Le déficit budgétaire américain met mal à l'aise les investisseurs obligataires

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Le siege de la fed a washington[reuters.com]
(Crédits : Joshua Roberts)

par Davide Barbuscia

NEW YORK (Reuters) - Les investisseurs se préparent à un afflux de dette souveraine américaine qui pourrait finir par peser sur le rallye attendu sur les titres souverains, les déficits budgétaires ne cessant de s'aggraver outre-Atlantique.

Ces derniers mois, les mouvements sur le marché des taux ont été pour l'essentiel liés aux changements dans les anticipations de politique monétaire de la Réserve fédérale (Fed), mais les inquiétudes sur la soutenabilité budgétaire pourraient devenir plus prégnantes à mesure que l'élection présidentielle du 5 novembre se rapproche.

Les analystes et les observateurs soulignent en effet que la réduction du déficit public n'est une priorité ni pour le camp Démocrate, ni pour le camp Républicain - ce que chaque camp nie.

Certains investisseurs commencent à se couvrir contre une hausse des rendements souverains qui serait déclenchée par un déséquilibre entre offre et demande. D'autres craignent que l'incertitude autour des volumes de dette qu'il faudra émettre ne finisse par déstabiliser le marché des Treasuries, socle du système financier actuel et dont la taille atteint 27.000 milliards de dollars.

"Si l'on fait abstraction de la Fed et des six prochains mois, durant lesquels des baisses de taux encourageantes pourraient avoir lieu, le volume d'émission n'est pas sain", estime Ella Hoxha, responsable de l'obligataire chez Newton Investment Management, qui favorise des maturités plus courtes sur les souverains.

Les rendements du 10 ans pourraient progresser à 8% ou 10% dans les prochaines années, contre 4,4% actuellement, ce qui n'est "pas tenable", estime-t-elle.

Les "justiciers obligataires", des investisseurs qui punissent les gouvernements trop dépensiers en vendant leurs titres, ont fait leur grand retour l'an dernier et ont contribué à pousser le rendement du 10 ans au-dessus de 5% pour la première fois en 16 ans. Les inquiétudes sur le rythme d'émission de la dette américaine se sont toutefois calmées après que le département du Trésor a annoncé étaler son calendrier d'émission en novembre dernier.

Dans sa dernière annonce, le Trésor a fait savoir que les volumes de chaque émission seront stables sur les prochains trimestres. Des analystes relèvent pourtant que les marchés attendent dès l'an prochain une hausse des volumes d'émission sur les maturités longues.

Or, les sources de demande pour les titres américains se tarissent, la Fed réduisant la taille de son bilan tandis que la part des investisseurs étrangers dans la détention de dette américaine décroît. Seule exception, le volume de dette fédérale détenue par les Américains pourrait passer de 21.000 milliards de dollars actuellement à 48.000 milliards en 2034, selon le cabinet du Budget du Congrès.

"Nous parlons beaucoup des problèmes d'offre en interne, mais aussi des questions sur la demande", résume David Rogal, directeur et membre de l'équipe multi-secteurs chez BlackRock.

"Un environnement dans lequel la demande se réduit et l'offre augmente me fait clairement penser que la prime de terme augmentera", ajoute-t-il. La prime de terme est la rémunération supplémentaire exigée par les investisseurs lorsqu'ils prêtent de l'argent à long terme.

Républicains et Démocrates insistent sur le fait de vouloir réduire le déficit.

"Alors que l'administration précédente a rajouté 8.000 milliards de dollars de dette, un record, sans signer une seule loi visant à réduire le déficit, le Président Biden a approuvé un plan de réduction du déficit de 1.000 milliards de dollars et projette de le réduire de 3.000 milliards de dollars supplémentaires", a déclaré un porte-parole de la Maison Blanche, Jeremy Edwards.

Anna Kelly, porte-parole pour le Congrès national Républicain, déclare que "les politiques économiques positives pour la croissance et anti-inflation (de Donald Trump) (...) feront baisser les taux, le déficit et les niveaux de dette à long terme".

"UN PROBLÈME POUR UNE AUTRE FOIS"

Une baisse soudaine de la demande en Treasuries semble improbable, car le dollar est la principale devise utilisée dans les réserves de change, tandis que la profondeur et la liquidité du marché des souverains américains est inégalée.

"La crise la plus prévisible de l'histoire (...) est pour le moment une crise silencieuse", concluent les analystes de JPMorgan. "C'est un problème pour une autre fois, mais pas aujourd'hui".

Quelques opérateurs ont toutefois pris acte.

Si la pression des investisseurs poussait le Trésor à devenir moins dépensier, l'écart entre les rendements des maturités longues et courtes pourrait s'accroître, résume Jonathan Duensing, responsable de l'obligataire américain chez Amundi US.

"Nous préférons la partie courte et intermédiaire de la courbe, et nous évitons en général de nous exposer à sa partie longue", explique-t-il.

Au cours de l'année passée, les investisseurs ont demandé plus fréquemment des concessions du Trésor pour pouvoir acheter ses titres à 10 ans, tandis que la prime de terme de cette maturité est redevenue brièvement positive le mois dernier.

"Avant les élections, il vaut mieux ne pas détenir trop de bons du Trésor à très long terme", constate Brij Khurana, gérante obligataire chez Wellington Management.

D'autres observateurs souscrivent à l'analyse.

La dette à court terme "semble être le placement le plus sûr en cas de hausse incontrôlée des déficits", relève Craig Ellinger, responsable de l'obligataire américain chez UBS Asset Management.

Kathryn Rooney Vera, responsable de la stratégie chez StoneX, se positionne pour profiter d'une repentification de la courbe des taux, car elle estime que davantage de dette fera pression sur les rendements à long terme.

"La réponse serait de réduire les dépenses, et aucun des deux camps ne souhaite le faire", conclut-elle.

(Reportage Davide Barbuscia ; version française Corentin Chappron, édité par Kate Entringer)