Théâtre : Élisabeth Bouchaud, la fée des sciences

Physicienne reconnue, femme de théâtre accomplie, Élisabeth Bouchaud remet en lumière les chercheuses dont les découvertes furent spoliées.
Isis Ravel (à gauche) lors des répétitions de « L’A aire Rosalind Franklin », d’Élisabeth Bouchaud (à droite).
Isis Ravel (à gauche) lors des répétitions de « L’A aire Rosalind Franklin », d’Élisabeth Bouchaud (à droite). (Crédits : © LTD / PASCAL GELY)

Elisabeth Bouchaud est une personnalité très forte, très originale du monde du théâtre de création d'aujourd'hui. On la connaît depuis ses premiers pas de directrice de la Reine Blanche, en 2014. Les Bouchaud, son mari et elle, tous deux scientifiques, ont repris le bail de ce théâtre situé dans un passage qui donne sur la rue Marx-Dormoy, à 250 mètres des Bouffes du Nord. Un choix audacieux, dans un quartier peu habitué aux adresses culturelles.

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Rencontrant Élisabeth Bouchaud, on a toujours pensé à une flamme : elle n'est pas grande, très mince, frêle sinon maigre, un Tanagra au visage très bien dessiné, traits fins, regard profond et vif, chevelure sombre et bouclée rehaussant le teint clair d'une héroïne à la Edgar Poe ou à la Gérard de Nerval. Une femme qui ploie, sans doute, mais ne rompt pas. Une intelligence aussi éblouissante que simple, directe, sachant se faire accessible. Une femme à part. Une voix douce, bien placée, un timbre ferme, la voix de quelqu'un qui sait qu'elle devra toujours convaincre, imposer ses idées, se battre.

La Reine Blanche, une place claire dans le paysage parisien

En dix années, la Reine Blanche, « scène indépendante des arts et des sciences », a su prendre une place claire dans le paysage parisien. « Lorsque j'ai dit que je voulais lier science et théâtre, peu de personnes ont pensé que je réussirais. Mais au fil du temps, le propos s'est imposé, par l'art même des auteurs et metteurs en scène qui se sont succédé. » À la Reine Blanche, on fait la part belle aussi à la musique, au cinéma, aux rencontres. Rien jamais d'ennuyeux ou de lourdement pédagogique. Mais, au contraire, des pièces qui se développent sur des sujets passionnants, avec des équipes artistiques qui réussissent à mettre au point des formes de représentation très originales. L'émotion est toujours au rendez-vous.

« Si j'ai voulu consacrer ces pièces aux femmes de science, c'est par souci de les faire connaître, de leur rendre justice. J'ai été frappée par la méconnaissance que le grand public a de la place des femmes dans la science. On ne cite jamais que Marie Curie. J'ai pour elle une admiration profonde, j'avais écrit, avec Jean-Louis Bauer, Le Paradoxe des jumeaux, pièce dans laquelle elle est au centre. D'ailleurs, j'ai joué son rôle ! Je me suis rendu compte qu'il n'existe aucun ouvrage sur ces femmes et je me suis donc mise à les raconter dans des pièces. »

Deux pièces que l'on a pu voir ces dernières saisons et qui ont été reprises ces derniers temps à la Reine Blanche. Exil intérieur est consacrée à la physicienne Lise Meitner. Autrichienne de culture juive, celle-ci dut fuir Berlin où elle travaillait avec le chimiste Otto Hahn. Lise Meitner et son neveu Otto Robert Frisch avaient compris le mécanisme de la fission nucléaire, mais Otto Hahn fut celui qui reçut le prix Nobel pour cette découverte en 1944. Dans Prix No'Bell, on apprend à connaître l'astrophysicienne Jocelyn Bell, plus proche de nous encore. Elle fait ses études d'astrophysique à Cambridge à la fin des années 1960 et découvre les pulsars. Son directeur de recherche ne la croit pas immédiatement mais c'est lui qui reçoit le prix Nobel en 1974.

« Ce sont des cas qui traduisent bien des époques où les "mandarins" dominent leurs équipes et considèrent que les travaux leur appartiennent. » Mais Élisabeth Bouchaud, qui s'est aussi intéressée à des personnalités encore plus proches, doit bien admettre que tout n'a pas vraiment changé. « Je ne suis pas toujours au fait des domaines et je fais relire mes pièces par des spécialistes, évidemment, souligne-t-elle. J'ai fait de même pour L'Affaire Rosalind Franklin. Il s'agit de l'histoire très violente d'un double vol. Physico-chimiste britannique, Franklin est mondialement reconnue pour ses travaux sur le carbone. Elle vit à Paris et a un poste au CNRS. Elle adore la ville, aime la mode, la cuisine, le sport. Récemment, une plaque a été installée rue Garancière, derrière Saint-Sulpice, là où elle vécut. Elle va rejoindre Londres, pour un poste de biophysique. Elle découvre la structure en double hélice de l'ADN. On lui vole la photographie de sa trouvaille... Et ce sont ses collègues, Wilkins, Crick, Watson, qui recevront le prix Nobel en 1962. » Et ce n'est pas fini.

Du côté d'Avignon

Jean-Philippe Bouchaud, l'époux d'Élisabeth, est, lui aussi, physicien. Très reconnu, très honoré, académicien des sciences, professeur à Normale sup, il est également investi dans la finance. C'est ainsi qu'a pu être repris le bail de la Reine Blanche. Il y a quelques
années, il a acquis un bel hôtel particulier à Avignon. Il pensait d'abord y installer une galerie de photos. Il avait hérité d'une collection d'incunables et de daguerréotypes venant de sa famille. Mais finalement, rue Grande-Fusterie, c'est un théâtre qui a vu le jour. La Reine Blanche Avignon est une des salles du « off ». C'est là qu'Élisabeth Bouchaud espère afficher, durant l'été 2025, l'ensemble de ses pièces sur les femmes de science. Elle vient de terminer la quatrième, consacrée à Marthe Gautier, celle qui a découvert, en 1954, la trisomie 21. Un professeur de médecine médiatique s'attribua cette découverte.

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