Cinéma : Ken Loach, le vieux chêne et les réfugiés

Infatigable et parfois controversé défenseur des opprimés, le réalisateur anglais revient avec « The Old Oak ». L’histoire d’une ville du nord de l’Angleterre bousculée par l’arrivée de réfugiés.
Ken Loach sur le tournage de « The Old Oak ».
Ken Loach sur le tournage de « The Old Oak ». (Crédits : © Why Not Productions/Le Pacte)

A-t-il gardé le meilleur pour la fin ? Ken Loach revient en salles avec ce qu'il nous annonce être son dernier film. Ken Loach, à la retraite ? On a du mal à y croire, tant l'engagement forcené de cet homme frêle, à la voix douce mais aux yeux déterminés, semblait ne jamais devoir se tarir. Il faut d'ailleurs se méfier des réalisateurs qui tirent leur révérence : une nouvelle injustice et les voilà repartis, caméra au poing... The Old Oak serait donc son ultime opus, un « vieux chêne » comme lui, symbole de force et de stabilité, qui fait écho à son obsession toujours intacte, à 87 ans, à défendre les laissés-pour-compte, la classe ouvrière en résistance, les âmes broyées par l'économie de marché. Ce fichu capitalisme « dans lequel l'exploitation des autres est la règle », assène-t-il encore, au café du Cinéma du Panthéon, à Paris, où nous le rencontrons le 4 octobre.

Sous prétexte qu'il reproduirait toujours le même film à l'infini, que ses histoires ancrées dans le réel seraient chaque fois trop semblables, d'aucuns disent que le cinéaste doublement palmé à Cannes se serait dilué dans le politique, que le militant aurait mangé l'artiste. En 2017, les déclarations radicales sur la politique israélienne de ce farouche défenseur de la cause palestinienne et partisan du boycott culturel d'Israël avaient été très critiquées, jugées même antisémites par certains. Le cinéaste s'en était défendu : « Toute ma vie, j'ai pris parti pour ceux qui sont persécutés et marginalisés ; me dépeindre comme antisémite simplement parce que j'ajoute ma voix à ceux qui dénoncent la détresse des Palestiniens est grotesque. »

Avec The Old Oak, l'héritier du Free Cinema anglais, devenu incontournable dans les années 1990 pour sa fibre sociale et réaliste, poursuit ses éternels combats. En compagnie de son scénariste de toujours, Paul Laverty, il nous emmène dans une petite ville du nord de l'Angleterre, ancien bassin minier pauvre qui voit arriver en 2016 des familles de réfugiés syriens fuyant les bombes. Quand la misère économique percute celle des victimes de la guerre apparaissent fatalement le rejet de l'autre et le racisme : l'agressivité prend le dessus chez certains habitants, ulcérés par l'aide que les associations leur apportent et dont ils ont, eux, été privés. Au pub The Old Oak, personnage central du film et seul endroit de vie commune, les esprits s'échauffent à mesure que les pintes de bière se vident, confondant le prix des maisons de mineurs qui s'effondre avec l'hébergement des réfugiés...

L'auteur des magistraux Kes, Family Life et Raining Stones évite cependant tout manichéisme, montrant que tous les démunis n'optent pas pour le repli sur soi. C'est TJ Ballantyne, un quinquagénaire rondouillard, tenancier du pub et lui-même en galère (sa femme l'a quitté, son fils ne lui parle plus...), qui le premier tendra la main aux nouveaux arrivants, notamment à Yara (Ebla Mari, poignante), jeune photographe syrienne. À force de partager la même vie quotidienne, les personnages, anglais ou syriens, finiront par reconnaître chez l'autre une injustice et une souffrance qui ne leur sont pas étrangères. « Yara ne s'attendait pas à trouver la colère, la faim et la pauvreté en Angleterre, qu'elle voyait comme un pays riche, explique le réalisateur. Le spectateur le découvre en même temps qu'elle : les habitants de ces villages ont vraiment été abandonnés par les gouvernements depuis la fermeture des mines par Margaret Thatcher dans les années 1980. »

Choisissant son amitié pour Yara plutôt que ses vieux amis, piliers de comptoir aigris, TJ ouvre son pub à un repas solidaire pour tous les démunis, réfugiés ou pas. Ce projet de cantine populaire vient à bout de la plupart des adversités locales, renouant avec la fraternité traditionnelle des mineurs. « La solidarité est le point de départ de tout changement, rappelle Ken Loach. Ensuite, il faut un mouvement politique pour aller plus loin. »

Il souffle donc sur cette histoire une humanité retrouvée qui dit que le collectif existe toujours. Un ultime message d'optimisme, pas si courant chez Loach. « Faire un film demande un engagement physique, intellectuel et émotionnel, poursuit celui-ci. Je crois qu'il est temps d'arrêter, comme un vieux footballeur qui quitte le terrain. Je suis triste, j'aurais aimé avoir encore dix ans. Je suis un vestige de mon temps, les années 1950. Les Anglais d'aujourd'hui grandissent dans le monde hostile créé par Thatcher. D'autres cinéastes continueront à nous relier aux nuances, à la délicatesse et aux fragilités de nos vies. Car un grand artiste aura toujours quelque chose à voir avec notre humanité commune. »

« The Old Oak » de Ken Loach. Avec Dave Turner et Ebla Mari. 1 h 53. Sortie mercredi.

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