
C'est un événement majeur pour la France. Sur le plan sportif bien sûr, puisque la Coupe du monde de rugby est l'occasion rêvée pour le XV de France de gagner son premier titre de champion du monde. Mais aussi sur le plan économique dans la mesure où la France espère avec ces deux mois de compétition (du 8 septembre au 28 octobre), des retombées économiques conséquentes. Mais seront-elles vraiment au rendez-vous ? Les avis divergent. D'autant que les études sur le sujet sont rares. L'une d'elles est régulièrement citée mais remonte à 2017, à l'occasion de la candidature de la France comme hôte de la Coupe du monde 2023,. Réalisée par le cabinet Deloitte, elle estimait que la compétition devait générer « un impact global de l'ordre de 1,9 à 2,4 milliards d'euros ». Depuis il n'y en a pas eu d'autres.
Dans le détail, « les dépenses des spectateurs et participants, étrangers ou français, qui sont attribuables à la compétition [...] représentera un total de 720 millions d'euros à 916 millions d'euros », avançait l'étude, ajoutant que « les dépenses touristiques et d'organisation représenteront un impact direct total évalué entre 0,9 et 1,1 milliard d'euros ».
En outre, « l'organisation de l'événement génère en elle-même des dépenses d'investissement et de fonctionnement qui seront injectées dans l'économie française », permettant au cabinet « d'évaluer un impact organisation de l'ordre de 190 à 208 millions d'euros ».
Effet de substitution
Des chiffres à prendre avec prudence. Ces montants alléchants devront en effet être confirmés par une étude réalisée à l'issue de la tenue de la Coupe du monde, indique l'organisateur de l'événement, le groupement d'intérêt public (GIP), qui précise qu'il communiquera sur l'impact économique réel de la compétition, à la fois en termes de retombées pour le territoire et de bénéfices pour le rugby français à ce moment-là.
Et pour cause, il apparaît encore bien difficile de quantifier l'impact économique d'un tel événement.
« Il faut prendre ces chiffres avec prudence », souligne Christophe Lepetit, économiste du Sport au Centre de droit et d'économie du sport (CDES), rappelant que cette étude ayant été produite six ans avant la Coupe du monde, « il y a une part d'aléas, d'incertitude qui peuvent faire varier à la hausse ou à la baisse cet impact économique », précise-t-il.
L'une des variables majeures est la venue de visiteurs étrangers. « Leur nombre est essentiellement ce qui va faire changer la valeur finale de l'impact économique », indique Christophe Lepetit. Car « du côté des Français, il y aura un effet de substitution ».
« Si les gens consomment plus à l'instant T, ils vont moins consommer plus tard. D'autant que les Français sont partis en vacances, il y a la rentrée, l'inflation qui se maintient... Ils n'ont pas un portefeuille illimité pour acheter des bières, des chips, des maillots et faire la fête », acquiesce Pierre Rondeau, économiste du sport et professeur à la Sports management school.
Reste donc à savoir si les visiteurs étrangers seront nombreux à participer à l'événement. En 2017, le cabinet Deloitte estimait qu'il pourrait attirer entre 350.000 et 450.000 personnes. De son côté, France 2023 projette qu'ils seront environ 600.000.
Des visiteurs qui, dans le cadre d'une Coupe du monde, viennent de destinations éloignées comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande, terres de rugby, restent potentiellement plusieurs semaines et donc consomment tout autant. La SNCF table par exemple sur un million de trajets supplémentaires, émanant en grande partie des passagers internationaux. De son côté, sa filiale Eurostar fait état d'une hausse de 30% de ses réservations par rapport à la même période de l'an dernier, soit 140.000 passagers supplémentaires.
Des touristes étrangers qui pourraient rester plus longtemps et dépenser plus
En outre, la tenue de l'événement dans plusieurs villes (Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Nice, Paris Saint-Denis, Saint-Étienne, Toulouse) permet d'éviter un effet d'éviction. Autrement dit, les touristes venus pour un événement sportif ne remplacent pas les touristes traditionnels. Lors de la tenue de l'Euro de football en 2016 à Paris, le directeur du musée Rodin s'était ainsi plaint de ne plus avoir de visiteurs, car ils avaient été remplacés par des touristes sportifs qui n'ont pas fréquenté les musées, raconte Pierre Rondeau.
Il cite également l'exemple du Brésil, premier pays touristique en Amérique du Sud et où se sont tenus les Jeux olympiques en 2016. « Il n'ont pas eu plus de touristes cette année-là que celles précédentes dû à l'effet d'éviction », illustre-t-il. Or, en septembre, octobre, et qui plus est dans des villes pour lesquelles cela ne correspond pas à une saison touristique, la Coupe du monde de rugby 2023 peut donc avoir un réel impact économique.
De quoi satisfaire les restaurateurs, les hôteliers et les plateformes d'hébergement. À Saint-Etienne (Auvergne-Rhône-Alpes), par exemple, qui accueillera 4 matchs entre le 9 septembre et le 1er octobre, les prix des locations de courte durée (tout logement confondu) ont bondi de 41% en moyenne sur toute la durée de la compétition, selon une étude réalisée par Liwango, un outil d'analyse de données et le moteur de recherche dédié à la recherche de location de vacances, Likibu.
Les prix y sont compris entre 135 et 142 euros la nuit en moyenne les soirs de match au stade. En comparaison, à la même période l'an dernier, 5% des logements étaient proposés à plus de 150 euros la nuit, représentant le haut de l'échelle des prix dans la ville qui est celle qui connaît le plus fort impact de la tenue des matchs, ajoute encore l'étude.
Pari gagnant pour les vendeurs de bières, de téléviseurs et les diffuseurs
En outre, « le panier de dépenses d'un touriste sportif, qui a économisé pour venir en famille ou entre amis et qui veut donc profiter, est supérieur à un touriste classique. Il y a peut-être moins de visiteurs, mais c'est en partie compensé par le fait qu'ils dépensent plus, » pointe Christophe Lepetit.
Une aubaine pour les points de vente de bière, souligne Pierre Rondeau, précisant qu'en moyenne, six fois plus de litres de cette boisson alcoolisée sont vendus pendant une coupe du monde de rugby que durant des matchs de football de première ligue. « C'est un cliché, mais les supporters du ballon ovale sont de plus gros buveurs de bière », conclut-il.
Les diffuseurs des matchs à la télévision, TF1, France Télévisions et M6 vont, eux aussi, tirer parti de l'événement, de même que les vendeurs de téléviseurs. Et ce, d'autant plus si la France parvient à se hisser en quarts de finale, en demi-finale et (qui sait ?) en finale.
Néanmoins, « d'un point de vue général, ce serait plus intéressant d'avoir l'Angleterre en finale car on verrait arriver de nombreux supporters anglais, alors que les supporters français seront, eux, déjà sur place », nuance Pierre Rondeau.
Gain social
Pour autant, les deux économistes soulignent le « gain social » d'un tel scénario. « Ce qui est peu mis en avant c'est l'engouement sportif qui peut avoir un impact sur le moral des Français plus durable que la simple espérance d'un gain économique », signale ainsi Pierre Rondeau qui rappelle que « tous les pays qui ont organisé des Jeux olympiques ont dépensé plus d'argent que ça ne leur en a rapporté, mais ils ont remporté un succès au niveau du bien-être moral, de la pratique sportive et donc de la santé car quand on met en avant un tel événement, ça donne envie aux gens de faire du sport ».