Élie Semoun : « Au lieu de pleurer, j’ai choisi de faire rire »

ENTRETIEN - L’humoriste, qui réalise son troisième « Ducobu » et écrit son prochain spectacle, se sent prêt à jouer des rôles à contre-emploi. Celui qui cultive sa part d’enfance assume aussi son besoin de profondeur.
Élie Semoun, mercredi à la Recyclerie, à Paris (18e).
Élie Semoun, mercredi à la Recyclerie, à Paris (18e). (Crédits : © LTD / SANDRINE ROUDEIX POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Hypersensible et hyperactif, Élie Semoun. L'oisiveté le fait trop ruminer, alors pour combler son besoin permanent d'adrénaline, il crée. C'est pendant ces phases de réflexion qu'il trouve satisfaction, qu'il flirte avec un bonheur intense et euphorisant. À peine terminée la réalisation de Ducobu passe au vert !, le sexagénaire écrit son prochain spectacle mais, cette fois-ci, sans se cacher derrière des personnages. Car l'ex-complice de Dieudonné n'est pas que le rigolo de service. Dans Élie Semoun en personne(s), il reviendra sur son parcours de vie cabossé, sans jamais se censurer.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Trois réalisations de Ducobu sur cinq opus. C'est votre dada ?

ÉLIE SEMOUN - Je sens bien que le producteur va me proposer de réaliser le sixième, mais ça m'angoisse. L'autre soir, je discutais avec Jean-Paul Rouve et je lui disais qu'il avait beaucoup de chance de pouvoir jouer autant dans Le Consentement que dans Les Tuche. Ça lui permet de sentir d'autres parfums, des endroits que l'on n'explore pas nécessairement quand on est humoriste. Ce qui n'est pas mon cas.

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Un message à faire passer aux réalisateurs, aux metteurs en scène ?

J'aimerais leur dire de prendre le risque de me faire jouer des rôles à contre-emploi car ils ne seront pas déçus.

Vous souffrez de cette image un peu légère ?

Comme tous les humoristes, je pense. Mais c'est normal et je l'assume. Vouloir amuser la galerie n'est pas une forme de légèreté, c'est beaucoup plus profond que ça. Quand vous perdez votre maman à 11 ans, vous vous dites : comment ça se fait que la femme qui m'aime le plus au monde, pour laquelle je suis le plus important, parte si brusquement ? Alors au lieu de pleurer, j'ai choisi de faire rire. Pour combler le manque d'amour.

Faire rire n'est pas donné à tout le monde !

C'est vrai. Mais vous savez, nous, les artistes, nous ne sommes jamais contents... Parfois, j'aimerais bien aller voir ailleurs si j'y suis ! Pour l'instant, je n'y suis pas. [Rires.] Je vous rassure, je ne suis pas du tout aigri. Mais à 60 ans, j'ai besoin d'un peu plus de profondeur, d'épaisseur.

Soixante ans, mais vous avez l'allure d'un gamin !

C'est vrai que je n'ai pas le corps d'un « vieux », et je cultive cette part d'enfance que j'ai en moi. Je suis touché par la fragilité des enfants, par leur imagination infinie. C'est peut-être la raison du succès de Ducobu, parce que je les considère vraiment comme des êtres intelligents et éminemment sensibles.

En tant qu'enfant, vous vous sentiez respecté ?

C'est une bonne question... J'étais un enfant ultra-sensible, une véritable éponge. Encore aujourd'hui, d'ailleurs. Par exemple, mon père a jugé bon de ne pas nous emmener, mon frère, ma sœur et moi, à l'enterrement de notre mère pour nous protéger. Tous les parents font des erreurs. Moi le premier.

Parce que votre fils, Antoine, est différent ?

Oui. J'ai eu du mal à accepter sa différence, j'ai même longtemps été dans le déni. Antoine est un grand miraculé de la vie. Il est né à 5 mois et demi et pesait 750 grammes. Il a aussi été diagnostiqué autiste Asperger. Au lieu de le scolariser dans une école spécialisée, je l'ai inscrit dans une école publique. J'ai eu tort, parce qu'il avait une autre vision de la vie que ses camarades. Mais aujourd'hui, à 28 ans, il mène une vie très épanouie en tant qu'artiste peintre autodidacte sous le nom d'Andy Santori. Il expose et vend ses toiles sans aucune difficulté. Antoine a un talent fou et est ma plus grande fierté. Comme moi, il est sensible à la beauté.

