journaliste musical américain, collaborateur du New Yorker... « Cet alter ego qui prépare un livre sur la musique brésilienne, dit le réalisateur, c'est une manière de créer un fil rouge qui apporte plus de clarté au récit. [...] Avec l'animation, tu fais naître une complicité avec le spectateur qui comprend que c'est une image symbolique, mais finalement plus crédible qu'un tournage en prises de vue réelles. » Une image symbolique qui, de fait, s'accorde parfaitement à la musique du film, riche de trésors qu'on ne se lasse pas de redécouvrir. (Alexis Campion)

They Shot the Piano Player, de Fernando Trueba et Javier Mariscal. 1 h 44. Sortie mercredi.

Une famille dans le vert

Note : 3/4

Déjà en 1972, on pouvait voir à la télévision un reportage de Marcel Trillat sur la famille Bertrand, à la tête d'une exploitation laitière dans le nord de la Haute-Savoie. Depuis 1997, le cinéaste Gilles Perret a pris le relais en filmant cette ferme et ses habitants sur trois générations. Avec d'autant plus de sensibilité qu'il a lui-même grandi à 100 mètres de la ferme des Bertrand. André, l'aîné des trois frères fondateurs de l'exploitation, tient lieu de fil conducteur au-delà des périodes qui se succèdent. Il est en quelque sorte le garant de la véritable philosophie qui est à l'origine de cette construction familiale : les trois frères fondateurs ont fait le choix de la terre mais également de la mécanisation.

Au fil des ans, on passera ainsi de la traite manuelle des vaches à la robotisation totale de cette activité. Avec à la clé un luxe incroyable : la possibilité de prendre une semaine de vacances par an. C'est tout cela que montre Gilles Perret avec infiniment de tendresse et d'empathie pour ces femmes et ces hommes qui travaillent sans relâche. Rien n'est caché, ni les difficultés ni les moments de doute, mais les Bertrand font toujours bloc contre l'adversité. La Ferme des Bertrand se révèle peu à peu comme un magnifique documentaire sur la transmission : les anciens prennent leur retraite et la jeune génération assure la relève avec une confiance tranquille. C'est cette harmonie naturelle qui force l'admiration et donne sa puissance au film de Gilles Perret. (Aurélien Cabrol)

La Ferme des Bertrand, documentaire de Gilles Perret. 1 h 29. Sortie mercredi.

La vie est Brel

Note : 2,5/4

Acteur de cinéma renommé, Alain a commencé le tournage d'un film consacré aux dernières années de Jacques Brel quand il apprend qu'il est atteint d'un cancer. Il décide alors de partir en Bretagne pour renouer avec sa fille Lou. Pour son quatrième film, Sous le vent des Marquises, Pierre Godeau a choisi une trame narrative épurée en menant un parallèle avec la fin de vie de Brel. Il fait ainsi la chronique amère et douce d'une relation entre un père et sa fille. Cependant, Pierre Godeau ne parvient pas toujours à tenir le récit de ces vies parallèles, entre fiction et réalité. Reste une distribution exceptionnelle qui sauve tout, avec François Damiens dans le rôle principal, touchant de maladresse, la jeune Salomé Dewaels, alias Lou, qui confirme pleinement les belles qualités déjà entrevues dans Illusions perdues de Xavier Giannoli, et enfin l'impeccable Roman Kolinka, parfait dans la peau d'Antoine, le cinéaste abandonné par son acteur principal mais qui veut à tout prix terminer son film. (Aurélien Cabrol)

Sous le vent des Marquises, de Pierre Godeau, avec François Damiens, Salomé Dewaels, Roman Kolinka. 1 h 31. Sortie mercredi.

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