Elles étaient le fleuron des restaurants de ville et étaient enviées par la planète entière. Elles chutent aujourd'hui comme des feuilles d'automne, mais quelques adresses redonnent de l'espoir. Les belles institutions comme Lipp, à Paris, n'ont même plus le cœur à l'ouvrage. Certes, les garçons en long tablier blanc plastronnent, tiennent leurs clients en laisse, mais les plats cafardent dans une routine médiocre, à peine égayée par les convives qui, eux, jouent encore le jeu. Les nostalgiques s'accrochent, mais l'âme s'écaille. Elle n'est pas la seule : Bofinger, le Wepler traînaillent ; La Lorraine pratique des prix de grand restaurant...
Pourquoi ? À cause de la financiarisation. Dans les années 1990, l'univers des brasseries qui resplendissait est passé sous le contrôle des gestionnaires. Soudain, on a commencé à surveiller les coûts, à supprimer le chutney du curry à la Coupole, à rabioter ici et là, à déstructurer la rémunération des serveurs « au tronc » comme au Balzar.
Lors du rachat de ce dernier par le groupe Flo, cela provoqua, chose inédite et cocasse, la grève du zèle des clients une belle soirée d'octobre 1998, qui se jurèrent en ralentissant délibérément le service de faire de cette brasserie un enfer tout en faisant courir de table en table du Léoville Las Cases. Depuis lors, le genre s'enlise. Les serveurs n'y croient plus vraiment, les patrons restent dans les bureaux et les clients mettent leur nez dehors, découvrant une offre multicolore, métissée, novatrice, bonne pour la santé.
Lorsque l'on va en brasserie, bien souvent c'est pour se faire pigeonner en douceur et en profondeur. Et pourtant. Il existe encore des professionnels qui se battent, se passionnent pour leur métier, ferraillent pour l'amour du genre (la Brasserie Barbès, Le Square Trousseau, La Rotonde, La Cigale à Nantes) et prouvent par là que l'on peut retrouver cette façon de manger à toute heure, dans les grandes villes, avec le tourbillon candide des clientèles mélangeant les classes et les générations. Aujourd'hui, seule une middle class nostalgique des Trente Glorieuses adhère aux brasseries de naguère, espérant retrouver la flamme des années vives.
Le genre n'est pas perdu pour autant. En réhabilitant le métier de serveur, en remotivant et en valorisant les chefs en cuisine (déconsidérés par l'usage des laboratoires extérieurs, ne faisant plus que de la cuisine d'assemblage), le genre a encore un boulevard devant lui. Même un Anglais (Calum Franklin) va venir ici faire ce que sir Terence Conran avait adoré chez nous, l'univers des brasseries, dont il trouvait la bouffe « dégueulasse » mais l'ambiance formidable. Il créa alors l'Alcazar, à Paris, rue Mazarine, en 1998. Calum Franklin ouvrira en février 2024 dans le quartier de l'Opéra Public House, un établissement mi-pub, mi-brasserie ; histoire de nous rappeler que nous avons des merveilles entre les mains.
Le Square Trousseau 1, rue Antoine-Vollon (12e). Tél. : 01 43 43 06 00. Brasserie Barbès 2, boulevard Barbès (18e). Tél. : 01 42 64 52 23. Brasserie Mollard 115, rue Saint-Lazare (8e). Tél. : 01 43 87 50 22. Lazare gare Saint Lazare (8e). Tél. 01 44 90 80 80. La Rotonde 105, boulevard du Montparnasse (6e). Tél. : 01 43 26 48 26. La Cigale 4, place Graslin. Tél. : 02 51 84 94 94. Maison Kammerzell 16, place de la Cathédrale. Tél. : 03 88 32 42 14.
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