Au Liban, les réfugiés Syriens s'inquiètent d'une atmosphère toujours plus hostile

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Un refugie syrien marche pres de tentes dans un campement informel, a al-marj au liban[reuters.com]
(Crédits : Emilie Madi)

par Maya Gebeily et Emilie Madi

PLAINE DE BEKAA, Liban (Reuters) - Les soldats sont arrivés avant l'aube dans le camp de la plaine de Bekaa, au Liban, expulsant les hommes Syriens sans permis de résidence de leurs tentes en lambeaux.

Alors que des nouveau-nés pleuraient autour d'eux, Mona, réfugiée au Liban depuis une décennie, a vu son frère poussé dans un camion à destination de la frontière syrienne.

Treize ans après le début de la guerre civile syrienne, le Liban demeure le premier pays en termes de réfugiés par habitant : 1,5 million de Syriens, dont la moitié sont officiellement reconnus comme des réfugiés par l'agence de l'Onu, l'UNHCR, survivent toujours dans ce pays de 4 millions de personnes.

Environ cinq millions de Syriens ont fui leur pays en guerre, tandis que des millions d'autres demeurent déplacés au sein de la Syrie. L'aide internationale accordée au pays devrait par ailleurs diminuer cette année.

Dans un Liban en prise à un effondrement économique ayant ruiné des pans entiers de la population et mis à bas les services publics, un constat fait consensus au sein des forces armées et de la classe politique, habituellement divisées : les Syriens doivent être renvoyés chez eux.

Les entreprises sont pressées de ne plus employer de réfugiés, les mairies ont mis en place de nouveaux couvre-feux et même expulsé des locataires syriens, ont déclaré deux sources du secteur humanitaire à Reuters. Au moins une agglomération du nord du pays a détruit un camp de réfugiés qui se sont éparpillés, ont ajouté les sources.

Les forces de sécurité ont publié une nouvelle directive ce mois-ci, limitant le nombre de catégories auxquels les Syriens peuvent postuler pour obtenir le statut de résident, faisant craindre qu'une existence légale au Liban ne devienne impossible.

Le Liban a organisé des retours volontaires pour les réfugiés, 300 d'entre eux rentrant en Syrie en mai. Mais plus de 400 Syriens, rassemblés au cours de raids sur les camps ou identifiés à des points de contrôle, ont aussi été expulsés par l'armée libanaise, ont déclaré deux sources humanitaires.

Ces réfugiés sont automatiquement reconduits à la frontière, selon des travailleurs humanitaires et des Syriens qui s'inquiètent des violations de leurs droits, de conscription forcée ou de détention arbitraire.

Mona explique que son frère a été pressé de s'inscrire comme réserviste de l'armée syrienne à son retour et que les hommes du camp, craignant un sort similaire, ne sortent plus de chez eux.

"Aucun des hommes ne va plus chercher ses enfants à l'école, ni ne va au marché. Ils ne peuvent plus se rendre aux tribunaux, aux hôpitaux ou dans les bâtiments publics", détaille-t-elle.

Elle doit désormais s'occuper des enfants de son frère, qui n'ont pas été reconduits à la frontière, tout en travaillant clandestinement dans une usine à proximité. Elle travaille de nuit pour éviter les points de contrôle sur sa route.

"INSOUTENABLE"

Le Liban a déjà expulsé des réfugiés, les partis politiques locaux soutenant depuis longtemps que certaines parties de la Syrie sont suffisamment sûres pour permettre des retours massifs.

En avril, le sentiment anti-réfugiés s'est cristallisé après que des responsables politiques ont accusé des Syriens d'être responsables du meurtre d'un Libanais.

Les discours de haine se sont multipliés sur Internet, plus de 50% des discussions sur les réfugiés se focalisant sur l'importance de les expulser, tandis que 20% d'entre elles font référence aux Syriens comme à une "menace existentielle", selon le groupe d'analyse libanais InflueAnswers.

Les institutions internationales ne sont pas épargnées, le ministre des Affaires étrangères libanais faisant pression sur le représentant de l'UNHCR pour qu'une demande visant à suspendre les nouvelles restrictions soit rejetée. Les responsables politiques libanais ont aussi attaqué le plan d'aide d'un milliard d'euros accordé par l'Union européenne, accusé de constituer un "pot de vin" en échange de l'hébergement des réfugiés.

"Cet argent que l'UE envoie aux Syriens, laissons-les l'envoyer en Syrie", a déclaré Roy Hadchiti, porte-parole du Courant patriotique libre, à l'occasion d'un rassemblement anti-réfugiés organisé par ce parti chrétien conservateur.

Comme un nombre croissant de Libanais, l'homme politique estime que les réfugiés obtiennent plus d'aide que ses compatriotes au désespoir. "Regardez leurs camps : ils ont des panneaux solaires, alors que les Libanais ne peuvent même pas payer un abonnement à un générateur", souligne-t-il.

L'Onu juge toujours la Syrie trop risquée pour organiser des rapatriements massifs, et s'inquiète de cette rhétorique anti-réfugiés.

"Je suis très inquiet car elle pourrait mener à (...) des retours forcés, qui ne sont pas la chose à faire et ne sont pas soutenables à terme", explique Filippo Grandi, qui dirige l'UNHCR.

"Je comprends les frustrations des pays d'accueil, mais par pitié, ne les aggravez pas."

Zeina, une réfugiée syrienne, raconte que l'expulsion de son mari le mois dernier l'a laissée sans travail ni statut légal de résidence dans un Liban de plus en plus hostile.

Le retour au pays n'est pas sans risque : ses enfants sont nés au Liban et n'ont pas de cartes d'identité syriennes, tandis que sa maison dans la région de Homs est en ruine depuis 2012, lorsque des frappes du gouvernement l'ont forcée à fuir.

"Même aujourd'hui, quand je pense à cette époque, et que je pense à mes parents ou aux personnes qui rentrent chez elles mais ne le peuvent pas. La maison est détruite. De quel genre de retour s'agit-il ?"

(Reportage Maya Gebeily et Emilie Madi, version française Corentin Chappron, édité par Kate Entringer)