Philippe Besson, l’écrivain du sensible

ENTRETIEN - Se remet-on de la disparition d’un ami ? D’un drame vécu à la fin de l’adolescence, le romancier tire un récit lumineux sur la fin de l’insouciance.
(Crédits : © Corentin Fohlen/Divergence)

Dans Un soir d'été, Philippe Besson raconte juillet 1985 sur l'île de Ré. Entre son aventure avec Marc, le frère de la belle Alice qui fait tourner la tête de son ami d'enfance, et les rituels d'été, la saison aurait été douce sans un drame qui le marquera à jamais. Une plongée faussement légère dans les derniers mois de l'innocence.

LA TRIBUNE DIMANCHE -  Grâce à vous, nous savons enfin ce que font les groupes de garçons de 18 ans l'été : pas grand-chose... mais avec application. [Sourire.]

PHILLIPE BESSON - Je voulais écrire un livre sur l'oisiveté, la paresse et l'indolence, raconter ce que font des jeunes gens qui se retrouvent pour les vacances avec pour seuls objectifs la plage, le café et la boîte de nuit. Ils se connaissent depuis l'enfance, mais de nouvelles amitiés se greffent comme avec Nicolas cet été-là. Les heures passent, c'est inconsistant et charmant.

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Cette « nonchalance espiègle » dont vous parlez ?

Oui. À côté de cette paresse, il y avait quelque chose de joyeux, des désirs naissants et une certaine ambivalence : nous avions ce désir de coucher, de nous servir de nos corps tout neufs et en même temps cette envie de rester entre potes. Ce point d'équilibre très particulier entre l'enfance et l'âge adulte, quand on essaie de profiter des derniers feux de l'adolescence, m'intéresse. Ce moment où rien n'a d'importance et tout est possible.

Serait-il pour vous, ce moment, le meilleur carburant pour l'écriture ?

J'ai l'impression que ce qui nous arrive à cet âge-là nous accompagne une partie de nos vies, décide de nos trajectoires futures. Cette épreuve, cette disparition nous a marqués en nous faisant réaliser que nous étions mortels. Je crois à cela : il vous tombe quelque chose dessus, souvent d'accidentel, qui décide de la suite.

En quoi cette histoire-là vous accompagne t-elle encore ?

Il est peut-être le premier disparu jeune, qui fait défaut, qui s'en va. Cela me marque parce que je n'associe pas la jeunesse à la finitude mais plutôt aux possibles. C'est une leçon. Et puis ce mystère : cette disparition, est-ce un sort subi ou une liberté choisie ? Cette question me hante. J'aime penser que c'est une liberté exercée même si je pense malheureusement que ce n'est pas le cas.

On vous conseille Bonjour tristesse en vous le présentant comme un ouvrage « charmant, léger » et vous découvrez une « tragédie épouvantable ». La douceur n'y est que temporaire, comme dans votre livre, non ?

Oui, c'est un hommage à Sagan. J'ai écrit la préface de la prochaine réédition de Bonjour tristesse [à paraître jeudi pour les 70 ans de sa sortie]. Ce livre est très important pour moi. On en retient souvent le charme, les étés langoureux, alors que c'est une tragédie. Derrière la futilité, un drame - que l'on pressent dès le début - se noue. Dans Un soir d'été, une épée de Damoclès pèse au-dessus de la bande. On sait que cela finira mal car... la vie est une histoire qui finit mal.

L'île de Ré, les années 1980 : le roman est très ancré, mais il raconte cet événement qui fait grandir. C'est ce qui le rend universel...

L'ancrer dans cette période permet de rendre hommage aux années de ma jeunesse, aux derniers moments d'insouciance. Quand j'ai écrit Arrête avec tes mensonges, je me demandais à qui allait parler cette histoire et je me suis rendu compte que plus vous écrivez l'intime, plus vous avez de chances de toucher l'universel. Tout le monde a eu 18 ans, est rentré dans un mur. Je me définis comme un écrivain du sensible, du sensoriel, du sentiment, et cela appartient à tout le monde.

Vous êtes un peu ronchon, quand même ! Vous vantez une période sans portables, sans Pokémon à attraper ou écran à scroller. Et puis « l'aléa existait encore », écrivez-vous. Il a vraiment disparu ?

C'était extraordinaire : il fallait se donner des rendez-vous, essayer de se retrouver ! Aujourd'hui, on ne supporte plus de ne pas trouver quelqu'un en deux secondes, on ne tolère pas l'aléa, la lenteur. Et je suis nostalgique de ce moment où nous étions obligés d'avoir des conversations, de nous parler.

Plus vous écrivez l'intime, plus vous avez de chances de toucher l'universel

Les pages sur le bal avec DJ Didier parleront à tous ceux qui ont fréquenté les boîtes de nuit dans les années 1980. On dit souvent que les chansons auxquelles on s'attache sont celles écoutées entre 14 et 18 ans ... c'est votre cas ?

Je suis de la génération Goldman, Daho... J'ai bien conscience que certaines chansons de l'époque sont d'une nullité abyssale et d'un mauvais goût parfait comme Besoin de rien, envie de toi ou You're My Heart, You're My Soul des Modern Talking, mais elles étaient joyeuses. Je suis resté attaché à la bande-son de ces années-là.

Quelle est la chanson de l'été 1985 ?

Celle qui résume bien ce qui se passe dans Un soir d'été c'est Marcia Baila, des Rita Mitsouko. Cette chanson extraordinaire que nous chantions à tue-tête raconte la mort d'une danseuse atteinte d'un cancer. Elle est assez symptomatique de ce que nous étions : nous dansions sans nous rendre compte de sa tristesse. Marcia Baila est la dernière chanson que je fais diffuser dans la boîte avant la disparition de Nicolas. Mais danser au bord du précipice, c'est toujours danser.

UN SOIR D'ÉTÉ, Philippe Besson. Julliard, 208 pages, 20 euros.

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