La justice brésilienne pourrait remettre Lula en liberté

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(Crédits : Pilar Olivares)

par Brad Brooks

SAO PAULO (Reuters) - Le Tribunal suprême fédéral du Brésil pourrait, dans les jours à venir, décider de remettre en liberté l'ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, incarcéré le 7 avril pour purger une peine de 12 ans de réclusion.

Certains magistrats de ce tribunal, la plus haute instance judiciaire du Brésil, ont déjà expliqué qu'ils souhaitaient revenir sur une décision de 2016 qui permet l'incarcération des prévenus si leur verdict de culpabilité pour corruption est maintenu en premier appel - raison pour laquelle Lula et plusieurs autres hauts responsables politiques, de même que certains hommes d'affaires, sont aujourd'hui derrière les barreaux.

Selon ses détracteurs, cette décision prive les accusés de leur droit constitutionnel à épuiser toutes les voies de recours avant d'être placés en détention.

Marco Aurelio Mello, juge au Tribunal suprême fédéral, devrait décider tout prochainement s'il présente ou non une requête en annulation de cette décision.

Ceux qui sont à la pointe de la lutte contre la corruption au Brésil, en tête desquels le juge Sergio Moro qui a fait condamner Lula, estiment que revenir sur la jurisprudence du Tribunal suprême nuirait gravement aux efforts anti-corruption.

Annuler la décision prise par le Tribunal suprême fédéral en 2016 reviendrait non seulement à libérer Lula, qui, à 72 ans, est en tête des intentions de vote pour la présidentielle d'octobre, mais à remettre en liberté nombre d'autres hommes politiques et hommes d'affaires incarcérés pour corruption.

D'autres personnalités politiques, comme le président Michel Temer, qui sont poursuivies pour corruption ou sous le coup d'une enquête, bénéficieraient également de la mesure s'ils venaient à être reconnus coupables.

PEINE DURCIE EN APPEL

"J'espère fortement que le Tribunal suprême ne reviendra pas sur cette décision", a déclaré lundi le juge Moro, dont l'action a permis la condamnation de plus de 120 personnes pour corruption dans le cadre de l'enquête "Lava Jato" (Nettoyage rapide).

"Il est impossible de faire dire à la Constitution brésilienne, avec ses normes élevées de liberté, d'égalité et de démocratie, qu'elle vise à garantir l'impunité des puissants même quand leurs crimes ont été démontrés", a ajouté le juge Moro. "Nous sommes une république, après tout, pas une société de castes".

L'enquête Lava Jato est centrée sur des entreprises du BTP qui ont arrosé de pots-de-vin des responsables politiques et d'anciens cadres d'entreprises nationales en échange de contrats avec la compagnie pétrolière nationale Petroleo Brasileiro (Petrobras) et avec d'autres sociétés.

Lula a été condamné à 10 ans de prison l'année dernière après avoir été reconnu coupable d'avoir accepté 3,7 millions de reais (environ 900.000 euros) de pots-de-vin de l'entreprise OAS sous la forme de travaux de rénovation d'un appartement situé dans la station balnéaire de Guaruja, en remerciement de son intervention pour l'attribution de contrats avec la compagnie pétrolière publique Petrobras.

En janvier, son appel a été rejeté et sa peine portée à un peu plus de 12 ans. Lula, figure tutélaire de la gauche latino-américaine, avait ensuite demandé à ne pas être incarcéré, mais le Tribunal suprême a rejeté cette demande début avril.

Lula s'est finalement rendu à la police le 7 avril.

L'EFFICACITÉ DE LAVA JATO

Le magistrat Gilmar Mendes, qui en 2016 avait voté l'adoption de la décision, lui donnant une courte majorité de six voix pour contre cinq, dit désormais avoir changé d'avis.

Il met en avant que la décision visait seulement à donner aux tribunaux de rang inférieur la possibilité d'incarcérer un condamné après rejet du premier appel, et que dans la pratique, la décision est devenue obligatoire.

L'avenir de cet arrêt du Tribunal suprême fédéral dépendra notamment de la juge Rosa Weber. En 2016, celle-ci avait penché pour permettre aux accusés de rester libres jusqu'à ce qu'ils aient épuisé toutes les voies de recours.

Elle a laissé entendre, au travers de récentes décisions, que sa position pouvait avoir évolué, sans pour autant s'exprimer en public sur la question.

Supprimer la menace d'une incarcération après un premier appel éliminerait la meilleure arme utilisée contre la corruption, a déclaré à Reuters Rodrigo Janot, qui jusqu'à la fin 2017 était procureur général du Brésil et qui demeure un procureur influent.

"Ce serait un coup dur. Nous en reviendrions à un système qui accorde l'impunité et des reports sans fin", estime-t-il.

"Imaginez ce qui se passerait si les gens savaient qu'ils peuvent commettre des délits et que la perspective la plus éloignée qui soit est celle de finir en prison?", s'interroge-t-il.

Pour le juge Luis Roberto Barroso, qui siège au Tribunal suprême fédéral, la seule raison pour laquelle le sujet revient au goût du jour tient à l'efficacité de l'enquête Lava Jato.

"C'est une réaction évidente" à cette efficacité, a-t-il dit la semaine dernière. "Les changements affectent des personnes qui se sont toujours crues au-dessus des lois, et pour cette raison, elles ont pensé que l'Etat de droit ne s'appliquerait jamais à elles".

(avec Rodrigo Viga Gaier; Eric Faye pour le service français)