Théâtre : les discours amoureux de Joël Pommerat

Le metteur en scène reprend « La Réunification des deux Corées », pièce explorant des histoires de passion.
Joël Pommerat, auteur de la « Réunification », pièce mise en lumière par le scénographe Éric Soyer.
Joël Pommerat, auteur de la « Réunification », pièce mise en lumière par le scénographe Éric Soyer. (Crédits : © LTD / JULIEN DE ROSA/AFP)

Il persévère dans son être. Physiquement, la même silhouette, très mince, le même visage, plus ou moins creusé selon l'assaut d'une barbe changeante, le même regard ferme et doux. La même voix. La même manière d'articuler, très singulière. Avec, presque imperceptible, un fond de sourde inquiétude. On ne voit pas le temps passer et, depuis plus de trente-cinq ans, on a le sentiment qu'il n'a jamais quitté les scènes, depuis ses débuts parisiens à la Main d'Or, alors foyer de création, jusqu'aux apothéoses de la Porte Saint-Martin, son port d'attache depuis 2017. Ce fut alors la reprise de l'envoûtante Cendrillon créée en Belgique six ans plus tôt et par deux fois à l'affiche des Ateliers Berthier.

Jean Robert-Charrier, directeur de la Porte Saint-Martin, a entendu toutes ses demandes : « Des exigences qui auraient pu le faire vaciller, souligne Joël Pommerat. Pour Cendrillon, je voulais une jauge beaucoup plus petite que celle de la salle, qui est à plus de 1 000 places. J'ai également souhaité des prix alignés sur ceux de l'Odéon, moins de représentations par semaine. Tout ce qui risque de fragiliser l'économie d'une salle privée. Or Jean Robert-Charrier m'a suivi sur tous les points, diminuant la jauge de 450 places, acceptant tous les défis. Il m'a étonné et, depuis, m'a toujours suivi. Il aime le théâtre, la création, le public. »

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Après Cendrillon est venu Ça ira (1) - Fin de Louis. Importante distribution de quatorze comédiennes et comédiens, plus sept ou huit acteurs de complément (comme on disait autrefois). « Le succès a été au rendez-vous. Nous jouions en pleine crise des Gilets jaunes, en 2019, et les cortèges défilaient sur le boulevard. » Certains manifestants se risquaient dans la salle, s'y retrouvant dans la contestation. Et parfois les représentations étaient annulées par précaution. Une nouvelle série de Cendrillon avait été impossible à cause du confinement, mais le spectacle a ensuite triomphé. « C'est la coproduction de Jean Robert-Charrier qui paie les salaires. On ne demande pas de dividendes. Mais on ne supporte pas les risques, et je touche mes droits d'auteur », précise celui qui se définit comme « écrivain de spectacles ».

Comme à de nombreux artistes, le goût du théâtre lui est venu par le truchement d'une professeure de français. Il a été jeune spectateur à Avignon, mais sans penser à un destin sur les planches. Pourtant, quelque chose travaillait au plus profond et, après la mort de son père, il a largué les amarres, lâché l'école et rejoint des groupes. Amateurs puis professionnels. Il s'est formé sur le tas et s'est mis à l'écriture. On se souvient très bien des premiers pas à la Main d'Or.

Il observe, affine, corrige. Inlassable.

La compagnie Louis Brouillard, la sienne, est née en 1990. Et c'est qui, Louis Brouillard ? Ce serait, pour celui qui avait composé des scénarios et tourné de brefs films, un hommage espiègle à Louis Lumière. Quant au brouillard, on peut le ressentir par les lumières de l'essentiel Éric Soyer, maître des espaces et des éclairages. Essentiels aussi, les interprètes. Comme ceux et celles que l'on a retrouvés, en une longue après-midi de répétition dans la salle de la Porte Saint-Martin : Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu. Un groupe, une troupe. Si Joël Pommerat s'appuie sur leurs personnalités, leur inventivité, il est le patron. Pas souvent derrière sa table de régie. Mais, micro à la main, il observe, affine, corrige. Inlassable. Se lève, monte sur le plateau dégagé. Indique un mouvement, précise une entrée, une sortie.

« Lorsque nous avons créé en 2013 La Réunification aux Ateliers Berthier, c'était dans un dispositif bifrontal, sur 25 mètres en longueur. Cela permettait un jeu d'apparition/disparition très fluide. C'est une gageure de tout reprendre dans ce grand théâtre à l'italienne. Mais nous sommes tous galvanisés par cette recréation, en quête de ce qui permettra le plus près et le plus lointain, l'intime et le général. » La structure se donne sous forme de moments, d'histoires brèves, certaines sont tragiques, d'autres font rire, sourire. « Il s'agit d'une psychopathologie du sentiment amoureux. J'ai travaillé en palimpseste, en citations. Il y a le Bergman de Scènes de la vie conjugale, il y a une réécriture d'une scène de La Ronde de Schnitzler, plus sa nouvelle Rien qu'un rêve, qu'avait déjà utilisée Stanley Kubrick. Le cinéma de Wong Kar-wai m'a également inspiré. Et puis, avec les comédiens, nous avions aussi puisé dans des faits divers. »

À la Porte Saint-Martin, la troupe a présenté Contes et légendes : des enfants, des robots, joués par des femmes. Joël Pommerat pose des questions très importantes. L'intelligence artificielle, il y a depuis longtemps réfléchi. Il travaille à son prochain spectacle, qui sera créé dans un an à Châteauvallon. « Pas encore de titre. Une extrême simplicité et des personnages d'enfants. Avec ce qui court dans mon théâtre : l'observation de l'humain comme un étranger à l'humain pourrait le faire. »

La Réunification des deux Corées, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, les mercredi, jeudi, vendredi à 20 heures, samedi à 20 h 30, dimanche à 16 heures. À partir du 24 avril et jusqu'au 14 juillet. Durée : 1 h 50. Tél. : 01 42 08 00 32. Le texte a été publié chez Actes Sud-Papiers.

DEDANS/DEHORS


Depuis 2015, Joël Pommerat consacre une partie de son temps à animer des ateliers dans les prisons. Tout a commencé à la maison centrale d'Arles, où il a travaillé avec Caroline Guiela Nguyen, aujourd'hui directrice du théâtre national de Strasbourg. Il n'a pas lâché ce fil. Dans Marius, créé début mars à La Coursive, scène nationale de La Rochelle, repris dès juin, certains acteurs sont des hommes qui ont purgé leur peine et recouvré la liberté. Un spectacle professionnel, joué avec des comédiens d'expérience.
Du travail de longue patience. Des improvisations à partir de Shakespeare et Pagnol, avant de décider d'adapter Marius. Rester fidèle, tout en adaptant l'action au Marseille d'aujourd'hui. L'écriture s'est élaborée au fur et à mesure pour aboutir à une version touchante. Grandes questions sur l'amour, les relations avec le père, le départ.
Chacun peut s'y reconnaître. Dans la distribution, trois hommes viennent d'Arles, un autre d'Avignon. On a applaudi ce dernier dans un spectacle monté par Olivier Py, qui, lui aussi, a beaucoup accompagné les prisonniers, notamment
au Pontet.

Printemps des comédiens,
Montpellier, du 18 au 20 juin, puis en tournée avec le Festival d'automne au long de la saison 2024-2025.

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