Cinéma : Emmanuelle Bercot, cherchez la flamme

"Dans le film « L’Abbé Pierre – Une vie de combats », de Frédéric Tellier, elle incarne une héroïne de l’ombre qui consacra sa vie à Emmaüs. Au théâtre, elle reprend deux textes de Bergman sous la direction d’Ivo van Hove."
Emmanuelle Bercot
Emmanuelle Bercot (Crédits : Philippe Quaisse / Pasco&co)

Elle a commencé par la danse. On le devine à sa démarche souple et sûre, à son port de tête sans raideur, à ce qu'exprime tout son être, en gestes, postures, expressions, et jusque dans les moments les plus simples de la vie. S'asseoir à une table de bistrot parisien, en terrasse, un soir de pluie. Un privilège pour qui l'observe. Il émane d'elle un rayonnement serein. La blondeur d'Emmanuelle Bercot, son teint d'or pâle, son regard appuyé, sa voix au timbre clair, au débit d'eau calme, tout est accueil en elle. On pense à Monica Vitti. Mais elle n'a pas pour rien été comparée à la brune Maria Casarès (par Jacques Nerson, critique dramatique de L'Obs), une femme aux hautes flammes intérieures. On la connaît par ses films. Elle en a tourné plus de quinze. Elle s'en va, La Tête haute, La Fille de Brest. Scénariste, coscénariste, comédienne, notamment avec Maïwenn, une trentaine de rôles puissants avec des cinéastes forts.

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Ces jours-ci, Emmanuelle Bercot est à la fois sur les écrans et sur la scène du Théâtre de la Ville - Sarah-Bernhardt. Elle exécute ce grand écart avec une grâce aristocratique. Au cinéma, elle donne vie à une femme de l'ombre, une femme de la vraie vie, mais méconnue. Dans L'Abbé Pierre - Une vie de combats (lire ci-contre), elle incarne Lucie Coutaz, grand caractère, personne indispensable à l'histoire de la création d'Emmaüs et qui accompagna, des années durant, l'abbé Pierre. C'est même elle qu'il avait choisie pour le remplacer à la direction d'Emmaüs lorsqu'il partit pour de lointains voyages, après 1954 et son célèbre appel. En avril et mai 1955, il est aux États-Unis et au Canada. Le monde entier le réclame et il conçoit l'extension d'Emmaüs. Le film raconte toute cette époque, et s'appuie sur la presse d'Amérique du Sud lorsque le bateau sur lequel il a embarqué, entre l'Uruguay et l'Argentine, fait naufrage. On est en 1963. L'abbé est donné pour mort...

Comment construit-on un « personnage » de la réalité ? « Je ne connaissais pas du tout Lucie Coutaz et très peu de documents existent. J'ai regardé longuement ses photos. Il y en a très peu. Une dizaine. Je les ai scrutées plusieurs heures durant. Je voulais la cerner. J'ai été frappée par la douceur qui émanait d'elle. Je savais pourtant, m'étant renseignée, que l'on pouvait la surnommer Lulu la terreur, le Dragon, la Tour de contrôle. » Emmanuelle Bercot précise : « J'ai également visionné un film qui date de la dernière année de sa vie. Elle a 82 ans, elle est filmée à son insu et parle de sa jeunesse. Je suis partie de ces images pour imaginer qui elle était, comment elle était vers 45 ans... J'ai également criblé de questions l'actuel président d'honneur -d'Emmaüs, qui l'a connue. »

On a beau se souvenir de bien des épisodes de la vie de l'abbé Pierre, on est happé, impressionné par le jeu des interprètes, et notamment Benjamin Lavernhe, de la Comédie-Française, dans le rôle du religieux engagé dans le monde, et Michel Vuillermoz incarnant Georges Legay, passé par le bagne et premier compagnon.

En juin, au Printemps des comédiens, le festival dirigé par Jean Varela et auquel Éric Bart apporte sa grande connaissance du tissu théâtral international, on a pu applaudir Emmanuelle Bercot dans deux rôles très différents issus du monde d'Ingmar Bergman. Deux femmes très proches pourtant, deux comédiennes torturées. Dans Après la répétition, un metteur en scène, Henrik, Charles -Berling, monte encore une fois Le Songe de Strindberg. Il traîne dans les loges, incapable de s'arracher à ce qui est sa vie. Une jeune comédienne, Justine Bachelet, qui, elle, n'est pas sûre d'aimer le théâtre, revient car elle a oublié son bracelet. Une femme va surgir. Rakel, Emmanuelle Bercot, n'est-elle qu'un fantôme ? Dans Persona, une actrice très connue, Elizabeth, s'est soudain interrompue et, depuis, n'a plus parlé. Accompagnée d'une infirmière, Alma, qu'incarne Justine Bachelet, elle séjourne dans une maison de repos au bord de la mer... La médecin, Elizabeth Mazev, passe parfois. Faut-il en dire plus ? « Pour moi, le théâtre, c'est un retour aux sources. J'avais été très mortifiée d'être refusée au Conservatoire. J'ai travaillé un peu, comme les jeunes comédiens de ma génération. Mais je me suis retrouvée dans une ornière. Je n'en vivais même pas. J'ai réussi la Femis et j'ai fait des films. » Cela paraît simple, d'autant qu'elle est une cinéaste à succès et une comédienne aimée du septième art. « Mais réaliser, c'est difficile et même ingrat. »

Je suis très touchée par la manière dont Ivo van Hove nous dirige. Il ne lâche pas son texte des yeux.

