Gastronomie : New York ou l’eldorado de la cuisine juive

Un livre de recettes et de mémoire rappelle que c’est à New York que la gastronomie ashkénaze a été le mieux préservée.
Charlotte Langrand
(Crédits : DR)

Il est des livres de recettes qui sont bien plus que des livres de recettes. Des ouvrages-enquêtes qui tiennent la dragée haute aux habituelles compilations de plats à la mode ou de livres de chefs en besoin d'autocélébration. Cuisine juive à New York (Hachette Cuisine) est autant un devoir de mémoire et de transmission qu'un manuel de cuisine. Son auteur, Annabelle Schachmes, y a couché autant de recettes que d'histoires, celle de l'immigration des juifs d'Europe aux États-Unis, celle de ses arrière-grands-parents et grands-parents. C'est aussi l'occasion d'aller à la rencontre d'un autre pan de la « cuisine juive », plus introverti que celui de la popote israélienne haute en couleur de Yotam Ottolenghi, maître anglo-israélien du genre et qui a le vent en poupe en Europe depuis quelques années.

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Formidables photos

Ce livre personnel et universel, illustré de formidables photos et dessins, montre à quel point la cuisine est un acte culturel et que la nourriture est là, dans la vie des êtres, quels que soient leurs destins.

« Je n'avais pas conscience de la profondeur du judaïsme aux États-Unis, explique-t-elle. Alors que certains mouvements juifs d'après-guerre disparaissaient en Europe, ils se sont développés là-bas. Les recettes traditionnelles qui menaçaient de disparaître ont été "sauvées" par les migrants qui les ont emportées avec eux aux USA, car ce pays est fait d'étrangers qui ont pu cultiver leurs singularités malgré leur assimilation. »

Par exemple les bialys, des petits pains garnis d'oignons, d'ail ou de graines de pavot : plus personne n'en cuisine ni n'en mange en Pologne, leur pays d'origine, alors qu'ils sont si populaires à New York. La foisonnante métropole est ainsi devenue la garante de la préservation de cette cuisine juive ashkénaze si particulière. On peut goûter ces spécialités dans les delicatessen - les fameux delis - ou dans les appetizing stores, des échoppes réservées au poisson fumé et aux produits laitiers.

De la matzo ball soup, je pourrais en manger sur la tête d'un cochon !

Annabelle Schachmes

 Dans le livre, on retrouve les recettes stars

- le pastrami, les bagels, les latkes, la babka... Mais on peut aussi y découvrir cette autre « cuisine de peu » et de subsistance qui est d'une résilience sans bornes, même si « ce n'est pas une cuisine de kif ! » prévient Annabelle en rigolant. Loin d'être aussi savoureuses que les plats israéliens ou séfarades, les recettes ashkénazes résonnent d'un goût singulier, où le souvenir d'un aïeul et celui d'un rituel partagé tiennent lieu de gourmandise. « La matzo ball soup, c'est ma vie, je pourrais en manger sur la tête d'un cochon ! » s'esclaffe-t-elle avec son solide humour. Il faut dire qu'on trouve ces boulettes de farine matza (pour les recettes de pâte non levée) plongées dans un bouillon de poule dans tous les delis de New York, « alors qu'en France on les trouve principalement... chez ta mère ! ». « Ce sont vraiment les États-Unis qui ont sorti ce plat des maisons pour le servir au restaurant, le rendant populaire dans le monde entier », poursuit l'autrice, qui a aussi développé une addiction pour les pickled her-rings, les harengs marinés. Stars des appetizing stores, ils sont servis avec des oignons et un mélange de crème et de lait ribot.

En s'attablant dans le célèbre deli Katz's, la journaliste a découvert un plat inconnu, la kishka, une sorte de saucisse rouge à la farine de matza et au paprika imaginée pour remplacer le porc, interdit par la cacherout : « Elle est moche et pas très bonne mais elle fait tellement partie de la vie des New-Yorkais qu'on ne se pose plus la question ! » Chez Katz's, il y a aussi un plat qu'Annabelle a refusé de manger... Un mélange d'œufs, de galettes de matza, de cannelle et de sucre. Un « plat de flemme » prêt quelques minutes, un plat de souvenir surtout, que lui préparait son grand-père quand elle était petite et que tous les enfants juifs ont mangé dans leur vie. « J'ai cru pleurer quand on m'a tendu l'assiette, j'adorais ça mais je sais que je n'en remangerais pas d'autre que celui de mon grand-père. »

Charlotte Langrand

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