La semaine de Philippe Vandel : Les engagés ont dégagé

LA SEMAINE DE PHILIPPE VANDEL — Notre chroniqueur explore le monde médiatique tel qu’il va... ou pas.
(Crédits : DR)

Mieux vaut compter ça que d'être sourd

Ils se prétendaient engagés, mais dans quel boulevard, quelle ruelle ? Où sont-ils passés ? Les médias les sollicitent, personne ne répond. Alors que les mêmes avaient la pétition si facile, la prise de position systématique. Jamais en retard d'une revendication express. Comme à la grande époque de Spizza 30' : une pizza - pardon, une indignation - livrée en direct en moins de trente minutes. Certains humoristes estampillés « grande gueule » refusent de s'expliquer. C'est leur droit. Mais avouez que ça tombe mal. C'est justement maintenant qu'on a besoin de leurs lumières lumineuses.

Les ardents défenseurs du débat fuient le débat

 Ils réclamaient « la parole libre » ; ils verrouillent la leur. Étonnant de voir ces « reines et rois de l'impro » publier des communiqués millimétrés dans lesquels chaque formule a été pesée par des conseillers. Il n'y a pas si longtemps, ils n'avaient pas de mots assez durs pour fustiger les éléments de langage et les communiqués rédigés par des avocats.

Signal faible dans ce désert de silence

 Quelques voix s'engagent à supplier que d'autres s'engagent. Le premier fut l'animateur Arthur. Puis Philippe Lellouche, Joann Sfar, Éliette Abécassis. Pas une foule, en comparaison des cohortes qui dodelinent bouche cousue. Dans La Tribune Dimanche, Anna Cabana dénonçait « le grand silence des grandes voix ». Alors le petit silence des petites voix... Une exception. Dans un texte intitulé Je suis juif, publié mercredi sur LinkedIn, Philippe Torreton se désole du manque de réactions face à l'attaque du Hamas. « Je cherche, je cherche et je ne vois rien, écrit l'acteur, pas de pancartes, pas de slogans rassembleurs, pas de cortèges immenses, de mot d'ordre, pas de concerts, rien ou si peu. » Bien sûr, il y a eu cet appel signé par 93 personnes du monde de la culture, et relayé par L'Humanité, pour réclamer un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Qui ne serait pas pour la paix ? Il a fallu attendre le 23 octobre, donc bien après les massacres du 7.

Sur Canal+, l'humoriste Thomas Ngijol appelle « à respecter le droit au silence de chacun ». Il observe : « On demande l'avis de Kylian Mbappé et d'Omar Sy, alors qu'ils font leur vie. » Il n'a pas tort. Sauf qu'on les a beaucoup entendus (et pas seulement eux) à d'autres moments d'actualité alors que, là aussi, ils faisaient leur vie. Va comprendre...

SMS de Ruthy

 La programmatrice de Tout et son contraire sur FranceInfoTV : « Hello Philippe ! Demain, Camille ne veut absolument pas parler de l'actualité géopolitique. Ni des artistes qui se taisent ou parlent. Ok pour toi ? » Prénom modifié par mesure de sécurité.

Bravache, je lui réponds : OK. Puis je résume : la personne ne veut pas parler d'actu. Et ne veut pas parler non plus des gens qui ne veulent pas en parler. Je me demande qui va bien pouvoir parler de ma chronique d'actu qui parle ce dimanche des gens qui ne veulent pas parler de ceux qui ne veulent pas parler d'actu. Chut3. Le silence à la puissance 3.

Je viens de dégotter un tee-shirt de circonstance :
I WOULD PREFER NOT TO

 C'est la formule merveilleuse de Bartleby, héros de Herman Melville (oui, l'auteur de Moby Dick). Dans la nouvelle Bartleby le scribe, il est un employé de bureau consciencieux qui refuse un beau matin d'exécuter les ordres du patron : « I would prefer not to », littéralement « je préférerais ne pas... » Voire j'aimerais mieux ne pas. Bartleby ne dit pas non, mais il ne dit pas oui. Il ne dit pas non, mais il dit non. Les jours suivants, il ne veut plus travailler. Il finit par dormir au bureau. Quand le boss lui demande de quitter les lieux, il se mange invariablement la même réponse : « I would prefer not to. »

I would prefer, Bartleby s'ouvre.

Not to, il se ferme. Au conditionnel. Il dit presque oui et presque non. Imparable.

Imparable aussi la tempête Ciaran

Le nord-ouest de la France est paralysé. Les TER ne circulent plus. À la rédaction, une journaliste scrute les dernière nouvelles : « Je dois aller à un mariage à La Rochelle ce soir, j'espère que mon train sera... annulé ! » C'est Bartleby en fille. Elle a dit oui à l'invitation, mais ne veut pas en être. Et sans que cela se sache. Pour ne froisser personne.

La veille, j'avais entendu sur une grande radio cette mise en garde : « Demain, aucun train express régionaux [sic] ne circulera. » Conseil amical et rétroactif à mon confrère : collègue, si aucun TER ne roule, inutile de t'emm... avec le pluriel. « Régional » suffisait. Au passage, admirons le syllogisme : Il n'y en a pas, mais ils sont nombreux. Ce sont des trains velléitaires.

Du dictionnaire Robert : « Velléitaire : Qui n'a que des intentions faibles, ne se décide pas à agir. » Du Larousse : « Qui est incapable de s'en tenir à une décision prise. »

Ils (et elles) seraient de plus en plus nombreux

 Selon une étude américaine de février 2022 menée par Study Finds et rapportée par l'hebdomadaire Elle : « 71 % des sondés espèrent que leur soirée va s'annuler. » Corollaire : seulement 29 % espèrent que leur soirée sera maintenue, que les engagements pris seront tenus. So old school ! (Tellement vieille école !) Mais voici le monde d'après. Avec les réseaux sociaux et leurs torrents de boue, pires qu'une tempête en Bretagne. Les artistes engagés l'ont bien assimilé, qui viennent de s'engager à en dire le moins possible. Et qui demandent de ne pas trop en parler. Bref, les engagés ont dégagé.

Jacques Chirac l'avait pressenti

« On greffe de tout aujourd'hui : des reins, des bras, un cœur, sauf des couilles. Par manque de donneurs. »

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Commentaires 2
à écrit le 05/11/2023 à 15:28
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Bonjour, mais s'engager pourquoi pour qui ? Pour défendre la république, la république des copains, des bobo parisien qui profite de la France ! Pour défendre notre style de vie , mais chaque jours, le capitalisme et la classe politique, chaque jo...

à écrit le 05/11/2023 à 8:50
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Mais de quoi parle t'il ?

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