JO 2028 : le cricket, promesse d'un futur business ?

La discipline, qui sera aux JO 2028, fait la promesse de marchés juteux. En France, la pratique relève encore de bouts de ficelle.
Pendant le match de Coupe du monde de cricket Inde-Sri Lanka jeudi à Bombay.
Pendant le match de Coupe du monde de cricket Inde-Sri Lanka jeudi à Bombay. (Crédits : FRANCIS MASCARENHAS/REUTERS)

Ce soir du 23 octobre, même le carcan des talibans a semblé se desserrer un peu. Dans les rues de Kaboul, les effusions qui ont salué la première victoire de l'Afghanistan sur le Pakistan, en Coupe du monde de cricket, en disaient autant sur les tensions entre les deux voisins que sur la force de la discipline dans le sous-continent indien. Une passion qui ricoche au loin, jusqu'en Australie ou en Afrique du Sud, redessinant la carte des anciennes colonies britanniques. Car c'est bien l'Angleterre, voilà plus de trois siècles, qui a donné vie à ce sport de batte joué à onze. Elle aussi qui a agrippé le dernier titre mondial en 2019. La succession sera ficelée le 19 novembre à Ahmedabad, dans le nord-ouest de l'Inde. Précisément dans le plus grand stade de cricket au monde (132 000 places), qui porte le nom du Premier ministre Narendra Modi.

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Sur le papier, quelque 2,5 milliards de suiveurs. Un socle populaire qui a joué à plein pour entériner, le 16 octobre, l'arrivée du cricket dans le cercle olympique, à compter de 2028 à Los Angeles. Le format adopté est le T20, soit la version la plus rapide avec des matchs d'environ trois heures. Pour Thomas Bach, président du Comité international olympique (CIO), c'est là l'occasion d'aimanter des « communautés de fans et d'athlètes auxquelles nous avions très peu, voire aucun accès ». Autrement dit de conquérir des marchés colossaux.

Paris 2024 a raisonné en termes de maîtrise des dépenses, Los Angeles a vu les aubaines financières.

Didier Séminet, ex-secrétaire général du CNOSF

D'après le Times of India, les droits télé de L.A. 2028 pourraient atteindre 200 millions de dollars en Inde, le pays le plus peuplé au monde (1,4 milliard d'habitants). Soit une manne décuplée, à répartir entre le CIO et le comité d'organisation, conscient de l'enjeu quand il a proposé sa liste de sports additionnels. Sans compter le volet sponsoring. « Au départ, le cricket n'intéressait pas forcément les Américains, mais ils ont joué à fond la carte business, appuie Didier Séminet, ex-secrétaire général du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), issu du baseball. Là où Paris 2024 a raisonné en termes de maîtrise des dépenses, Los Angeles a vu les aubaines financières. »

Si le statut de sport additionnel est par nature fragile, en témoigne la non-reconduction du breaking, le cricket a peu de raisons de s'en faire. En 2032, les Jeux s'installeront à Brisbane (Australie), un terrain conquis. Et l'Inde vient d'annoncer sa candidature pour 2036, avec de sérieuses chances de devenir la quatrième nation asiatique à accueillir la flamme. Planètes alignées, retombées assurées.

Ces histoires de gros sous ou d'audiences XXL, la France n'en est pas actrice. Même si, en poussant le bouchon loin dans le temps, on la retrouve en vice-championne olympique en titre. Souvenir sépia de l'unique apparition du cricket aux JO, édition 1900 à Paris, le temps d'un match perdu face à l'Angleterre, avec une équipe majoritairement constituée d'expatriés britanniques. Un coup de batte dans l'eau. La réalité, aujourd'hui, ne s'accroche à rien d'autre qu'au système D et au cliché d'un « sport de réfugiés ».

Sortie depuis peu du giron de la Fédération de baseball, France Cricket plafonne à 2 000 licenciés. Du mouvement sportif, l'association ne touche à l'année que 5 000 euros, à travers l'Agence nationale du sport. Son budget, de l'ordre de 300 000 euros, repose quasi exclusivement sur l'apport de l'International Cricket Council (ICC), le référent mondial. « À chaque fois que j'ai sollicité le ministère, on m'a répondu "tant que vous ne serez pas sport olympique, on ne pourra pas vous accompagner" », retrace Prebou Balane, président de la fédération depuis dix ans. Un nouvel horizon vient donc de s'ouvrir, constellé de mots jusqu'ici interdits : subventions, Insep, liste d'athlètes de haut niveau... Loin dans la hiérarchie - 53e nation mondiale chez les hommes, 36e chez les femmes -, la France sait Los Angeles hors de portée. « Mais en 2032, on sera là », promet Saravana Durairaj, le directeur sportif.

Combler le vide des infrastructures, telle est la priorité. Joueurs et joueuses de l'équipe de France, qui paient eux-mêmes leur matériel, s'y heurtent au quotidien. Quand ils ne se tiennent pas à Dreux (Eure-et-Loir), à une heure trente de Paris, où réside l'essentiel des troupes, les entraînements ont lieu au parc de Bagatelle. Pas le moindre vestiaire, et des activités qui interfèrent. « Les gens font leur vie, traversent le terrain ou promènent leur chien, qui parfois nous prend la balle et court avec, décrit Rohullah Mangal, lanceur de 19 ans. Il y a des trous partout, des bouts de verre dus aux pique-niques, on peut facilement se blesser. »

Lui en a vu d'autres. Il a commencé le cricket muni d'une balle de tennis dans les montagnes de Paktiyâ, province du sud-est de l'Afghanistan. Avant de rallier la France à pied à 13 ans, en traversant d'abord l'Iran puis la Turquie, avec son frère aîné Rahmatullah, lui aussi devenu international. Un périple fou pour ne pas avoir à être enrôlés par les talibans. Quand on lui demande l'effet que procure ce passeport olympique, il répond dans un sourire et un français délié : « Ça fait rêver plus grand. »

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