Thierry Lhermitte : « Être acteur, c’est accepter d’être ridicule »

ENTRETIEN - Il est à l’affiche mercredi d’une nouvelle comédie, « N’avoue jamais ». Rencontre avec un comédien qui n’a pas renoncé à pratiquer l’art délicat du second degré.
À Paris, le 9 avril.
À Paris, le 9 avril. (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Dans la famille Lhermitte, on est plutôt du genre scientifique en blouse blanche que saltimbanque. Thierry, lui, a choisi la légèreté et de mener sa vie au second degré. C'est sûr que, depuis cinquante ans, il enchaîne les personnages caricaturaux sans jamais avoir « tout misé sur son physique » (un peu comme Jean-Claude Dusse le conseillait à Bernard...). Gros beauf en slip de bain ou psychorigide en prince-de-galles; pourvu qu'il soit ridicule. Aujourd'hui, le septuagénaire conserve une silhouette de jeune homme. Onze heures : il jette un coup d'œil sur sa montre avant de piocher dans les viennoiseries : « Si c'est trop tard, je n'aurai plus faim pour le déjeuner. » Trop tard, une notion qu'il ne connaît pas. Il paraît que ses amis du Splendid l'appellent « Commandant Couche-tôt ».

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Vos parents ont dû sauter au plafond quand vous leur avez annoncé vouloir faire du théâtre.

THIERRY LHERMITTE - Ils auraient préféré que je fasse un métier sérieux, mais comme c'était juste après la folie 68, ils n'ont pas osé contester. Et de toute façon, c'était ma décision et ils n'avaient pas d'autre choix que de l'accepter. À l'époque, c'était tellement facile de gagner sa vie. Les petits boulots, il y en avait à la pelle. J'ai été coursier, machiniste au Théâtre Marigny. J'ai étendu du tissu sur les murs...

Vous n'avez donc pas fait d'études ?

À part trois ans de théâtre, non. Après le bac, je me suis inscrit à la fac de Nanterre, mais je n'y ai jamais mis les pieds. Ma carte d'étudiant m'a été utile pour bénéficier de réductions en tout genre.

Ne pas avoir de diplôme a été un complexe ?

Jamais. En revanche, je regrette aujourd'hui d'avoir été ce gamin qui ne s'intéressait à rien. Partout où j'étais, je voulais être ailleurs. Je ne savais pas où, mais juste ailleurs. Mes parents étaient désespérés. Il y a des milliers de gamins qui n'ont aucun intérêt pour les études et tout à coup deviennent excellents dans un domaine parce qu'ils y trouvent de l'intérêt. Ce fut mon cas.

Vos trois enfants rencontrent-ils le même désintérêt pour les études ?

Je dois avouer que les études ne sont pas vraiment leur truc non plus. Nous, les parents, commettons l'erreur d'espérer que nos enfants réussiront là où on a échoué, mais c'est souvent une désillusion. J'ai fini par accepter qu'ils ne partagent pas mes ambitions pour eux. L'important, c'est qu'ils soient heureux.

Si vous n'aviez pas rencontré cette bande de potes au lycée Pasteur à Neuilly, qu'auriez-vous fait ?

C'est une très bonne question, et je n'en ai pas la moindre idée. Quand j'ai rencontré Christian [Clavier], Gérard [Jugnot], Michel [Blanc], j'ai enfin connu ce sentiment de plénitude, de bonheur, d'insouciance. Et d'intérêt, surtout. C'est avec eux que j'ai eu envie d'écrire et de faire du théâtre. Ma plus grande crainte à cette époque était que tout s'arrête du jour au lendemain.

Quand vous vous retrouvez aujourd'hui, avec le Splendid, de quoi parlez-vous ?

« Avec le Splendid, notre complicité électrique reste intacte et le restera jusqu'au bout »

C'est assez dingue, car encore cinquante ans après, on ressent la même excitation qu'au début : celle de vouloir rigoler, de se raconter des conneries. Notre complicité électrique reste intacte et le restera jusqu'au bout.

Thierry Lhermite

Votre physique de beau gosse vous a aidé à faire carrière ?