Quelle forme de beauté ressentez-vous ?

Je me nourris de la beauté des plantes, de la littérature et de la mélancolie. Je vis les émotions à 100 %, qu'elles soient tristes ou heureuses. La mélancolie, c'est le bonheur d'être triste ; ce n'est pas de moi, mais de Victor Hugo ! Qu'y a-t-il de mal à être mélancolique ?

C'est grave, docteur, d'aimer écouter Wagner en voiture ?

Sûrement parce que la mélancolie est plus accessible que le bonheur...

Bien sûr ! Personne ne fait rire avec le bonheur ! À l'époque des Petites Annonces, je traitais de sujets glauques, de la misère sentimentale, sexuelle, des gens seuls. Les plus grands films, les plus grandes comédies sentimentales ou romantiques, les plus grands textes ont toujours une part de drame. Je me questionne sans arrêt sur la profondeur de l'esprit, de l'âme. J'ai une passion pour l'écriture de Françoise Sagan, essentiellement en ce moment avec Bonjour tristesse. C'est quand même l'histoire d'une jeune fille qui pousse une femme au suicide parce qu'elle en est jalouse. J'aime bien ce paradoxe, parce qu'on peut penser que tu mènes une vie légère mais c'est tout l'inverse.

La vôtre ne semble pas du tout légère...

Ah bon, c'est ce que je dégage ? C'est grave, docteur, d'aimer écouter Wagner en voiture ? La musique classique dégage pour moi cette beauté, cette profondeur dont j'ai besoin pour me sentir moi, Élie. J'aime me retrouver avec moi-même, mais faut pas trop abuser... Mon cerveau peut vite s'emballer s'il n'est pas stimulé par le contact humain.

Et surtout le contact des femmes !

C'est vrai que j'ai ce côté très fleur bleue. J'aime tomber amoureux. J'ai découvert ce sentiment avec Elke, une Allemande rencontrée lors d'une colonie de vacances en montagne. Je me souviens encore de cette communion avec elle et la nature. De cette ivresse, de cette euphorie. Ce sont des souvenirs très lyriques. Je n'ai jamais caché ma grande sensibilité, j'en ai même parfois abusé pour séduire les filles au collège ! Depuis, je suis en permanence dans cette quête d'absolu.

C'est comment, le dimanche d'Élie Semoun ?

Comme pour tous les hyperactifs, c'est un jour maudit. Le dimanche est comme une chape de plomb. C'est une journée où il ne se passe rien, où j'ai envie d'allumer des clopes, voire d'aller au casino pour soigner l'ennui ! Oui, le dimanche, c'est le jour où je peux faire des bêtises. Mais heureusement, je peux aussi m'évader dans le jardinage, ma grande passion. Tout dépend de mon état d'esprit. Et puis il y a aussi les dimanches où j'organise de sacrées tablées en mode barbecue avec les copains. Mon dimanche, c'est un peu deux salles, deux ambiances.

Ducobu passe au vert !, sortie le 3 avril.

Ses coups de cœur

La Joconde parle enfin, la nouvelle pièce de Laurent Ruquier, au Théâtre de l'Œuvre, est un « petit bijou »assure-t-il. Sa passion pour Françoise Sagan est infinie et il redécouvre à chaque fois l'un de ses chefs- d'œuvre, Aimez-vous Brahms... Amateur du beau, Elie Semoun aime flâner dans les allées de la Fondation Maeght, le musée d'art contemporain de Saint- Paul-de-Vence, puis déjeuner à La Colombe d'Or.

La Joconde parle enfin, au Théâtre de l'Œuvre, 55, rue de Clichy, Paris (9e).

Fondation Maeght, 623, chemin des Gardettes, Saint-Paul-de-Vence (Alpes- Maritimes).

La Colombe d'Or, place du Général-de-Gaulle, Saint-Paul-de-Vence.

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