Le "oui" de Truss conforte le projet de communauté politique européenne de Macron

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Conference annuelle du parti conservateur britannique a birmingham[reuters.com]
(Crédits : Toby Melville)

par Michel Rose et John Irish

PARIS (Reuters) - La décision de la Première ministre britannique Liz Truss de participer au sommet inaugural de la Communauté politique européenne (CPE) a donné un nouvel élan à ce forum proposé par le président français Emmanuel Macron pour associer aux Vingt-Sept les pays qui ne souhaitent pas ou ne peuvent encore rejoindre l'Union européenne.

Le sommet de Prague, qui doit poser les fondations de la CPE, rassemblera jeudi les 27 dirigeants des pays membres de l'UE et ceux de 17 autres pays dont, outre le Royaume-Uni, la Turquie, la Norvège et l'Ukraine.

En intégrant ce forum dès son lancement, Liz Truss peut espérer y exercer une certaine influence, à un moment où le Royaume-Uni, fragilisé et isolé par le Brexit, s'enfonce dans une profonde crise financière et politique.

"Les Britanniques ont adopté une tactique très pragmatique: si vous ne pouvez pas 'tuer' l'étrange initiative, mieux vaut vous en emparer pour vous en servir", a déclaré à Reuters un diplomate européen.

Les milieux diplomatiques demeurent cependant circonspects sur l'avenir de ce forum à l'objectif flou et qui va rassembler des pays qui ont peu de choses en commun, même s'ils vont y discuter de sujets qui les concernent tous : énergie, sécurité et immigration.

Emmanuel Macron y voit pour sa part un moyen d'associer les pays candidats à l'entrée dans l'UE qui s'impatientent devant la lenteur des procédures d'adhésion, et de répondre aux stratégies d'influence de Moscou et Pékin sur le continent.

"Il faut qu'on puisse dire au Kosovo et à l'Albanie qu'on peut faire des choses, et qu'il n'y a pas que la Russie et la Chine qui investissent chez eux", dit-on de source diplomatique française.

Le président français est aussi convaincu de l'intérêt d'un forum au sein duquel il sera possible de discuter de sécurité avec le Royaume-Uni, l'autre grande puissance militaire sur le continent, ou d'énergie avec la Norvège, qui aide actuellement l'Europe à se passer du gaz naturel russe.

MOINS DE RÉTICENCES, PEU D'ATTENTES

La vision macronienne d'une grande "famille européenne" n'a pas suscité l'enthousiasme partout, notamment en Europe de l'Est où des pays comme l'Ukraine ont d'abord craint que la CPE ne soit avant tout un moyen de limiter l'élargissement de l'UE.

Paris s'est employé à rassurer ses partenaires, avec un certain succès semble-t-il : "On craignait au départ que la CPE ne soit une alternative à l'entrée dans l'UE mais vu la manière dont le projet évolue, je ne pense pas que ce sera le cas", a dit à Reuters un diplomate d'Europe de l'Est.

"Ça va être un énième forum de discussion... qui pourrait bien ne mener à rien", a-t-il cependant ajouté. "Il y a trop de pays avec des intérêts différents. Comment voulez-vous parler de la Russie avec la Serbie? Qu'est-ce que la Turquie a à dire à la Grèce et Chypre ? Comment peut-on faire s'asseoir l'Arménie et l'Azerbaïdjan autour de la même table?"

Un diplomate balte s'attend pour sa part à ce que le projet subisse le même sort que l'Union pour la Méditerranée, lancée en grande pompe par le président français Nicolas Sarkozy en 2008 et rapidement tombée dans l'oubli.

La France est consciente que sans programme clair, le sommet de Prague n'aura pas beaucoup plus à offrir qu'une grande photo de famille. Paris juge néanmoins encourageant que l'Ukraine et la Moldavie, qui s'est déjà dite prête à accueillir le prochain sommet de la CPE, arrivent dans la capitale tchèque avec des propositions sur l'organisation du forum.

De source diplomatique française, on espère aussi quelques initiatives concrètes, sur la coopération universitaire après la sortie du Royaume-Uni du programme d'échange Erasmus, ou sur la suppression des frais d'itinérance sur les réseaux de téléphonie mobile des pays membres.

Certains diplomates européens y voient par ailleurs un moyen de renouer le dialogue avec le président Recep Tayyip Erdogan, que la France a d'abord hésité à inviter, et d'éviter ainsi qu'il ne se rapproche trop de la Russie.

(Reportage de Michel Rose et John Irish à Paris, avec Sabine Siebold à Berlin et John Chalmers à Bruxelles, version française Tangi Salaün, édité par Sophie Louet)