Je pense qu'il m'a plutôt desservi. Après le Père Noël et Les Bronzés, Gérard a immédiatement eu des propositions de rôles. Parce qu'en dehors de son talent de jeu exceptionnel il avait ce physique remarquable, celui d'un petit bonhomme à moustache. Quant à moi, il m'a fallu plus de temps, car je n'ai jamais voulu jouer des rôles de séducteur au premier degré. J'en étais incapable. Popeye, c'est un crétin, un imbécile. Et c'est amusant de jouer un imbécile. Être acteur, c'est accepter d'être ridicule, surtout en comédie.

Quel est le plus grand malentendu sur vous ?

L'interprétation des Bronzés au moment de sa sortie en 1978, car personne n'avait compris le second degré de nos personnages. Un tiers pensait que l'on se moquait du Club Méditerranée, un autre tiers trouvait complètement normal et n'était absolument pas choqué que Popeye puisse peser les gonzesses, et le dernier qui nous traitait de beaufs. Ce malentendu a persisté très longtemps.

Avez-vous été invité par le Club Med ?

Bien au contraire ! Ils ont toujours détesté le film. À l'époque, ils avaient déjà cette volonté de véhiculer une image plus chic, plus haut de gamme. Quarante ans après, Les Bronzés passent encore à la télé et ils détestent toujours autant le film. C'est exactement à contre-courant de leur stratégie marketing. En revanche, je suis allé au Club Med toute ma vie, en payant, et j'y retournerai encore !

Qu'est-ce qui vous fait rire aujourd'hui ?

Plein de choses, car je suis un très bon client. J'aime l'humour, les grosses blagues quand elles sont originales... le deuxième, troisième degré. J'aime les gens qui tombent dans un trou quand ils ne se font pas trop mal.

C'est vrai que vous avez vécu chez Coluche ?

Oui, pendant dix-huit mois. Je venais de me séparer de Valérie Mairesse et Coluche m'a proposé de m'installer avec lui, rue Gazan dans le 14e, à Paris. Tous les soirs, il y avait une vingtaine de personnes à dîner et on jouait en même temps Ginette Lacaze à l'Élysée Montmartre. Le dimanche, on s'y rendait en pyjama sans se poser de questions. Franchement, cette vie, c'était du grand n'importe quoi !

Un avis sur MeToo cinéma ?

Je trouve que c'est une très bonne chose pour les femmes, mais attention au tribunal populaire et médiatique car il peut desservir les deux parties, autant les victimes que les accusés.

Vous craignez un jour être la cible de rumeurs ?

Je n'aimerais vraiment pas parce que, même si je n'ai rien à me reprocher, une rumeur te poursuit à vie. Il y a une trentaine d'années, un mec a raconté que j'étais avec Charles Trenet. Je lui ai répondu qu'il pouvait raconter n'importe quoi, que tout ça m'était indifférent. Il a fini par m'avouer qu'il avait inventé cette histoire pour que les jeunes puissent déculpabiliser d'être homos. Homosexuel, ce n'est pas une honte. En revanche, agresseur sexuel, c'est un délit.

C'est comment, le dimanche de Thierry Lhermitte ?

Ne comptez pas sur moi pour aller à la messe, je suis agnostique depuis longtemps et ça ne risque pas de changer. Et quand je ne tourne pas, je m'occupe de mes chevaux.

N'avoue jamais, d'Ivan Calbérac, avec André Dussollier, Sabine Azéma. Sortie mercredi.

Ses coups de coeur

Côté musique, c'est plutôt « vieux chanteurs » que rappeurs. Un bon vieux Destinée de Guy Marchand ou tout le répertoire de Souchon.
Pour une pause déj sans chichi, il s'installe au square Trousseau, dans le 12e arrondissement de Paris.
Sa dernière lecture, La Cavale - La course folle du roi de l'arnaque, de Marco Mouly et Julie Madar (2023), l'a tenu en haleine quelques jours.
Son dernier gros fou rire s'est produit dans une salle de cinéma pour le film Dans la peau de Blanche Houellebecq, de Guillaume Nicloux « J'étais l'un des seuls à pleurer de rire. » Le second degré n'est pas donné à tout le monde...

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