Emmanuelle Bercot

Elle est heureuse, très heureuse de travailler sous la direction d'Ivo van Hove. Rares sont les si grands artistes. « Le seul dont je n'ai jamais vu un spectacle, c'est Romeo
-Castellucci. Je n'ai jamais été disponible lorsqu'il a présenté ses créations... »
Bergman, elle l'avait déjà interprété sur scène. Ce fut un moment de très haut théâtre, d'incandescence, de fusion du réel et de la fiction, du conscient et de l'inconscient. Face à face mis en scène par Léonard Matton dans un décor du regretté Yves Collet. Inoubliable, et elle, entourée d'un groupe d'excellence, fut hallucinante. « Vous le savez, dit-elle, il s'agit d'un "remake". Cela peut paraître bizarre. On fait tout à l'envers, en quelque sorte. Mais je me suis dit que cela pouvait s'apparenter au travail des danseurs reprenant une chorégraphie de Noureïev, par exemple. Nous sommes débarrassés du souci de trouver les entrées et déplacements. Ce qui fait que, paradoxalement, tout l'espace est consacré au jeu. »

« Remake », dit-elle, et c'est effectivement la manière de travailler du Belge Ivo van Hove et de son scénographe attitré, Jan Versweyveld. Ils sont dans la duplication. « Bien entendu, nous ne nous sommes pas privés de regarder les vidéos des spectacles en néerlandais qui ont été présentés en France, il y a dix ans, à la MAC-Créteil. » Mais rien qui puisse décourager l'énergie des interprètes d'aujourd'hui. « Je suis très touchée par la manière dont Ivo van Hove nous dirige. Il ne lâche pas son texte des yeux. Parfois, il se lève et s'approche. Il chuchote. Il est très pudique. Pourtant, il lui arrive de jouer. Il incarne les personnages, hommes comme femmes : il indique ainsi ce qu'il attend de chaque réplique. » Elle admire ses partenaires. Charles Berling, qui dirige le Liberté de Toulon, où ils ont présenté le spectacle. Elizabeth Mazev, forte personnalité. « Dans Persona, je suis mutique et j'écoute. La voix rare, étonnante de Justine Bachelet me -soutient. »

Bergman la conduit très loin. Ce n'est pas fini. Elle décoche un de ses irrésistibles sourires : dès la mi-janvier, elle jouera à L'Atelier, sous la direction de Mélanie Leray, avec Thomas Blanchard, Together, du Britannique Dennis Kelly tandis que sortira Making of de Cédric Kahn, avec, entre autres, Denis Podalydès. Après le théâtre sur le théâtre, le cinéma sur le cinéma. ■

L'Abbé Pierre - Une vie de combats, de Frédéric Tellier, avec Emmanuelle Bercot, Benjamin Lavernhe. 2 h 15. En salles.

Après la répétition suivi de Persona, Théâtre de la Ville - Sarah-Bernhardt, grande salle, à partir de demain, 6 novembre, jusqu'au 24. Durée : 3 heures avec entracte. Tél. : 01 42 74 22 77.

La lumière de Lucie

Le film de Frédéric Tellier a été présenté à Cannes lors du dernier Festival. L'Abbé Pierre - Une vie de combats est un très scrupuleux biopic, tout en scènes fortes et images puissantes. On retrace la vie d'Henri Grouès de sa toute jeunesse à sa mort en passant par le choix de son nom et la création d'Emmaüs. On suit toutes les aventures d'une vie audacieuse qui l'a conduit bien au-delà des frontières de la France, où il était né le 5 août 1912. Lorsqu'il fonde, à Neuilly-Plaisance en 1949, la première communauté Emmaüs, Lucie Coutaz est déjà là. Secrétaire, elle accompagnera Emmaüs et l'abbé Pierre toute sa vie durant. Elle est au cœur du scénario écrit par le réalisateur et par Olivier Gorce. Ce dernier pense qu'Emmaüs n'aurait pas vu le jour sans cette femme d'une discrétion naturelle et d'une autorité affermie au fil du temps et des difficultés affrontées. Emmanuelle Bercot l'incarne auprès de Benjamin Lavernhe (l'abbé) et, entre autres, Michel Vuillermoz (Georges Legay, un des premiers compagnons). Une grande leçon de vie.

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